24/04/2021

Comment des lobbies ont inventé la légende de l'épuisement du potentiel hydro-électrique français

Au début des années 1990, l'équipement hydroélectrique de la France marque un coup d'arrêt. Depuis 30 ans, son évolution est quasi-gelée. Certains affirment que le potentiel de production hydro-électrique du pays est épuisé. Or c'est faux. De manière constante, les rapports publiés des années 1950 aux années 2010 montrent que le potentiel exploitable est de l'ordre de 100 TWh, bien au-dessus des 70 TWh actuels. En réalité, l'affirmation de l'épuisement du potentiel hydraulique français vient de lobbies pêcheurs et écologistes qui, dans les années 1980, ont organisé l'entrave des projets énergétiques. Avant de convaincre l'administration et les élus d'aller plus loin pour engager la destruction des ouvrages et revenir à la rivière sauvage. Mais le rejet de cette politique par les riverains, les doutes sur la valeur sociale et scientifique de l'idée de nature sauvage, la reconnaissance mondiale de l'urgence climatique sont en train de changer la donne dans les années 2020. La France doit renouer avec sa vocation hydro-électrique stoppée depuis 30 ans: elle dispose de plusieurs dizaines de milliers de sites équipables.


L'évolution de l'hydro-électricité en France montre une courbe étrange (image ci-dessus, source CRE 2020): croissance régulière des années 1950 aux années 1980, et... plus rien, un arrêt net au début des années 1990. Depuis environ 30 ans, la puissance installée se situe vers 25 GW, la production annuelle vers 70 TWh, la croissance est à peine perceptible tant elle est modeste. 

Pour justifier cela, certains affirment que le potentiel hydroélectrique français a été presque totalement exploité et qu'il ne reste plus grand chose à faire. France Nature Environnement écrit par exemple dans sa brochure 2016 sur l'énergie hydraulique : "Le parc hydroélectrique français est pourtant déjà développé à plus de 90 %". Cet élément de langage est fréquemment entendu. 

Mais c'est inexact. En réalité, cet argument est le fait des lobbies qui ont lutté contre cette énergie hydro-électrique, qui ont largement contribué à son arrêt dans les années 1990 et qui ont accentué leurs exigences dans les années 2000 et 2010, avec la politique de destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques. 

Commençons par explorer la question du potentiel hydro-électrique français.

Les rapports d'étude montrent que le potentiel énergétique de l'eau n'est nullement épuisé
En 1975, suite au premier choc pétrolier, une commission présidée par le sénateur Pintat à la demande du ministère de l’industrie et de la recherche met en évidence comme potentiel hydraulique de la France:
  • un potentiel théorique de 266 TWh/an dont la moitié est peu utilisable, car cela conduirait à submerger d’importantes parties du territoire;
  • un potentiel techniquement rentable de 100 TWh/an (inventorié par EDF dès 1953, confirmé depuis par les différentes études);
  • un potentiel économiquement équipable variable selon la comparaison économique avec les moyens de production alternatifs;
  • un gisement de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) de 20 000 MW.
Ces chiffres excluent toutefois le potentiel de la petite hydraulique en dessous de 2 MW, notamment car les petites chutes ne correspondent pas au schéma technique et financier de l'électricien national EDF (voir les précisions chez Rabaud et Catalan 1986). Par tradition, l'entreprise publique privilégie les projets de grandes centrales (charbon, nucléaire, hydraulique) mais ne s'y retrouve pas dans les schémas de petite hydraulique, qui sont pourtant, de très loin, les plus nombreux et les plus facilement actionnables sur les rivières françaises. La haute fonction publique aura tendance à s'aligner sur ces vues d'EDF, ce dont on trouve la trace aujourd'hui encore.

En 2006, le Rapport sur les perspectives de développement de la production hydro-électrique en France, dit "rapport Dambrine" du nom de son premier auteur, rappelle ces données et les considère comme toujours valides, modulo l'interprétation des règles françaises et européennes de protection environnementale.

Ce rapport précise cependant le désintérêt de l'Etat et de son administration pour l'hydro-électricité, ainsi que la réalité de conflits : 
"Le potentiel hydroélectrique dépend de la géographie et de la pluviométrie, mais également de l’évolution des techniques de production et surtout de la place que la société entend donner à l’utilisation de l’eau à des fins énergétiques parmi tous les autres usages : eau laissée «sauvage» pour la préservation de l’environnement et des sites, eau pour la pêche, eau pour l’agriculture, eau pour le tourisme, etc. (...) Pour autant, peut-être en raison de son ancienneté (elle existe depuis la fin du XIXe siècle), mais surtout de ses impacts sur les paysages et de la concurrence avec les autres usages de l’eau, l’hydroélectricité a, au fil du temps, perdu de son prestige dans notre pays. Au niveau local, les autorités publiques, et notamment les préfets et les élus locaux, ne pensent plus spontanément à développer l’hydroélectricité. Certains peuvent même la considérer comme «démodée» par rapport à l’éolien ou au photovoltaïque ou bien qu’elle ne vaut plus la peine d’ouvrir des conflits avec les défenseurs des autres usages de l’eau."
Sept ans après le rapport Dambrine, le rapport UFE/Ministère de l'écologie de 2013 estime que le potentiel est le suivant :
  • 2,9 GW et 10 TWh/an en création de nouveaux sites.
  • 0.5 GW et 1,7 Twh/an en équipement de sites existants.
Toutefois, ce rapport reste incomplet et inégal selon les territoires. Il exclut les sites de moins de 100 kW de puissance, qui sont des dizaines de milliers en France. Il correspond également à la doctrine du ministère de l'écologie de l'époque, qui considérait les rivières en liste 1 de continuité écologique comme exclues du potentiel : or, le conseil d'Etat a censuré le ministère sur ce sujet (voir Conseil d'Etat 2015, Conseil d'Etat 2021). 

Selon le travail de Punys et al 2019 (mission européenne RESTOR HYDRO), les seuls petits sites anciens de moulins et forges représentent en France un potentiel de 3,3 TWh au sein des 4,3 TWh mobilisables en très petite hydro-électricité. On est donc au-dessus des chiffres de la mission UFE/Ministère de l'écologie de 2013. Les chiffres de Punys et al 2019 sont en revanche cohérents avec les rapports antérieurs.

Donc la réalité n'est pas du tout celle d'un épuisement du potentiel hydro-électrique français:
  • les rapports EDF des années 1950 et jusqu'au rapport Dambrine 2006 estiment que l'on peut produire 100 TWh (une hausse de 50% de la production actuelle),
  • les données UEF 2013 (non complètes) et Punys 2029 suggèrent que l'on peut produire 85 TWh (une hausse de 20% de la production actuelle),
  • outre de nouveaux projets, la plupart des 110 000 sites recensés dans le référentiel des obstacles à l'écoulement ne produisent pas d'énergie, mais beaucoup pourraient le faire, pourvu qu'il existe une politique nationale et locale d'équipement. 
Mais alors, d'où vient l'idée que l'on ne peut plus produire grand chose en hydroélectricité? La mention des "conflits" dans le rapport Dambrine donne la bonne piste.

Car en réalité, cette idée a été promue par les lobbies qui ont lutté contre cette hydro-électricité, à savoir des pêcheurs de loisir visant des salmonidés, des groupes conservationnistes comme le WWF et des associations écologistes comme France Nature Environnement. Ces lobbies ont non seulement mis un frein au développement hydro-électrique de la France dans les années 1980, mais ils ont su s'attirer les faveurs et les arbitrages de diverses administrations de l'eau (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, agences de l'eau, office français de la biodiversité, héritier du conseil supérieur de la pêche). 

Nous allons retracer sommairement quelques grande étapes de ce processus.


Dynamitage du barrage de Saint-Etiennne-du-Vigan, photo Roberto Epple, ERN, droits réservés.

Comment les lobbies ont gelé l'hydro-électricité et promu la rivière sauvage auprès des administrations
Profitant de faveur du gouvernement de l'époque en quête de soutiens dans une passe difficile, le milieu agréé des pêcheurs obtient le vote de la loi pêche en 1984, qui contient notamment un renforcement des dispositions sur le franchissement piscicole, qui ne s'appelle pas encore la continuité écologique, et une protection accrue de certaines rivières contre des projets hydro-électriques (voir cet article). Les pêcheurs avaient déjà bénéficié des premiers plans migrateurs lancés dans les années 1970 sur le bassin Loire-Allier.

Toujours dans les années 1980, en opposition à un projet de création de barrages sur le bassin de la Loire, le groupe Loire vivante (WWF, Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature qui allait devenir France Nature Environnement, acteurs de la société civile) lance une occupation de site et une lutte judiciaire. Avec le Larzac, c'est l'ancêtre des ZAD. Cette mobilisation réussit au-delà des espérances, les projets sont annulés et le gouvernement lance le plan Loire grandeur nature. Le mythe de la Loire "dernier fleuve sauvage d'Europe" est lancé (mythe car la Loire a une longue histoire humaine et n'a rien de sauvage, voir par exemple Di Pietro et al 2017). Mais surtout les associations profitent de la reconnaissance par l'Etat pour prendre un plus grand rôle dans les agences de bassin et auprès des hauts fonctionnaires du ministère de l'environnement. France Nature Environnement, assez lourdement subventionnée, deviendra une courroie de transmission privilégiée du ministère, selon une gouvernance clientéliste assez classique de la bureaucratie française (voir à ce sujet des informations dans l'ouvrage de Marc Laimé sur le lobby de l'eau, et sur le site de cet analyste).

De cette époque date le coup d'arrêt aux projets hydro-électriques d'envergure en France. Comme nous sommes dans une période de contre-choc pétrolier avec une énergie fossile bon marché et comme les questions climatiques ne sont pas encore à l'ordre du jour (les rapports du GIEC restent assez confidentiels jusqu'au troisième d'entre eux, en 2001), l'administration se désintéresse de la question. Les porteurs de projets se voient de plus en plus souvent opposer des contestations et des procédures judiciaires, en particulier après le vote de la loi pêche de 1984, puis de la loi sur l'eau de 1992.  

Les agences de l'eau changent de paradigme dans les années 1990, passant de la gestion hydraulique à la gestion hydro-écologique des bassins (Morandi et al 2016). Certaines d'entre elles (en particulier l'agence Loire-Bretagne héritant d'un terrain favorable) veulent aller plus loin et lancent des projets de destructions d'ouvrage (destructions du barrage de Maisns-Rouges, destruction du barrage de Saint-Etienne-du-Vigan, faisant partie du programme Loire grandeur nature). L'idée est non seulement d'arrêter la construction de barrages, mais aussi de les effacer pour faire revenir une rivière sauvage. Cette vue est favorisée par le fait que les comités de bassin de ces agences, nommés par préfet et non pas élus, comme leurs commissions techniques sur les milieux donnent désormais un poids important aux acteurs de la pêche et de l'environnementalisme, alors que de nombreux usagers en sont exclus (dont la petite hydraulique). Les schémas directeurs (SDAGE) créés par la loi sur l'eau de 1992 vont refléter ce rapport de force, qui reste opaque pour le grand public mais détermine pourtant l'évolution des choix sur l'eau, et sur l'énergie.

La loi sur l'eau de 2006 voit la création de la continuité écologique sous l'incitation des administrations et lobbies ayant commencé ces programmes locaux, avec l'ambition de "geler" 30% du linéaire de rivière en listes 1 (127623 km classés en 2012-2013) et d'y ajouter des listes 2 où le but est de détruire le maximum de sites (46615 km classés). Les hauts fonctionnaire du ministère de l'écologie ne cachent plus leurs intentions dans les séminaires de FNE, comme nous l'avions montré. Mais le bouchon a cette fois été poussé un peu trop loin, puisque cette réforme de continuité écologique voit se lever une vigoureuse opposition riveraine (voir Germaine et Barraud 2017, Lévêque et Bravard 2020). On commence à s'aviser que la vision d'une rivière rendue sauvage de la source à la mer intéresse des groupes militants (naturalistes ou pêcheurs) mais ne répond pas à des attentes sociales larges et qu'elle nuit par ailleurs à beaucoup d'autres usages de la rivière, pas seulement énergétiques. Si des écologues et biologistes de la conservation ont soutenu le mouvement des rivières sauvages dès les années 1980 et 1990, lui donnant une dimension scientifique qui a séduit le décideur, la recherche universitaire se fait aussi plus critique avec le temps et souligne que la naturalité relève d'une vue idéologique ou de choix épistémologiques (voir par exemple Dufour et al 2017, Perrin 2019, Linton et Krueger 2020).

Au long des années 2000 et 2010, la question climatique prend un caractère d'urgence mondiale de plus en plus appuyée, ce qui se traduira par les accords de Paris en 2015. Les Etats sont sommés d'agir, y compris désormais devant la justice, comme l'Etat français ayant perdu récemment un contentieux pour action climatique insuffisante. Du même coup, la politique d'entrave à l'hydro-électricité devient à contre-emploi : les agences de l'eau dépensent l'argent du contribuable à détruire des grands barrages producteurs (comme ceux de la Sélune) et à liquider le patrimoine séculaire formant un potentiel de petite hydro-électricité. 

En conclusion : revenir à des rivières sauvages ou équiper des ouvrages pour la transition, il faut choisir
  • le potentiel hydro-électrique français en métropole n'est nullement épuisé, on peut ajouter une à trois dizaines de TWh de production d'électricité bas-carbone (équivalent de une à quatre tranches nucléaires), sans compter les hydrauliennes fluviales et systèmes marémoteurs, 
  • les revendications de retour à la nature sauvage et l'organisation d'une opposition aux barrages sont à l'origine du gel du potentiel hydro-électrique dans les années 1990, avec l'appui de la corporation des pêcheurs de salmonidés engagée de la longue date sur le sujet,
  • l'évolution du droit de l'environnement depuis 30 ans s'est inspirée de notions diverses et peu réfléchies dans leur globalité, tantôt une écologie de conservation et restauration qui vise la préservation de la nature sauvage ou le retour à une nature sauvage, tantôt une écologie de gestion raisonnée qui vise à baisser des impacts, en particulier les impacts carbone ces 10 dernières années (ce schéma est classique des questions écologiques, voir l'opposition déjà structurée depuis longtemps aux Etats-Unis, voir les débats sur la nouvelle conservation de la biodiversité),
  • nous arrivons à un point de contradiction de ces écologies, car toutes les énergies renouvelables (pas que l'hydraulique) sont fondées sur l'exploitation de sources naturelles et sur l'occupation de l'espace, de même au demeurant que l'idéal de relocalisation des activités économiques (ce qui implique aussi de reprendre sur le territoire national des extractions et transformations qui avaient été délocalisées). Les politiques publiques ne peuvent plus simplement dire qu'elles font de l'écologie, elles doivent préciser de quelle écologie il est question, comment elle se finance et en quoi elle est cohérente (voir par exemple les alarmes de la CRE 2020, faisant suite à d'autres, comme la Cour des comptes 2013),
  • concernant le climat et l'énergie, 70% de l'énergie finale consommée en France est d'origine fossile, le bilan carbone des Français dépasse les 11 tonnes d'émission CO2 par habitat quand on inclut les importations. Ces chiffres sont censés être réduits à zéro en 30 ans seulement, une génération. Cela demande une action massive, systématique, année après année. A-t-on les moyens de tenir les engagements climatiques sans assurer l'expansion de toutes les ressources renouvelables, incluant les quelques dizaines de TWh que peut apporter l'énergie hydraulique? Plus encore, face à l'ampleur des investissements d'urgence, a-t-on les moyens et l'intérêt de détruire les ouvrages hydrauliques du pays, politique dont le bilan carbone et hydrique comme les effets sur l'adaptation locale au changement climatique n'ont jamais été mesurés sérieusement? Poser ces questions, c'est sans doute y répondre.

20/04/2021

Un projet d'énergie bas-carbone annulé au nom des poissons

Le conseil d'Etat estime dans une décision récente que l'altération de l'habitat aquatique d'espèces protégées ne justifie pas une dérogation pour un projet de petite hydro-électricité. Cette décision pose la question de la protection légale des projets contribuant à la transition énergétique. Elle souligne aussi la nécessité de relancer les sites existants, qui n'engagent aucun changement morphologique ou hydrologique, donc ne peuvent être attaqués au motif de la création d'une nouvelle perturbation. Enfin, elle suggère que l'association FNE, à l'origine de la plainte qui concernait des bouvières et des vandoises, contribue désormais aux émissions carbone de la France par son entrave systématique à des projets énergétiques alternatifs au fossile et au nucléaire. Les élus doivent en être informés.  



L'association France Nature environnement et l'association Nature Midi-Pyrénées ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 28 avril 2014 par lequel le préfet du Tarn avait autorisé la société Energies Services Lavaur pays de Cocagne à perturber et détruire des spécimens d'espèces animales protégées ainsi que leurs habitats de reproduction, dans le cadre de la réalisation de la centrale hydro-électrique d'Ambres-Fonteneau (communes d'Ambres et de Lavaur). Par un jugement du 2 mars 2017, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt du 30 avril 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif et l'arrêté du préfet du Tarn du 28 avril 2014. Le ministère de la transition écologique et solidaire a demandé au Conseil d'Etat d'annuler la décision de la cour d'appel. Le conseil d'Etat donne raison aux plaignants.

Le conseil d'Etat note : "un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle".

Les conseillers valident le jugement d'appel : "Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la production annuelle de la centrale hydro-électrique projetée était évaluée à 12 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique d'environ 5 000 habitants, permettant d'éviter le rejet annuel dans l'atmosphère de l'ordre de 8 300 tonnes de gaz carbonique, 38 tonnes de dioxyde de souffre, 19 tonnes de dioxyde d'azote et de 1,2 tonnes de poussières. Après avoir souverainement procédé à ce constat, la cour administrative d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l'équilibre entre les différentes sources d'énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l'Etat dans le développement des énergies renouvelables. En statuant ainsi, alors qu'il n'était pas établi devant elle que le projet, quoique de petite taille, s'inscrivait dans un plan plus large de développement de l'énergie renouvelable et notamment de l'hydroélectricité à laquelle il apporterait une contribution utile bien que modeste, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en refusant de reconnaître, en l'état de l'instruction devant elle, que le projet répondait à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement."

Commentaire : 
  • les députés et sénateurs ne doivent pas seulement voter des lois favorisant le développement de l'hydro-électricité, ils doivent aussi réécrire clairement les ordres de priorité environnementale, sans quoi les investisseurs se décourageront et la France accumulera du retard. Nous l'avons écrit souvent, la doctrine publique de la rivière ne doit pas osciller dans des approches incohérentes;
  • la relance des sites hydrauliques existants (sans création de nouveaux impacts) doit être prioritaire. Hélas, l'administration publique à la demande de lobbies minoritaires encourage la casse et non l'équipement de ces ouvrages;
  • puisque les conseillers d'Etat sont sensibles à la perturbation des espèces, tout projet d'assèchement permanent de retenue, d'étang, de plan d'eau, de bief, de canal dont on peut démontrer qu'il nuit à l'habitat en place d'une espèce protégée doit lui aussi être attaqué en justice;
  • l'association France Nature Environnement, comme d'autres, contribue à la dégradation du bilan carbone de la France par ce genre d'action. Il faut poser ce sujet dans le débat public et demander aux élus du pays de choisir leur vision de l'écologie.  
Source : Conseil d'Etat, arrêt n°432158, 15 avril 2021

16/04/2021

"Des millions de dollars ont été dépensés pour essayer de ramener les cours d'eau à un état artificiel", l'erreur américaine reproduite en France

On l'ignore parfois, mais l'idée de la restauration écologique des rivières vers un état sauvage provient surtout des Etats-Unis. Or voici plus de 10 ans, une recherche avait montré là-bas que la reconstruction de rivières à méandres, grande occupation des gestionnaires publics de la nature, correspond en fait à une morphologie héritée... de l'abandon des moulins à eau construits deux siècles plus tôt! Nous traduisons ici un commentaire de la revue Nature qui soulignait déjà cette incongruité : dépenser des fortunes pour essayer de revenir à un état ancien déjà artificialisé, et cela alors que les conditions présentes et futures de milieu ne sont de toute façon plus du tout les mêmes. En Europe, les moulins et étangs ne se sont pas développés sur trois siècles comme aux Etats-Unis, mais sur deux millénaires. Et ils faisaient suite à un millénaire précédent de déforestations, chenalisations et terrassements agricoles. Cela ne rend que plus absurde la dépense d'argent public en quête d'une fantasmatique nature antérieure. Le manque de rigueur scientifique et de recul historique dans l'écologie aquatique conduit à trop de chantiers de carte postale sans intérêt majeur ni pour la société, ni pour le vivant.


Le réméandrage à la pelleteuse ne correspond en rien à une "renaturation", mais au choix assez arbitraire d'un style fluvial né de l'occupation humaine des sols. On notera au passage qu'en été, des méandres ralentissent, réchauffent et évaporent davantage l'eau qu'un écoulement rapide plus rectiligne, phénomène qui est censé être dramatique quand on parle d'une retenue. Mais nos apprentis sorciers de la "nature renaturée" ne sont pas à une contradiction près... Droits réservés.


À quoi ressemble une rivière naturelle?
L'héritage des ouvrages de moulins brouille l'eau des restaurateurs de rivières
Emma Marris

Les écologues travaillant à la restauration des cours d'eau dans l'Est des États-Unis ont utilisé un idéal malavisé, selon de nouvelles recherches.

La notion pittoresque, soutenue par de nombreux écologues, selon laquelle un cours d'eau non touché par des mains humaines serpente dans un seul canal en forme de S avec de hautes berges verticales semble être fausse. Au lieu de cela, cette forme est un artefact des milliers de petits barrages de moulins construits sur les cours d'eau de l'Est des Etats-Unis entre les 18e et 19e siècles, disent Robert Walter et Dorothy Merritts du Franklin and Marshall College à Lancaster, en Pennsylvanie.

L'équipe a parcouru d'anciennes cartes, examiné des documents historiques, visité des centaines de cours d'eau et utilisé des techniques de détection et de télémétrie de lumière (LIDAR) pour avoir une idée de la configuration du terrain sous la végétation moderne. À certains endroits, ils ont utilisé une pelleteuse pour exposer les couches sédimentaires et vérifier l'histoire géologique.

Les chercheurs concluent que les cours d'eau de la région du Piémont à l'Est des États-Unis - juste à l'Est des Appalaches - ressemblaient plus à des marais qu'à des rivières lorsque les Européens sont arrivés pour la première fois. L'eau ne coulait pas dans un seul canal, mais plutôt dans des tresses, des bassines et de la boue, rapportent-ils dans Science (article).

Des méandres nés des retenues
À la fin du 18e siècle, de nombreuses rivières avaient été endigués (avec des barrages aussi larges que des vallées entières, parce que les cours d'eau étaient si étendus), et ils se sont transformés en un collier de retenues de moulin, un tous les quatre kilomètres environ. Pendant ce temps, la déforestation sur les hauteurs a augmenté l'approvisionnement en eau et l'afflux de sol. Les retenues des moulins ont recueilli d'épaisses couches de sédiments sur leurs fonds.

Lorsque l'énergie à vapeur a commencé à déplacer l'hydraulique pour la mouture, la forge et l'exploitation minière, bon nombre de ces barrages ont été percés. Les torrents d'eau à écoulement rapide qui en résultaient ont creusé un canal à travers les sédiments dans les anciens étangs, créant la forme sinueuse considérée aujourd'hui comme "naturelle".

Un travail similaire a été effectué dans le nord-ouest du Pacifique, et l'équipe ajoute qu'elle pense que le même processus aurait pu avoir lieu en Europe. "Dans les années 1700, il y avait 80 000 moulins en France", explique Walter.

Si cette reconstitution des événements est vraie, alors des millions de dollars ont été dépensés pour essayer de ramener les cours d'eau à un état artificiel: leur état après la chute des anciens barrages, plutôt qu'avant leur construction.

Dans un projet provisoirement prévu pour l'été 2008 en Pennsylvanie, Walter et Merritts travaillent avec des restaurateurs pour essayer d'éliminer tous ces sédiments modernes jusqu'aux zones humides de l'Holocène en dessous. Ils pensent que cela permettra le retour des anciens marais, diminuant la charge de sédiments et de nutriments dans les cours d'eau et empêchant certains des problèmes observés aujourd'hui à cause d'un excès de sédiments déversés dans la mer.

Tout change
Sean Smith, qui examine les propositions de restauration des rivières pour le département des ressources naturelles du Maryland à Annapolis, affirme que les travaux ont déjà eu un impact sur le terrain. "Il y a déjà des propositions qui sont essentiellement du dragage de vallée, où ils veulent terrasser vers la forme précoloniale", dit-il.

Dans certains de ces projets, les restaurateurs ont été surpris et heureux de constater que les plantes des zones humides enfouies sous des charges de sédiments pendant des centaines d'années sont toujours viables et commencent à repousser.

Mais le changement de mentalité n'est pas nécessairement une bonne chose. Margaret Palmer, écologue des rivières et de la restauration à l'Université du Maryland à College Park, craint que l'effet de la recherche ne soit de remplacer un paradigme rigide par un autre - aucun ne prenant en compte la nature changeante du paysage. "Tout change. Nous avons défriché des arbres; nous avons radicalement changé la quantité d'eau dans ces cours d'eau. Si notre objectif est de réduire la charge de sédiments, nous devrions nous concentrer sur cela et ne pas nous soucier de donner au cours d'eau la même apparence qu'au moment de la pré-colonisation, car rien d'autre n'est identique à ce qu'il était avant la colonisation", dit-elle.

Dave Rosgen, un restaurateur de rivières bien connu à Fort Collins, Colorado, est d'accord. "Ce que je suggère, c’est que nous n’essayons pas de faire en sorte que la restauration corresponde à un état 'vierge', car les rivières doivent être stables dans les conditions actuelles dans lesquelles elles se trouvent."

A lire dans le cas français

13/04/2021

Les castors construisent aussi des barrages en pierre



On nous transmet cette photo insolite, prise sur Bear Creek, un affluent de la rivière Truckee, à Alpine Meadows (Californie) : les castors américains utilisent des roches pour leurs barrages lorsque la boue et les branches sont moins disponibles. Il serait intéressant de voir si leurs cousins européens font de même.

Les experts en écologie considèrent que les barrages de castor ont des effets très bénéfiques sur le milieu. Pourtant, ils ont sensiblement les mêmes propriétés que les petits seuils humains que l'on trouve notamment dans les têtes de bassin rurales, dont on dit en France le plus grand mal (obstacle à la migration, réchauffement local de l'eau, accumulation de limons, création d'une zone lentique à la place de l'écoulement rapide, rehausse de niveau d'eau facilitant des débordements latéraux). Comment est-il possible que des fonctionnalités similaires soient positives dans un cas et négatives dans l'autre? Le castor européen, espèce protégée, est en train de recoloniser tout le réseau des ruisseaux et petites rivières: va-t-on encourager ses discontinuités écologiques? 

11/04/2021

Il y a 7 options de continuité pour les petits ouvrages en rivière... une seule nuit et crée des confits

On fait beaucoup de bruit dans la presse en ce moment à propos d'un amendement à la loi climat demandant de stopper les destructions des ouvrages de moulins. Certains affirment que c'est une grave atteinte à la continuité des rivières. C'est faux : la réforme de continuité écologique a échoué car des choix radicaux et décriés ont voulu promouvoir et financer la seule destruction des ouvrages anciens, alors qu'il existe de nombreuses autres options, plus consensuelles, plus utiles à l'écologie au sens large, plus conformes à l'intérêt général du pays. Revenir à ces options va permettre des gains de continuité écologique et la sortie du blocage actuel. A condition que les fonctionnaires eau et biodiversité acceptent une bonne fois pour toutes que les rivières du 21e siècle auront encore des ouvrages hydrauliques, comme elles en ont depuis des millénaires. 


Exemple de rivière de contournement (source des travaux et de l'image) : conserver les atouts de l'ouvrage, y améliorer la fonctionnalité de franchissement piscicole. Ces solutions et d'autres sont conformes à la vision française de l'eau, qui n'est pas le retour à la nature sauvage par destruction des paysages et des usages.

Le journal Le Monde, comme d'autres, a signalé que des députés ont adopté un amendement visant à empêcher la destruction des moulins à eau et à favoriser au contraire leur équipement énergétique. Certains le déplorent en affirmant que c'est une régression de la continuité écologique. Mais si cette loi est votée, ce sera surtout une régression de l'extrémisme sur les rivières qui a enflammé des sujets ne méritant pas de l'être. 

Rappelons que la continuité écologique au droit d'un moulin ou autre ouvrage de petite hydraulique (chaussée, barrage, écluse, digue d'étang et plan d'eau) a pour principal enjeu la circulation de poissons migrateurs. En effet, les autres continuités sont assurées. D'une part le moulin ne consomme et ne stoppe évidemment pas l'eau: le débit sortant est le même que le débit entrant, modulo ce qui est évaporé ou ce qui est stocké en sol et végétation. D'autre part, les sédiments ne sont pas durablement retenus vu les très faibles capacités de stockage et la persistance des crues morphogènes qui surversent sans problème l'ouvrage (contrairement aux grands barrages réservoirs). La continuité hydrique et sédimentaire étant assurée, le seul enjeu réel est la circulation d'espèces, particulièrement de poissons ayant besoin de remonter le cours de l'eau. 

Pour favoriser cette continuité de circulation de poissons de l'amont vers l'aval et surtout de l'aval vers l'amont, il existe au moins sept options déjà mises en oeuvre sur le territoire. 

Inaction : bien des ouvrages anciens ont des tailles modestes, des parements inclinés, des chutes noyées en débit moyen à élevé. Certains ont des brèches. En ce cas, l'impact de franchissement est négligeable, il est inutile de dépenser de l'argent à intervenir. Des chercheurs ont montré que les migrateurs comme les truites et ombres franchissent les ouvrages modestes. 

Ouverture de vanne : quand la rivière, le génie civil et les espèces cibles s'y prêtent, l'ouverture des vannes en haut débit égalise le niveau amont et aval, ce qui permet le passage des migrateurs et d'autres poissons.

Passe rustique : la création de brèches consolidées ou de rampes empierrées à quelques bassins est une option simple de mise en oeuvre.

Passe technique : les dispositifs de bassins successifs à micro-chutes et ralentisseurs fonctionnent pour certaines espèces.

Rivière de contournement : le plus efficace sans doute des dispositifs de franchissement, si le foncier est disponible, une rigole, un ruisseau ou une petite rivière (selon débit) qui rejoint l'amont et l'aval.

Effacement : la plus radicale des solutions, visant à supprimer l'ouvrage et assécher ses annexes hydrauliques. 

Une septième option est de capturer des poissons à l'aval pour les déverser à l'amont, mais si elle est utilisée pour franchir de grands barrages, c'est rarement le cas pour de petits obstacles. Néanmoins, ce serait une possibilité puisque les associations de pêche peuvent y procéder.

Donc on le voit, l'effacement d'ouvrage n'est en rien la seule option de continuité écologique.


La continuité par destruction est la pire option
L'option de l'effacement des ouvrages hydrauliques est la plus radicale : avec elle disparaissent la retenue, le bief, le paysage, le patrimoine, les usages, la rehausse locale d'eau. C'est aussi la plus conflictuelle : les agents de l'OFB, de la DDT-M et de l'agence de l'eau ont voulu l'imposer dès le premier plan de continuité de 2009, ce qui a embrasé immédiatement la vie des rivières. Hydrauxois et bien d'autres associations et collectifs sont nés face à ces menées perçues comme intégristes, appuyées sur une connaissance très incomplète et partiale, ainsi qu'une violence bureaucratique sans précédent. 

D'une part, cette destruction de sites a toujours été contraire à l'esprit des lois françaises de l'eau. Que les citoyens lisent tous l'article L 211-1 du code de l'environnement et ils verront que la doctrine du bien commun en France consiste à valoriser la ressource en eau tout en préservant des fonctionnalités naturelles et de la diversité biologique. Le bien commun ne consiste pas à détruire les ouvrages et les usages au seul profit d'une nature sauvage dont l'humain serait chassé, ce qui est un choix antisocial et non durable. La continuité qui refuse les dimensions multiples de la gestion équilibrée et durable de l'eau en appelant à tout casser et à ne pas viser les autres usages est une doctrine de militant naturaliste à l'ancienne. Pourquoi pas si elle est défendue par des ONG et autres acteurs libres de proposer ce programme idéologique, mais elle ne doit plus être la doctrine des serviteurs de l'Etat français, qui sont là pour appliquer la loi, pas pour promouvoir des convictions personnelles sur la nature. 

D'autre part, la destruction des sites n'est pas la plus intéressante pour la société ni pour l'écologie au sens large de meilleur compromis pour l'environnement (pas au sens étroit de maximisation de la naturalité). Les ouvrages hydrauliques peuvent en effet produire de l'énergie bas-carbone et c'est indispensable de les relancer si l'on veut sortir de l'énergie fossile en 30 ans (obligation de l'Etat désormais), objectif qui demande la mobilisation de toutes les ressources renouvelables du pays. Les ouvrages hydrauliques créent des milieux en eau (retenues, biefs, marges humides) et c'est indispensable de respecter ces milieux, dont la science dit qu'ils rendent des dizaines de services écosystémiques. Notamment le stockage de l'eau et la recharge des aquifères. Plus de 80% des zones humides naturelles du pays ont déjà été détruites au cours des derniers siècles, assécher les zones humides humaines est une aberration profonde. Il faut dédier l'argent rare de l'écologie de l'eau à créer ou recréer des milieux aquatiques et humides, certainement pas à effacer et assécher ceux qui existent encore sous le prétexte qu'ils sont d'origine humaine. Ainsi bien sûr qu'à dépolluer ou traiter à la source les pollutions, première cause et de loin des troubles des milieux aquatiques.