Nouvelle victoire du droit contre l'arbitraire. En 2017, les députés et sénateurs avaient choisi d'exonérer les moulins à eau équipés pour produire de l'électricité de l'obligation de continuité écologique. Mais par un abus de pouvoir institué, la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie avait ordonné à ses fonctionnaires de refuser par les moyens les plus extravagants cette exemption. Car la DEB n'a qu'un but: détruire au maximum les ouvrages, sinon entraver au maximum leur relance et leur usage pour les prétendre ensuite sans utilité. Le conseil d'Etat vient de mettre fin à cet abus en rappelant la loi, et l'avocat Me Jean-François Remy expose toutes les conséquences de cette décision, qui va permettre d'exiger désormais l'exemption aux services du préfet. Cette condamnation vient après plusieurs autres qui témoignent d'un dysfonctionnement majeur du ministère et de l'administration de l'écologie dans la mise en oeuvre de la continuité des rivières. Des dogmes militants sinon intégristes de "rivière sauvage" ont manifestement infiltré certains services de l'Etat ou d'établissements publics, sans aucune base légale. La loi Climat et résilience en cours de discussion doit impérativement mettre fin à cette politique aberrante de destruction, de harcèlement et de dévalorisation du patrimoine hydraulique français.
Comme de nombreux autres maîtres d'ouvrage en France, la société MDC Hydro sur l'Andelle avait subi le 4 décembre 2012 un arrêté du préfet de l'Eure tenant à lui imposer la mise en conformité à la continuité écologique en condition de reconnaissance de son autorisation. Cet arrêté avait été annulé par le conseil d'Etat (arrêt n° 408663 du 22 octobre 2018), mais la cour d'appel de renvoi de Douai n'avait fait que partiellement droit à la demande de la requérante. Il s'agissait en particulier de faire reconnaître le statut de moulin à eau du site, et par là de faire jouer l'exemption de continuité écologique prévue par la loi dans l'article L 214-18-1 du code de l'environnement.
Rappelons que cet article dispose : "Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l'article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l'autorité administrative mentionnées au même 2°."
L'administration acquise à l'idée de détruire les ouvrages et de ne pas les équiper contournait encore ce progrès de la loi, soit en considérant qu'un ouvrage en rivière antérieurement classé "passe à poissons" (ancien article L 432-6 code de l'environnement) n'était pas régulièrement installé, soit en donnant une définition abusivement limitée au moulin à eau.
Le conseil d'Etat vient de censurer de manière définitive ces manoeuvres de l'administration et de rétablir dans leurs droits les victimes de ces manoeuvres.
Dans leur arrêt, les conseillers rappellent ainsi :
"Il résulte des dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires relatifs à la loi du 24 février 2017, qu’afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau, le législateur a entendu exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation d’exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L. 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau. Les dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement ne peuvent ainsi être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet."
Dès lors, quand bien même il aurait fait l'objet d'un classement passe à poissons suite à la loi de 1984 (arrêtés de classement des années 1980) ou d'un classement continuité écologique suite à la loi de 2006 (arrêtés de classement liste 2 des années 2012-2013), un moulin à eau équipé pour produire de l'hydro-électricité ou ayant simplement le projet de cet équipement ne peut plus se voir imposer la continuité au titre de l'article L-214-17 code de l'environnement.
Devant les tribunaux comme devant le parlement, l'heure est à la mobilisation !
Le commentaire de Me Jean-François Remy
Par une décision rendue hier, lundi 31 mai 2021, dans un dossier suivi par notre Cabinet (n°433043 du 31 mai 2021), le Conseil d’Etat vient de censurer la doctrine de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/DEB du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, concernant l’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, communément qualifié d’«amendement moulins».
Pour mémoire, par l’article 15 de la loi du 24 février 2017, les parlementaires – sensibilisés depuis plusieurs années aux excès de la continuité écologique, et en particulier aux destructions de moulins hydrauliques préconisées par le plan de rétablissement de la continuité écologique appliqué depuis 2010 par l’Etat, ses services déconcentrés et établissements publics – ont inséré au Code de l’environnement un nouvel article aux termes duquel «Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées aux même 2°. Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n°2017-227 du 24 février 2017 (…)».
En clair, par ce dispositif, les parlementaires – mais aussi la Ministre de l’environnement de l’époque, Madame Ségolène Royal – ont souhaité assurer la préservation des moulins hydrauliques qui, tout en présentant une incidence mineure sur la continuité écologique (à ce sujet, les débats parlementaires indiquent que l’existence des quelques 10 000 moulins hydrauliques actuellement recensés «ne remet pas en cause, d’ores et déjà le très bon état écologique des rivières»), constituent un pan majeur du patrimoine français à protéger, et enfin recèlent un potentiel de développement de la production d’électricité d’origine renouvelable estimé au cours des débats parlementaires entre 120 et 130 mégawatts.
Les interventions de Monsieur Ladislas Poniatowski et de Madame Anne-Catherine Loisier, au Sénat, ayant également permis de préciser que sont visés par ce texte, tous les moulins hydrauliques situés sur des cours d’eau classés en Liste 2, qu’ils produisent d’ores et déjà de l’électricité ou que leur propriétaire ait simplement un projet visant à en produire.
Ce texte devait une fin de partie pour les casseurs ainsi que les admirateurs zélés des excès de la continuité écologique, en tout cas pour ce qui concerne les moulins.
Toutefois, adopté contre l’avis de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/DEB du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, ce texte a très rapidement fait l’objet de directives à l’attention des services déconcentrés de l’Etat, Préfet, DDT, Dreal, Agences de l’Eau, etc., qui visaient ouvertement à en réduire drastiquement le champ d’application.
La Direction de l’Eau et de la Biodiversité ayant ainsi – alors que l’administration est constitutionnellement en charge de l’application de la loi – demandé à ses services de ne pas appliquer le dispositif nouvellement voté conformément au texte, mais aussi à l’intention du législateur.
Ce qui est parfaitement scandaleux.
Ainsi, par une note non datée transmise à l’ensemble des services de l’Etat dès le moi de mai 2017, dont l’analyse a par ailleurs fait l’objet depuis de nombreuses confirmations à l’occasion de questions parlementaires, la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a demandé aux Préfets, services DDT, Dreal, AFB, etc. de considérer que :
- Seraient des moulins au sens de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, uniquement les ouvrages visant à convertir des blés tendres en farine répondant à la définition des activités de minoterie contenue à l’article D 666-16 du Code rural et de la pêche maritime. Ceci en violation de la définition du moulin hydraulique donnée par l’article L 211-1 III du Code de l’environnement, selon laquelle constituent des moulins hydrauliques les «ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers».
- Seuls les moulins déjà équipés pour produire de l’électricité à la date du 24 février 2017 (date de publication du nouvel article L 214-18-1 du Code de l’environnement) ou dont le projet d’équipement pour produire de l’électricité aurait été porté à la connaissance de l’administration avant cette date, pourraient bénéficier de ce dispositif. Ceci alors que le texte et les débats parlementaires ne visaient que la nécessité d’être fondé en titre au autorisé avant l’entrée en vigueur de ce dispositif, et non que le projet de production d’électricité soit effectivement porté à la connaissance de l’administration avant cette date.
- Enfin, les moulins situés sur des cours d’eau anciennement classés au titre de l’article L 432-6 du Code de l’environnement, et désormais classés au titre de la Liste 2 (article L 214-17 I 2° du Code de l’environnement), ne pourraient pas bénéficier de ce dispositif, la DEB prétendant à ce sujet faire application d’une jurisprudence du Conseil d’Etat rendue pour l’application de l’article L 214-17 du Code de l’environnement. Ceci en violation manifeste de la volonté exprimée par le législateur, visant à ce que tous les moulins situés sur des cours d’eau classés en Liste 2 bénéficient de ce nouveau dispositif.
Remaniée au cours des échanges intervenus dans le cadre du Groupe de Travail « Continuité écologique apaisée » du CNE, cette note n’en demeurait pas moins globalement illégale, et conduisait sur le terrain à de très nombreux refus d’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement par les Préfets et DDT.
Saisi dans le cadre de plusieurs contentieux en cours à ce sujet, le Conseil d’Etat vient de rendre une première décision (il y en aura donc d’autres dans les mois à venir) qui censure la doctrine de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité.
Au sujet de l’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, la haute juridiction considère en effet – conformément à ce que nous soutenions depuis 2017 – que :
« Il résulte des dispositions de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires à la loi du 24 février 2017, qu’afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau, le législateur a entendu exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation d’exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau. Les dispositions de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement ne peuvent ainsi être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet ».
Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.
Dans ces conditions :
La doctrine de la DEB relative à l’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement étant censurée, les services de l’Etat ne sont pas fondés (ils ne l’ont jamais été…) à refuser l’application de ce dispositif à l’ensemble des moulins fondés en titre ou autorisés avant le 24 février 2017 situés sur des cours d’eau classés en Liste 2, dès lors qu’ils sont équipés pour produire de l’électricité, ou bien encore s’ils font l’objet d’un tel projet (même non encore porté à la connaissance de l’administration).
Toute décision administrative contraire est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou bien encore si un recours a déjà été engagé, dans le cadre du contentieux en cours.
Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions, au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.
Enfin, pour tous les ouvrages de franchissement piscicole qui auraient été construits sur exigence de l’administration depuis 2017, sur des moulins hydrauliques bénéficiant des dispositions de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement mais dont l’administration aurait refusé l’application, il est possible de saisir le Préfet d’une demande d’indemnisation des coûts liés à la mise en œuvre irrégulière de ces ouvrages.