10/07/2021

Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)

Des chercheurs français montrent qu'une retenue d'eau sur une rivière joue un rôle bénéfique dans une tête de bassin agricole, en ayant tendance à éliminer les résidus de pesticides et à délivrer une eau moins polluée à l'aval. Cette recherche, qui s'ajoute à de nombreuses autres, permet de constater à nouveau le flagrant délit de mensonge du ministère de l'écologie et des agences de l'eau. Ces autorités publiques ont vendu la continuité écologique par destruction d'ouvrages et de retenues en prétendant que cela favorisait l'auto-épuration de l'eau. C'est totalement faux et c'est d'autant plus grave que ces mêmes autorités sont incapables de réduire les pollutions à la source. On préfère casser du moulin et de l'étang que traiter les vrais problèmes de l'eau. 


La pollution diffuse et aiguë de l'eau par les pesticides est aujourd'hui une préoccupation mondiale majeure pour la santé et l'environnement. En Europe, la quantité totale de pesticides utilisés annuellement est passée de 440000 tonnes à plus de 475000 tonnes entre 2000 et 2017 (FAO, 2020). La France (16 % de toutes les terres agricoles de l'Union européenne) se classe parmi les pays ayant la plus forte consommation de pesticides, avec plus de 69600 tonnes utilisées pour l'agriculture.

Outre la réduction des pesticides à la source et l'interdiction des plus dangereux se pose la question des meilleurs moyens de réduire et éliminer les charges toxiques dans les milieux. 

Comme le notent François Le Cor et ses collègues dans une recherche venant de paraître, "les petits plans d'eau (c'est-à-dire de 0,1 à 100 ha) semblent également jouer un rôle important dans la préservation des cours d'eau d'amont. Les étangs semblent avoir des capacités d'atténuation des pesticides importantes, mais sous-estimées (Gaillard et al., 2015, 2016 ; Grégoire et al., 2009). Bien que de petite taille, ces plans d'eau, additionnés, couvrent une superficie trois fois plus grande que celle couverte par les grands lacs naturels et artificiels en France. A l'échelle européenne, elles couvrent près de 270 000 km2 (Bartout et Touchart, 2018). Habituellement, une forte densité de petits plans d'eau se produit en tête des bassins versants agricoles (Drożdżyński, 2008 ; Lazartigues et al., 2012) ; ils sont donc, dès l'origine des réseaux hydrographiques, sur le chemin de la contamination par les pesticides. De plus, ils peuvent aussi être particulièrement sujets à des transferts de produits de transformation (TP) (Ulrich et al., 2018), ce qui les rend encore plus pertinents dans la compréhension des deux niveaux de contamination (c'est-à-dire avec les composés parents et le TP). Les données de terrain concernant la contamination des étangs par les pesticides sont rares et, même si certaines existent (Gaillard et al., 2016 ; Lazartigues et al., 2013 ; Ulrich et al., 2018), elles prennent rarement en compte la TP. La collecte de données environnementales sur les pesticides et les TP semble donc nécessaire pour prédire les effets écotoxicologiques qui peuvent survenir."

Les chercheurs ont donc examiné les concentrations en pesticides et en transfert de leurs produits transformés en amont et en aval d'un étang de Lorraine, situé sur la rivière Seille.


Voici le résumé de leur recherche :

"En France, plus de 90 % des cours d'eau surveillés sont contaminés par des pesticides. Ce niveau de contamination élevé augmente en tête des bassins versants agricoles, où les capacités de dilution sont faibles et le transport depuis les terres traitées est direct. Les étangs, nombreux autour des cours d'eau d'amont, pourraient offrir une protection supplémentaire contre la pollution par les pesticides. En raison de leur long temps de séjour hydraulique et de leurs grands volumes d'eau, ils atténuent les concentrations de pesticides entre amont et aval des rivières. Cependant, les produits de transformation des pesticides peuvent également être responsables de la dégradation des milieux, du fait de leur présence à des concentrations élevées et de leur persistance, mais les données associées sont rares, notamment en raison de leur niveau élevé de diversité moléculaire. 

Nous avons d'abord rendu compte de l'état de contamination de l'eau dans les cours d'eau de tête de bassin agricole, sur la base d'échantillonnages d'eau à haute fréquence. L'analyse de 67 molécules (HPLC-ESI-MS/MS) a montré des mélanges de pesticides et de produits de transformation de pesticides contenant jusqu'à 29 composés différents dans un échantillon. Quel que soit le lieu d'échantillonnage, les produits de transformation représentaient au moins 50 % des composés détectés. 

Ensuite, nous avons démontré la capacité d'un étang à réduire les concentrations de contaminants dans les rivières en aval pour 90 % des composés détectés. En amont de ce bassin, les normes de qualité environnementale ou écotoxicologiques ont été dépassées lors des prélèvements, avec des concentrations cumulées de pesticides et de produits de transformation pouvant atteindre 27 27g/L. En aval du bassin d'étude, peu de dépassements ont été observés, avec une concentration totale maximale de 2,2 μg/L, traduisant une amélioration significative de la qualité de l'eau."

Discussion
Notre association a documenté depuis 10 ans que les retenues et plans d'eau ont des effets plutôt bénéfiques sur l'épuration de l'eau, pour les nutriments comme pour certains polluants. Cela fait partie des services écosystémiques reconnus de ces milieux, qui sont souvent d'origine humaine. Cette nouvelle recherche ajoute donc une pièce à un dossier déjà bien rempli. Elle nourrit une réflexion nécessaire sur des paiements pour services écosystémiques qui pourraient être associés à la bonne gestion des retenues et plans d'eau. 

Bien entendu, l'objectif n'est pas de se satisfaire des pollutions à la source. Mais à pollution donnée, il est préférable de conserver les nombreuses retenues qui agrémentent les rivières françaises et qui agissent comme des filtres évitant l'excès de pollution de l'aval et des estuaires. 

Le point scandaleux dans le cas français est que les autorités en charge de l'eau (ministère de l'écologie, agences de l'eau, syndicats de rivières) ont diffusé et diffusent parfois encore des informations fausses et trompeuses à ce sujet. Il a en effet été prétendu aux décideurs et aux citoyens que la destruction des ouvrages et de leurs retenues aurait un effet bénéfique sur "l'auto-épuration", c'est-à-dire la capacité de la rivière à éliminer elle-même des polluants. C'est inexact et cette doctrine n'a encouragé que la libre-circulation des toxiques dans les eaux de surface et dans les nappes. Il est vrai que casser du moulin et de l'étang, c'est plus facile que s'attaquer aux sources des pollutions... 

05/07/2021

L'Europe ouvre une procédure en justice contre la pollution des eaux usées en France

La Commission européenne vient de constater que la France ne traite toujours pas correctement ses eaux usées, alors que la directive concernée devait être appliquée depuis 2005. La Cour de justice européenne a été saisie, avec risque d'amende pour l'Etat et les collectivités concernées. Ces collectivités devraient demander aux agences de l'eau de cesser de dilapider l'argent public dans des dépenses somptuaires: notre pays a déjà été régulièrement condamné pour son mauvais traitement des pollutions affectant la santé humaine et les milieux naturels. Il y a plus urgent et plus utile pour l'eau en France que de détruire des moulins et des étangs. 


Eutrophisation et prolifération d'algues bleues, CC AS-A 3.0, Lamiot.

Déjà en retard sur la transition bas carbone, la France l'est aussi sur la dépollution de ses rivières, plans d'eau, estuaires et nappes. 

La Commission européenne a saisi en juin 2021 la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours contre la France pour non-respect des exigences de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (directive 91/271/CEE). Cette directive impose aux États membres de veiller à ce que les collectivités (villes, métropoles, agglomérations d'assainissement) collectent et traitent leurs eaux usées. Ces dernières peuvent être contaminées par des microbes présentant un risque pour la santé humaine, mais contiennent aussi des polluants et nutriments (azote, phosphore) susceptibles de nuire aux réserves d'eau douce et au milieu marin  (eutrophisation, prolifération d'algues). 

Le retard français n'est pas nouveau : notre pays aurait dû se conformer pleinement aux exigences de la directive depuis 2005. Mais aujourd'hui encore, plus de 100 agglomérations de plus de 2 000 habitants ne respectent pas la loi. Quinze d'entre elles sont aussi en infraction sur d'autres exigences de la directive de protection des zones sensibles contre les nutriments. 

La Commission avait adressé une lettre de mise en demeure aux autorités françaises en octobre 2017, puis un avis motivé en mai 2020. Les lacunes de la réponse des autorités françaises ont conduit la Commission à saisir la Cour de justice.

La loi Notre a établi un partage de la responsabilité financière entre l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements en cas de condamnations pécuniaires décidées par la CJUE.

Comme d'habitude, on se demande pourquoi les agences de l'eau (principale planificateur et financeur public des bassins) dépensent des sommes considérables pour des restaurations morphologiques qui ne sont nullement obligatoires au terme des directives européennes, alors que notre pays est en retard dans l'application de plusieurs textes sur les pollutions de l'eau. 

01/07/2021

Le conseil d'Etat ordonne au gouvernement d'accélérer la transition bas-carbone

La France n'est pas dans les clous pour respecter ses engagements internationaux et ses lois énergie-climat : le conseil d'Etat vient de le constater dans un arrêt et d'ordonner au Premier Ministre de prendre toutes les mesures nécessaires sous huit mois. Cela tombe bien : dans le même temps, les sénateurs ont voté une proposition de loi de promotion de l'hydro-électricité, que les députés doivent examiner. La ministre de l'écologie Barbara Pompili avait émis des avis négatifs sur les protections et relances des moulins et petits barrages, montrant bien que le dogmatisme de ce ministère sur cette question agit désormais contre l'intérêt général du pays et contre sa transition énergétique. Mais décision après décision, les tribunaux et les cours ne cessent de condamner cette posture. Il est de temps de changer de doctrine et surtout de changer de braquet. Les destructions de sites producteurs ou potentiellement producteurs d'énergie hydraulique renouvelable sont à proscrire, les instructions des relances de ces sites doivent être simplifiées et accélérées sur toutes les rivières. 


Un exemple de scandale en cours : les extrémistes de la continuité dite "écologique", dont l'agence de l'eau Seine-Normandie, ont choisi de fermer et casser l'usine hydro-électrique de Pont-Audemer sur la Risle (photo, DR), alors qu'elle était parfaitement fonctionnelle et qu'un repreneur privé se proposait de poursuivre la production. Des millions d'euros d'argent public pour faire reculer la transition bas-carbone au nom de dogmes: ces pratiques inacceptables doivent dorénavant cesser ou faire l'objet de plaintes en justice, car ni les lois ni la jurisprudence ne permettent plus de tels arbitrages. 

Saisi notamment par la commune de Grande-Synthe (Nord) et plusieurs associations (Oxfam France, Greenpeace France, Notre Affaire A Tous, Fondation Nicolas Hulot), le conseil d’État avait demandé au gouvernement en novembre dernier de justifier, dans un délai de trois mois, que la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 (- 40 % par rapport à 1990) pourrait être respectée sans mesures supplémentaires. 

À la suite de la transmission de nouveaux éléments, une nouvelle instruction contradictoire a été ouverte et une audience publique s’est tenue le 11 juin dernier au conseil d'État.

Dans un arrêt vendant d'être rendu, le conseil d'État n'est pas convaincu par les informations du gouvernement : il fait droit à la demande de la commune et des associations en observant que le respect de la trajectoire bas-carbone de la France, qui prévoit notamment une baisse de 12 % des émissions pour la période 2024-2028, n’apparait pas atteignable si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées rapidement. 

Le conseil d'État estime qu’il ressort des avis publiés entre 2019 et 2021 par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Haut conseil pour le climat (HCC), que cet objectif de réduction de 12 % ne pourra être atteint en l'état des politiques publiques.

Le conseil d'État constate en outre que l’accord entre le parlement européen et le conseil de l’Union européenne en avril 2021 a relevé l’objectif de réduction des émissions gaz à effet de serre de 40 à 55 % par rapport à leur niveau de 1990 : non seulement la France n'atteint pas ses objectifs présents, mais elle va devoir les relever.

En conséquence, le conseil d'Etat "enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022."

Coïncidence de l'actualité : les sénateurs ont adopté en avril dernier une proposition de loi pour la promotion de l'hydro-électricité, malgré l'opposition de la ministre de l'environnement Barbara Pompili (qui joue donc contre l'urgence climatique et contre la nécessité d'accélérer la transition énergétique partout). Les sénateurs ont souligné le scandale actuel de la destruction sur argent public des moulins et des barrages, parfois des usines productrices d'hydro-électricité. Les députés doivent examiner cette loi sous trois mois après son adoption au Sénat. Nos lecteurs doivent donc écrire instamment à leur député pour exiger d'arrêter la casse de tous les ouvrages et barrages en rivière, de faciliter leur équipement et gestion au service de la transition écologique et de l'adaptation au changement climatique. 

Enfin, cette décision du conseil d'Etat ouvre pour notre association, pour les fédérations moulins-riverains et pour les syndicats électriciens une nouvelle perspective pour engager des contentieux : les fonctionnaires "eau et biodiversité" qui entravent ou interdisent la relance de sites hydro-électriques, voire qui engagent des destructions d'ouvrages producteurs ou potentiellement producteurs, s'inscrivent clairement dans la carence fautive à prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer le bilan carbone du pays et réduire l'usage d'énergie fossile. Il faudra donc que de telles entraves fassent l'objet de plaintes en justice si elles devaient encore persister, à l'encontre des lois déjà votées par le parlement, des décisions du conseil d'Etat et de l'urgence climatique.

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n°427301, 1er juillet 2021 

30/06/2021

Le lobby des pêcheurs continue de casser les ouvrages et assécher les étangs en catimini

La presse rend compte des opérations de destruction du patrimoine hydraulique français, alors que députés et sénateurs ont exigé que cessent ces aberrations. A Saint-Gilles-Vieux-Marché dans les Côtes d'Armor, c'est un ouvrage vieux de quatre siècles qui a été démoli au petit matin, pour éviter les riverains opposés à cette destruction de leur cadre de vie. Moralité : attaquez tout projet en justice dès le départ, organisez la défense des sites menacés par les casseurs, informez vos parlementaires que l'administration persiste à accompagner et financer les démolitions et assèchements de sites, avec les lobbies qu'elles subventionnent pour défendre cette politique décriée. Et bien sûr, informez les riverains, ne donnez plus aucun droit de pêche sur vos rives aux casseurs-pêcheurs incapables de respecter les autres usages de l'eau : les intégristes ne doivent plus être les bienvenus dans les bassins versants. 

Les riverains ulcérés de subir les diktats de la fédération de pêche couverte par l'administration eau & biodiversité. DR

Article : 

"La digue de l’étang de Gourveaux, à Saint-Gilles-Vieux-Marché (Côtes-d’Armor), a été détruite mercredi 30 juin 2021.

Il était 6 h du matin quand la digue a cédé sous les assauts du tractopelle arrivé à l’aurore. Mettant ainsi fin à plus de quatre siècles d’histoire locale, à 10 ans de combat acharné des riverains, aux espoirs des Saint-Gillois dans les promesses renouvelées pendant la toute récente campagne électorale.

Face à face : Maurice Lebranchu, président de la fédération départementale de la pêche, deux de ses administrateurs et puis… le tractopelle. De l’autre, cinq riverains, toujours sur le qui-vive, dont les propriétaires du moulin de Gourveaux, particulièrement concernés par la destruction de la digue et les incessantes coulées de boue, ainsi que le maire, Laurent Bertho, très, très en colère. (...)

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26/06/2021

Les sciences de la nature doivent-elles dicter leurs choix aux citoyens? Réponse à deux chercheurs

Deux chercheurs français ont publié dans la revue Nature une correspondance d'opinion sur le choix du parlement français de protéger les moulins à eau de la destruction promise au nom de la continuité écologique. Nous la traduisons et leur répondons ici.


Pour nos lecteurs non anglophones, nous publions ci-dessous le texte des chercheurs, dont l'original peut-être lu sur le site de Nature

Le vote français pour les obstacles en rivière défie la stratégie de biodiversité
Simon Blanchet & Pablo A. Tedesco
  
Les rivières européennes sont perturbées par plus d'un million de barrières artificielles, notamment de petits barrages, des déversoirs et des gués (voir, par exemple, B. Belleti et al. Nature 588, 436-441 ; 2020). Il existe de solides preuves scientifiques que de telles obstructions peuvent nuire aux systèmes hydrologiques et écologiques, mais le parlement français a voté pour les laisser en place (voir go.nature.com/3ck9mxq).

En limitant le transfert de sédiments et le mouvement des organismes, ces petites barrières créent une succession de tronçons d'eau stagnante et se réchauffant qui menace la biodiversité des eaux douces (M. R. Fuller et al. Ann. NY Acad. Sci. 1335, 31-51 ; 2015). Le démantèlement de ces petits obstacles est le moyen le plus efficace de restaurer la connectivité des rivières et est désormais un objectif mondial (J. E. O'Connor et al. Science 348, 496-497 ; 2015).

La décision du parlement français va à l'encontre de la stratégie de l'UE pour la biodiversité. Il n'a pas non plus de justification économique. La plupart des petits obstacles ne peuvent pas produire d'hydroélectricité et celles qui peuvent contribuer à moins de 1 % de l'électricité française (voir go.nature.com/2rphjch).

À notre avis, le sort de chaque obstacle devrait être décidé en équilibrant ses avantages écologiques et ses coûts socio-économiques.

Nature 594, 26 (2021)
doi: https://doi.org/10.1038/d41586-021-01467-0

Réponse à MM. Blanchet et Tedesco

Voici notre réponse, en forme de précisions et de réflexions :

> le parlement français n'a pas demandé de conserver tous les obstacles en rivière, qui sont de nature très différente (de la buse au grand barrage). Il a acté que les ouvrages des moulins à eau ne devaient pas détruits au titre de l'article L 214-17 du code de l'environnement, ce qui ne prive nullement le propriétaire de la possibilité de le détruire au titre de l'abandon volontaire de son droit d'eau. Le parlement français a ainsi condamné une dérive de la politique de l'eau où l'administration avait tenté de contraindre systématiquement à la destruction de sites patrimoniaux par des pressions réglementaires et financières. 

le parlement français n'a pas voté un abandon de la continuité écologique sur certaines rivières classées à ce titre par la loi de 2006, donc la franchissabilité piscicole et le transit sédimentaire suffisant peuvent toujours être exigés, mais par d'autres moyens que la destruction (gestion de vanne, rampe rustique, passe technique, rivière de contournement). Assimiler la fonctionnalité de connectivité ou continuité à la seule solution de destruction n'est pas cohérent (ou c'est un choix radical qui ne veut pas dire son nom) : il existe des degrés de connectivité (comme il existe, si l'on veut, des degrés de naturalité).

aucune loi française ni européenne n'a posé comme norme que la naturalité totale d'un cours d'eau (au sens de cours d'eau échappant à toute influence humaine qualitative ou quantitative) était l'objectif des politiques publiques. Car c'est tout bonnement impossible, et probablement non souhaitable. Ces politiques évaluent des impacts positifs et négatifs,  arbitrent des coûts, des risques et des bénéfices, ainsi que des règles de droit (dont les règles fondamentales des constitutions, relatives notamment à la propriété).

dans une démocratie et un Etat de droit, le "sort des ouvrages" (de manière générale, le sort des personnes et des biens) est d'abord décidé par le droit ; précisément, le parlement produit le droit dans des lois conformes à la constitution, le juge contrôle et interprète le droit. Le droit de la démocratie moderne vise notamment à protéger les citoyens de décisions arbitraires d'un pouvoir public, sans quoi il serait aisé à n'importe quelle idée séduisant n'importe quelle majorité ou pouvoir du moment d'engager des pressions indues sur des minorités ou des personnes. Si l'on intervient dans le débat politique (ce que font s'ils le veulent les chercheurs), il faut aussi disposer des connaissances propres à la structure et à la contrainte de ce débat. La décision publique de détruire un bien privé se place assez haut dans l'échelle de gravité des décisions. C'est pourquoi elle est très encadrée par le droit et ne relève pas de la routine d'une décision plus ou moins subjective de quelques-uns. 

la stratégie européenne pour la biodiversité est un texte non contraignant (émanant de la Commission) fixant un horizon 2030. Dans le domaine des rivières, cette stratégie demande que 25 000 km de tronçons européens garantissent la continuité écologique. Cet objectif appliqué au linéaire français de rivière par rapport au linéaire européen impliquerait pour notre pays de traiter environ 5000 km de rivière. Or, cet objectif est déjà dépassé par la France dans ses actions de continuité (notre pays a classé 46 615 km de rivières en liste de 2 de continuité écologique, soit à lui seul près du double de l'objectif total de la Stratégie Biodiversité 2030 de l'Europe). La référence complète à ce que dit le texte européen illustre surtout le manque de réalisme, de concertation et de modération de l'administration française "eau et biodiversité", ce qui explique notamment les problèmes de cette politique publique de continuité des cours d'eau.

il est inexact d'affirmer que les ouvrages visés par la loi qui est l'objet de l'article ne peuvent pas produire de l'électricité, plusieurs milliers le font déjà, et plus encore plusieurs dizaines de milliers peuvent le faire. La part de cette production dans le mix énergétique est modeste, mais les chercheurs travaillant sur la question énergie-climat considèrent que toutes les sources renouvelables d'énergie devront être mobilisées pour atteindre l'objectif de neutralité carbone 2050 et de limitation du réchauffement moderne au plus près de +1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle. Au demeurant, lorsque des Etats ne prennent pas les mesures de prévention du réchauffement climatique, ils font désormais l'objet de condamnation devant les cours de justice. Bien que le cas n'ait pas encore été évalué par un juge, on peut considérer que l'administration est en faute si elle tente d'empêcher ou ralentir l'adoption de production bas-carbone sur un site autorisé à ce titre, voire de détruire un site producteur. Cela rappelle à nouveau que l'articulation entre science, politique et droit est complexe.

la science (écologique et hydrologique) des petits ouvrages est loin d'être encore stabilisée, car l'essentiel des travaux de recherche depuis 50 ans a concerné les moyens et grands barrages. En particulier, les ouvrages visés par la loi (ouvrages anciens de moulins à eau, de taille modeste et présents depuis des siècles) sont assez peu étudiés dans leur spécificité. Si les ouvrages peuvent avoir des impacts négatifs démontrés (sur certaines espèces, sur certaines fonctionnalités) puisqu'ils changent la nature locale des milieux aquatiques (donc désavantagent celles des espèces adaptées à certains de ces milieux), des travaux ont aussi montré que les choses ne sont pas en noir et blanc, que les réalités locales sont variables et contingentes (interdisant de généraliser des jugements écologiques comme le font certains textes réglementaires), que les ouvrages sont aussi associés à des régimes écologiques alternatifs de la rivière ainsi qu'à des services écosystémiques (lire ce dossier pour quelques exemples de ces travaux, lire ce livre récent de chercheurs français). De la même manière, une discipline comme l'écologie de conservation (de la biodiversité) n'a pas des paradigmes uniques, les chercheurs discutant entre eux sur ce qu'il faut conserver, pourquoi et comment il faudrait le conserver. Des discussions de la communauté scientifique sur les nouveaux écosystèmes ou écosystèmes culturels, sur l'évolution de la biodiversité, sur le statut des espèces exotiques dans l'estimation de la diversité et de la fonctionnalité des milieux témoignent de la vitalité de ces échanges, vis-à-vis desquels nous devons garder un esprit ouvert.

l'existence d'un impact ne dit rien de sa gravité relative, à supposer que cette "gravité" soit un jugement scientifique et non politique ou moral. La physique, la biologie et la chimie de la rivière étant affectées par de multiples causes, des travaux de recherche en hydro-écologie quantitative ont essayé de mesurer le poids relatif des densités d'obstacles en rivière par rapport à d'autres facteurs de dégradation de qualité de l'eau au sens de la directive cadre européenne. Ces travaux n'ont pas trouvé un poids important pour le facteur obstacle, alors que ces travaux ont montré un poids important pour le facteur pollution de l'eau et pour le facteur usage agricole / urbain des sols du bassin versant (lire le même dossier pour les références). Il paraît donc normal de ne pas faire de la continuité en long un objet majeur des politiques publiques en France et en Europe, alors que la recherche montre la prégnance d'autres dégradations, dont certaines ont par ailleurs d'autres effets indésirables écologiques, sanitaires et sociaux (cas des pesticides et des fertilisants, par exemple). 

plus fondamentalement, la science de la rivière ne se limite pas à la science de la nature, car la rivière est à la fois un fait naturel, un fait historique, un fait social et un fait économique. On ne voit guère au nom de quelle hégémonie épistémologique ou de quelle ontologie confiscatoire l'écologie (comme science) prétendrait seule définir scientifiquement ce qu'est (et encore moins ce que doit être) une rivière. Nous avons besoin d'une approche multidisciplinaire où les sciences naturelles de l'eau prennent l'habitude d'échanger avec les sciences sociales et les humanités de l'eau. Avant cela, nous avons besoin de politiques publiques de recherche où toutes les disciplines peuvent mener des programmes d'enquête scientifique sur l'eau dans toutes ses dimensions. En France, nous avons plutôt une carence de budget sur les sciences sociales et les humanités de l'eau (géographie, histoire, sociologie, droit, économie, science politique...).

enfin, nous vivons dans des démocraties parlementaires et non pas dans des technocraties scientistes (ni des hydrocraties). Cela signifie que le rôle de la science est d'apporter au débat démocratique des informations complètes, robustes, claires, honnêtes, dénuées de biais, d'opinions ou d'idéologies cachés au citoyen ou au décideur, mais que le rôle de la politique est de choisir ce que les citoyens et leurs représentants préfèrent, sans avoir la science comme unique source d'information sur la réalité. Au demeurant, la crise de pandémie covid-19 a clairement montré l'existence de ces arbitrages : la préférence de tels spécialistes de telle discipline n'est pas forcément la préférence politique et sociale. Dans le cas qui nous occupe, cela signifie que la "naturalité" de l'eau telle que définie par des sciences naturelles de la rivière (ou même sa complexité telle que définie par plusieurs sciences) ne sera pas un objectif en soi, simplement un paramètre du débat démocratique parmi d'autres. 

En conclusion, les lecteurs de Nature ont subi des simplifications dans le compte-rendu de la politique française des ouvrages hydrauliques. Ce n'est pas ainsi que nous parviendrons à de bons rapports entre les citoyens sur l'avenir de leurs cadres de vie, incluant les rapports entre la recherche et ces citoyens. En particulier, l'écologie de l'eau et des rivières doit intégrer pleinement la complexité de son objet, qui ne résume pas à un fait de nature qu'il s'agirait de rendre à sa naturalité. Le cas conflictuel des ouvrages hydrauliques a montré qu'il est vain d'entretenir un dialogue de sourds ou un rapport de forces au lieu d'acter qu'il existe plusieurs visions ou ontologies de l'eau et de la rivière, plusieurs états désirables possibles de la nature. On doit chercher des compromis qui permettent à ces visions de se réaliser, plutôt que prétendre à une vue unique devant s'imposer à tous, cette vue fût-elle avancée au nom de la science.

PS : si MM. Blanchet et Tedesco souhaitent préciser leurs vues à nos lecteurs, ces pages leur sont bien sûr ouvertes.