05/02/2022

Analyser la biodiversité des sites de production hydro-électrique

Des producteurs d'énergie ont engagé une première étude de la biodiversité faune-flore autour de 5 sites hydro-électriques. Une excellente initiative, qui permet de faire l'inventaire des gagnants et des perdants en faune et flore, ainsi que de nourrir des réflexions sur l'amélioration de la gestion du site tout en préservant son emploi utile. Une fois admis que l'idéal de la "rivière sauvage sans humain" ne concernera jamais qu'une petite fraction des cours d'eau en raison des évolutions démographiques, économiques et techniques de nos sociétés, il faut engager sur les autres rivières des propositions constructives où l'écologie se concilie avec les ouvrages hydrauliques et leurs usages.


Le syndicat France Hydro Electricité a mené une étude de biodiversité sur 5 sites de ses adhérents producteurs. Cette étude a notamment compilé :
  • des inventaires faunistiques et floristiques, des données hydrauliques, hydrologiques, hydro-morphologiques et sédimentaires, parfois physico chimiques ainsi que de documents iconographiques et cartographiques
  • des compte-rendus de prospection ou observations par tierce personne.
  • une prospection et cartographie au niveau du milieu aquatique et terrestre,
  • une analyse fonctionnelle de chaque site en croisant le descriptif des habitats aquatiques et terrestres avec leur utilisation observée ou présumée par les espèces inventoriées. 
Le travail a été conclu par un débat a été engagé avec deux bureaux d’études spécialisés (Eaucea en hydraulique et Biotec sur la biodiversité) afin de dégager sur chaque site les impacts jugés à priori pénalisants pour la biodiversité, tout autant que la potentialité écologique des masses d'eau et terrains environnants. 

Nous publions ci-dessous un extrait des principales conclusions de l'étude. Elles confirment ce qui est déjà observable dans la littérature spécialisée et dans l'analyse du terrain du patrimoine hydraulique : si les ouvrages modifient la physique, la chimie et la biologie de l'eau, en pénalisant certaines espèces spécialisées (migratrices, lotiques), ce ne sont nullement des déserts de biodiversité. En particulier quand on prend en compte l'ensemble de la faune et de la flore susceptible de profiter des habitats en eau et berge créés par les ouvrages. Au demeurant, les étangs et les moulins les plus anciens sont souvent devenus de nouveaux écosystèmes anthropiques. Il faut donc engager une autre écologie que des approches quelque peu simplistes où une nature sans humain serait la seule naturalité concevable ou désirable. Ce qui mène à des non-sens et des impasses dans le cas de l'eau, puisque les usages sociaux et économiques de l'eau sont permanents et ont, déjà de très longue date, fait évoluer les fonctionnalités et les peuplements des rivières. 

Que retenir de cette étude préliminaire ?

Le fait le plus important est que ces milieux aménagés sont le support d’une biodiversité importante. Les nouveaux milieux créés fournissent les habitats et la nourriture nécessaires à une faune riche et diversifiée qui s’y maintient naturellement.

D’évidence, la morphologie est l’un des paramètres prépondérants pour la biodiversité, directement liée aux habitats disponibles dans et à proximité du cours d’eau (et l’occupation des berges pour les milieux terrestres).

Mais, le tronçon influencé possède un régime hydrologique artificialisé, il ne subit plus les mêmes fréquences et intensités des crues (modification des conditions hydrologiques) que le cours d’eau, et cela en modifie la dynamique naturelle, morphologique et biologique. A cet égard, adapter cette morphologie aux nouvelles conditions hydrologiques du tronçon influencé peut se révéler essentiel en vue de limiter l’impact des usages et favoriser la biodiversité.

Il ressort du débat avec les bureaux d’étude (sans que le présent travail n’ai développé cet aspect faute de temps) que :
• La dynamique d’évolution des milieux, entre deux épisodes de crue que la retenue n’arrive plus à contenir (donc avec surverse au barrage = débit du tronçon influencé plus élevé que le débit réservé), est favorable à l’installation d’une mosaïque d’habitats très diversifiés ; le fait de subir des débits différenciés (des crues) et les remaniements de substrats que ceux-ci entraînent sont moteurs de biodiversité puisque ceux-ci sont à l’origine réagencement des habitats lors de chaque événement vécu.
• A l’inverse, la stabilité hydraulique peut être bénéfique à certaines communautés biologiques (amphibiens, poissons, insectes…), par exemple, la faible variabilité hydrologique peut être bénéfique au recrutement de certaines espèces piscicoles comme le barbeau, le toxostome, le chevaine, l’apron, etc.

La potentialité écologique des terrains environnants : un élément essentiel
Les terrains naturels situés autour des bâtiments, le long des canaux... peuvent être des zones de biodiversité dont les potentialités peuvent ou non s’exprimer en fonction de l’aménagement ou/et la gestion qui en est faite. Le maintien de zones de prairies semi-naturelles, les plantations de variétés locales, l’aménagement des zones humides... sont autant de facteurs favorables à l’expression de la biodiversité.

Les bâtiments et les ouvrages peuvent aussi être des sites d’accueil pour la faune (hirondelles, chauves- souris, rapaces…) et la flore (mousses, fougères, flore rupestre…). En effet, de nombreuses espèces sont capables de profiter de supports particuliers et artificiels pour nicher. Les parois verticales d’une usine ou d’un barrage s’apparentent à des falaises et les espèces savent s’adapter à ces opportunités (tranquillité, refuge, habitat…). Cette biodiversité mérite d’être prise en compte et peut être maintenue voire développée.

Quelques recommandations à l’attention des producteurs qui souhaitent s’engager dans la démarche « biodiversité » et plus généralement disposer d’arguments pour débattre 
Comme le montre notre méthode, pour pouvoir réaliser une analyse de la biodiversité d’un tronçon, il faut comprendre précisément et caractériser chaque cours d’eau et chaque tronçon influencé. Un certain nombre d’informations sont intéressantes à collecter :
• Suivre en continu les débits du cours d’eau (et si possible l’enregistrer) ;
• Mesurer régulièrement la température de l’eau dans le cours d’eau et le tronçon influencé (et si possible l’enregistrer) ;
• Compiler, et si possible positionner sur une carte, toutes les observations : descriptions du
tronçon, localisations d’obstacles, de rejets ou des zones d’activités, etc. …
• Photographier le cours d’eau et le tronçon influencé dans différentes conditions de débits et
à différentes saisons ;
• Compiler et conserver toutes les études disponibles sur le cours d’eau et le tronçon influencé (disposer de différentes dates de suivis est particulièrement utile) ;
• Rechercher en continu et stocker les informations faune et flore auprès des usagers (chasseurs, pêcheurs, cueilleurs, randonneurs, associations diverses qui connaissent ou utilisent le territoire, etc.) ;
• Conserver la trace et les coordonnées de toutes les personnes susceptibles de disposer d’une
expertise faune flore ou autre ;
• Rechercher et stocker les documents historiques concernant le site et le cours d’eau.

Source : La biodiversité dans et autour des tronçons influencés (les TCC) par la présence de centrales hydroélectriques. Synthèse de France Hydro Electricité. D’après le rapport d’ingénieure d’Axelle Euphrasie. 2021

01/02/2022

Les agences de l'eau continuent de promouvoir la casse illégale du patrimoine des rivières

Alors que la loi prohibe depuis 2021 la destruction de l'usage actuel ou potentiel des moulins et autres ouvrages hydrauliques, les agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne continuent de promouvoir cette destruction du patrimoine des rivières au nom de la continuité dite "écologique". Un recours grâcieux a été déposé par notre association, des consoeurs et la FFAM contre une nouvelle décision en ce sens des agences. Il s'ajoute au recours contentieux ouvert pour obtenir la condamnation et annulation du 11e programme d'intervention de ces établissements publics, programme où les fonctionnaires espèrent encore dilapider l'argent des citoyens à la disparition du patrimoine historique, du potentiel énergétique et des usages sociaux des ouvrages hydrauliques. 


La continuité écologique des rivières n'est décidément pas apaisée en France. 

Rappelons le contexte à ceux qui découvriraient le problème. La loi sur l'eau de 2006 a proposé d'améliorer la circulation des poissons et des sédiments sur des rivières classées à cette fin, ce que l'on nomme la continuité écologique. Une telle amélioration peut s'obtenir par des gestions de vannes des ouvrages ou par des dispositifs de franchissement. Mais une faction militante au sein de l'administration de l'eau et de la biodiversité (ministère de l'écologie, agences de l'eau, office de la biodiversité), couplée à des lobbies intégristes du retour à la nature sauvage, a décidé que la solution à financer sur argent public et à prioriser en choix réglementaire des préfectures devait être la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, de leurs milieux, de leurs usages. Ce n'est pourtant pas l'esprit des lois françaises ni de leur interprétation par le conseil d'Etat

Nous parlons ici de moulins, de forges, d'étangs, de petits lacs et plans d'eau, de barrages associés à diverses activités et aménités. Ce sont des milieux nés de l'usage humain de l'eau, ayant leur propre fonctionnement écologique mais aussi de nombreuses dimensions d'intérêt pour les riverains (paysage, rétention d'eau, agrément, énergie, irrigation, pêche, aquaculture, tourisme, etc.).

Des milliers de ces ouvrages ont déjà été détruits, y compris dans barrages à production hydro-électrique que la loi demande pourtant de promouvoir et d'équiper face à l'urgence climatique. Ce scandale a bien évidemment occasionné de nombreuses plaintes en justice, avec forte mobilisation des associations de protection des patrimoines et des collectifs riverains. Les parlementaires, indignés de cette dérive dont ils ont été informés, ont déjà fait évoluer la loi à plusieurs reprises, et sous plusieurs législatures, indiquant clairement que la continuité écologique devait cesser de mener à ces destructions et ces conflits.

Mais voilà, la France est un pays très particulier où l'administration choisit à sa guise la manière dont elle va interpréter ces lois. Alors que la dernière réforme de continuité écologique a mené les parlementaires à prohiber expressément les mesures de destruction d'ouvrage, les agences de l'eau tentent à nouveau de contourner la volonté des représentants des citoyens.



Ainsi, un recours  gracieux a été déposé à l'encontre de la délibération  du conseil  d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie  en date du 16 novembre 2021 en tant qu'elle porte révision des modalités d'attribution des aides du 11ème programme d'intervention couvrant la période 2019-2024.

Il apparaît en effet que les modifications apportées au Code de l'environnement et plus particulièrement à son article L.214-17-1, par la loi dite « Climat et Résilience » du 22 août 2021 n'ont pas été prises en compte par cette délibération qui reproduit les mêmes  illégalités  que lors de l'adoption du 11ème programme en 2018.

La loi précitée n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est venue modifier l'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement.

L'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement est aujourd'hui ainsi rédigé :

« 1.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative  établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :

2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des  moulins  à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »
 
Ainsi, en premier lieu, les interventions sur  les ouvrages  hydrauliques quels qu'ils soient  ne doivent  pas remettre  en cause  leur usage,  actuel ou potentiel.

En second lieu et s'agissant plus particulièrement des moulins à eau, le législateur  va  encore plus loin en rappelant expressément  que la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les  seules  modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives  au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments et en ajoutant qu'aucune autre modalité d'intervention n'est autorisée, notamment celles portant sur la destruction de ces ouvrages.

C'est donc en respectant cette nouvelle rédaction de l'article L.214-17-1 du Code de l'environnement que les interventions sur les ouvrages situés sur les cours d'eau classés en Liste 2 en vue de la prise en compte de l'objectif de restauration de la continuité écologique doivent désormais être prévues.

Or, le programme d'intervention révisé n'est pas à jour de ces nouvelles dispositions législatives.

Au titre des travaux de rétablissement de la continuité écologique longitudinale et latérale (Action El), il est notamment mentionné l'éligibilité de travaux de «suppression des ouvrages».

Cette suppression de ces ouvrages remet bien sûr en cause leur « usage actuel ou potentiel ». Et lorsque ces ouvrages  sont  des moulins  à eau, leur suppression (ce qui  est  synonyme  de  leur  destruction)  est clairement prohibée par la loi.

La «suppression» de ces ouvrages, retenue par le 11ème programme révisé comme pouvant être éligible à des financements de l'agence, contrevient donc directement à l'article L.214-17-1 précité du Code de l'environnement.

Le 11 ème programme d'intervention est un dispositif de financement sur fonds publics et il ne peut à ce titre contrevenir à l'objectif voulu par le législateur  de  préservation  du  patrimoine  hydraulique  que  constituent les ouvrages hydrauliques en général et les moulins à eau en particulier.

Il  est en effet formellement  proscrit de mobiliser  des fonds publics pour des actions prohibées par la loi ou qui ne répondent pas à un objectif d'intérêt général. Le juge administratif exerce à cet égard son contrôle sur la licéité des décisions d'octroi des subventions.

20/01/2022

La Commission européenne, la France et la continuité écologique

La Commission européenne vient de publier un document sur la suppression d’obstacles en rivière au nom de la continuité écologique. D’une part, ce document démontre que la France est dans un délire de surtransposition des règles de l’Union, avec des objectifs pour elle seule près deux fois plus ambitieux que ce que suggère la Commission pour toute l’Europe ! Nous avions raison de pointer une dérive intégriste et irréaliste du ministère français sur ce dossier. D’autre part, ce document souligne à nouveau diverses contradictions des politiques écologiques telles qu’elles sont promues par des fonctionnaires français et européens. Explications. 


Dans sa stratégie de biodiversité, l’Union européenne fixe un objectif de 25 000 km de rivière à «écoulement libre» (free flowing) d’ici 2030. Un document de la direction environnement de la Commission européenne vient d’être produit à ce sujet (télécharger à ce lien). Ce document est une circulaire méthodologique qui n’a pas à date de valeur juridique opposable.

Première leçon : cette ambition européenne de 25 000 km de «rivière libre» signale que la France est allée beaucoup trop loin dans des objectifs irréalistes. Rapporté à la superficie de notre pays, l’objectif européen impliquerait qu’environ 3000 km de rivières françaises ont un objectif d’écoulement libre. Or, le ministère de l’écologie s’est fixé comme but délirant un chiffre de 40 000 km pour notre seul pays, soit davantage que l’objectif de la Commission européenne pour toute l’Union ! En réalité, par les travaux effectués depuis les années 1990, la France a d’ores et déjà fait plus que sa part des objectifs européens. 

Nous demandons donc au premier chef de cesser immédiatement la surtranposition aberrante des règles européennes, au vu des conflits et des désagréments innombrables créés par ce choix français de systématiser la continuité écologique en long. 

La France doit désormais stopper ses chantiers de continuité, pour se consacrer aux domaines où elle est en retard : recréation de zones humides (continuité latérale, stockage d’eau), lutte contre le réchauffement par l’énergie hydro-électrique, lutte contre la pollution.

La politique européenne de l'eau empêtrée dans ses contradictions et ses objectifs irréalistes
Concernant le fond de ce document de la Commission européenne, on observe le biais déjà identifiés par des universitaires (Linton et Krueger 2020) : les fonctionnaires de l’environnement développent une «ontologie naturaliste» selon laquelle la bonne nature serait la nature libérée de tout impact humain, une nature sans l’homme... qui n’existe quasiment nulle part, sinon à titre de construction intellectuelle abstraite. 

Le document de la Commission rappelle ainsi :
« Les éléments de qualité d'appui hydromorphologiques sont expressément définis pour attribuer à une masse d'eau fluviale un statut écologique «très bon» (high) et se réfèrent directement à des conditions totalement - ou presque totalement - non perturbées. En ce qui concerne la continuité des rivières en particulier, la définition de l'état élevé fait explicitement référence à l'absence d'activités anthropiques et à la migration non perturbée des organismes aquatiques et des sédiments. Cette définition correspond grosso modo à ce que l'on pourrait généralement comprendre comme une rivière à écoulement libre. »
En jargon moins bureaucratique, cela signifie : le but le plus élevé de notre vision de l’écologie est de supprimer l’humain du paysage. Pense-t-on sérieusement qu'une telle vision anti-humaine a le moindre avenir?

Le modèle utilisé par les gestionnaires définit comme « impact » négatif tout changement physique, biologique, chimique induit par une action humaine. Il s’ensuit des incompréhensions, des contradictions et des conflits en cascade quand, dans la réalité, les humains utilisent l’eau et les rivières pour l’alimentation, l’irrigation, l’énergie, l’industrie, la navigation, les usages domestiques, les loisirs et les aménités. Les humains ne vivent pas dans une nature « sauvage » où ils ne feraient rien, les humains ne sont pas séparés de la nature qu’ils transforment par leur simple existence. La modification du régime naturel (au sens de "non-humain") de l’eau est consubstantielle à la sédentarisation néolithique de l’humanité et la création de nouveaux écosystèmes aquatiques modifiés par les sociétés humaines  a commencé voici 8000 ans. 

En réalité, les fonctionnaires de l’environnement savent très bien que leur objectif présente assez vite des incompatibilités avec d’autres normes des lois et d’autres valeurs des citoyens. Aussi le diable est dans les détails, et le texte produit par l’Union européenne signale de nombreuses conditions à la restauration de continuité :
  • «Lors de la hiérarchisation des obstacles en vue de leur élimination éventuelle, il sera en effet important d'évaluer le rôle qu'ils pourraient encore jouer (bien que dans ce cas, les avantages possibles d'une telle utilisation future doivent être évalués par rapport aux avantages de l'éliminer pour le bien de la restauration de la nature ), ou l'effet autrement bénéfique que ces barrières peuvent avoir (par exemple pour la biodiversité). Il s'agit de tenir compte de la nécessité de maintenir différentes utilisations importantes telles que la navigation intérieure, la production d'énergie renouvelable ou l'agriculture et l'environnement au sens large.»
  • «Il serait très difficile d'éliminer les barrières sur toute la longueur d'un cours d'eau et, dans de nombreux cas, une telle ambition ne serait pas compatible avec le maintien d'usages importants.»
  • «Lors de la hiérarchisation des obstacles à supprimer, il est également important de prendre en compte les utilisations existantes dans un bassin fluvial, notamment la navigation intérieure, la protection contre les inondations, la production d'énergie ou l'agriculture. Cela contribuera à maximiser les co-bénéfices de telles opérations et à éviter des effets négatifs importants sur des utilisations importantes.»
  • «L'importance écologique de certaines structures artificielles doit être reconnue : dans certains cas, des structures qui ne remplissent plus leur fonction première ont créé des niches écologiques spécifiques. Il convient donc de tenir dûment compte de la présence éventuelle de populations indigènes d'espèces reliques ayant survécu grâce à l'isolement»
  • «Le soutien de la population locale et des parties prenantes est une condition clé de la réussite des opérations. Il s'agit d'un aspect important à prendre en compte dans la priorisation de l'élimination des barrières. Les avantages de l'intervention doivent être évalués par rapport à d'autres services socio-économiques possibles.»
Il est bien dommage que, très loin du terrain, les fonctionnaires de la Commission européenne ne soient pas informés de ce qui se passe au bord des rivières. 

Le cas français leur aurait montré que les politiques de destruction systématique d'un grand nombre de sites hydrauliques ne remplissent justement pas ces diverses conditions. Car les propriétaires, les riverains de site, les populations locales ne souhaitent pas dans la plupart des cas que l'argent public serve à faire disparaître des patrimoines et des profils de rivière appréciés, au profit d'une vitrine de nature sauvage devenue intouchable. Cette vision intégriste a été tentée, elle a échoué, il faut désormais en tirer les conséquences politiques et normatives. 

Ce qu’il faut retenir :
  • La France a d’ores et déjà dépassé les objectifs européens de continuité écologique en long et, au vu des nombreux problèmes posés, cette politique publique doit être freinée désormais, pour se consacrer à d’autres sujets où notre pays est en retard.
  • La définition d’une rivière libre en très bon état écologique implique l’absence quasi totale d’usage humain de la rivière et d’impact humain sur ses eaux, ses berges, son bassin. Un tel statut sera donc réservé à une infime minorité de sites préservés à titre conservatoire de la biodiversité, mais ce ne peut être l’objectif de principe des rivières qui sont depuis des millénaires en co-évolution avec les usages humains. 
  • Les autres objectifs des politiques publiques (relocaliser l’économie, favoriser des circuits-courts, produire l’énergie à partir de sources renouvelables, gérer les effets négatifs des crues et sécheresses, etc.) sont en contradiction directe avec l’idée que les eaux et rivières deviendraient des « musées du vivant sauvage » où les humains n'auraient aucun impact ni aucune action. 
  • Pour le mouvement de protection des patrimoines des rivières, il est indispensable de mener une politique d'information des parlementaires et des fonctionnaires européens, afin que ceux-ci s'orientent vers une définition raisonnable et responsable des politiques écologiques. 
A lire

13/01/2022

Leçons d'une crise énergétique

Les Français et les Européens subissent une inflation brutale et inédite sur les prix de l'électricité, ayant obligé les gouvernements à adopter des mesures sociales d'urgence. Mais cette crise énergétique révèle des questions de fond liées à la transition énergétique et à la pression sur les ressources fossiles. L'énergie étant un bien essentiel, la France doit prendre au sérieux le développement de toute la base de production énergétique renouvelable du pays. En particulier l'hydraulique, qui a été entravée voire combattue par des idéologies absurdes et dangereuses. Pour les propriétaires de moulin, la protection du droit d'eau et l'équipement du site en production énergétique deviennent une assurance pour l'avenir! 


Hausse de divers prix de l'énergie. Source BPI-LAB 

L'Europe est frappée depuis l'automne par une inflation énergétique importante, avec notamment des prix de marché de l'électricité ayant subi une inflation de plus de 300% entre janvier et décembre 2021.

Plusieurs facteurs ont été cités comme cause de cette hausse des prix :
  • la reprise économique mondiale de 2021 a engagé une pression sur les prix des hydrocarbures (après une période de baisse), en particulier du gaz, prix tendu par les problèmes diplomatiques avec la Russie, un des fournisseurs de l'Union;
  • les énergies renouvelables non pilotables obligent à avoir en permanence une réserve de secours (en cas de faible vent ou soleil), donc cela contraint à payer comme prix de marché de l'électricité le coût marginal de la capacité garantie de dernier ressort (des centrales gaz en général);
  • en Allemagne, le marché des certificats carbone a été étendu au chauffage et au transport, ce qui a renchérit le coût de la tonne CO2 faisant partie du prix de l'électricité;
  • en France, plusieurs centrales nucléaires sont en maintenance en période hivernale, ce qui ajoute une pression sur la base électrique du réseau et a même obligé à relancer pour un temps des centrales charbon (comme dans d'autres pays européens).
Les autorités publiques en France et en Europe prennent au sérieux cette alerte d'inflation énergétique car si elle a des causes conjoncturelles (volatilité des hydrocarbures en lien aux effets de la pandémie covid-19 sur l'économie), elle révèle aussi des questions de fond:
  • la mondialisation implique une pression croissante sur des ressources finies (comme le fossile) et cette tendance ne peut que s'accentuer du fait du développement des émergents, avec d'autant plus de pression que le choix de transition énergétique tend à retirer le capitaux des industries d'extraction et donc à limiter l'exploration de nouveaux champs de ressources en pétrole et gaz;
  • la lutte contre le réchauffement climatique implique un prix carbone croissant, ce qui se verra dans les factures des ménages équipés en fioul, gaz, ainsi que des carburants;
  • les énergies renouvelables non pilotables ne permettent pas encore le stockage saisonnier (par exemple l'hydrogène vert), or la saison hivernale peu ensoleillée reste la pointe de la demande;
  • même si le stockage saisonnier se développe, ce qui est en cours, il est probable que le coût de l'énergie finale garantie (produite et stockée pour être disponible selon le besoin) sera plus élevé à l'avenir;
  • plusieurs pays ont décidé de sortir du nucléaire (comme l'Allemagne) ou  de réduire sa part dans le mix énergétique (comme la France), or dans le même temps, l'électricité est appelée à remplacer des carburants et combustibles fossiles (chauffage, transport), ce qui va considérablement renforcer sa demande par rapport à la production actuelle.
Par ailleurs, comme l'énergie est un bien de consommation intermédiaire des entreprises, son inflation se traduit sur celle des biens et services (quand l'entreprise paie plus cher son énergie, elle le répercute sur le prix final) : pour les particuliers, la facture ne se limite donc pas à celle de l'énergie, mais doit impacter aussi l'alimentation, l'équipement, la construction et d'autres offres qui consomment de l'énergie. Cette inflation est pénible à vivre en fin de mois pour les ménages à revenus modestes face aux dépenses contraintes. Elle est aussi potentiellement dangereuse pour les Etats trop endettés, la réponse à l'inflation étant généralement une hausse des taux d'intérêt entraînant une hausse des coûts de gestion de la dette.

On le voit, le climat, l'énergie, l'économie, la société et l'environnement sont des sujets intrinsèquement liés. 

Une conclusion est que la transition énergétique ne peut être faite à moitié et que la rareté énergétique aurait des conséquences délétères sur la stabilité politique, la vie économique et la paix sociale. Par exemple, la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne a annoncé qu'elle donnait désormais la priorité au développement de la puissance bas-carbone (hors nucléaire), y compris en cas de conflit avec des politiques de protection de milieux ou d'espèces. Le bas carbone est désormais considéré comme relevant de 'l''intérêt public majeur", ayant la prime sur d'autres choix publics.

Concernant les propriétaires de moulins et autres ouvrages capables de produire de l'énergie électrique à partir de l'eau, cette crise apporte pour finir des enseignements :
  • préserver son droit d'eau (droit de produire une énergie à partir de l'eau) est une garantie dans un avenir incertain, alors que détruire un ouvrage et son potentiel énergétique supprime des options,
  • exploiter son droit d'eau et produire de l'énergie devient de plus en plus rentable, en particulier si ce choix remplace le chauffage fossile des bâtiments.
La politique publique française de destruction des ouvrages hydrauliques au nom d'une vision intégriste de la rivière sauvage est plus que jamais l'ennemie de l'intérêt général et l'ennemie du climat : elle doit être dénoncée sans relâche comme une erreur historique majeure et remplacée par une politique d'encouragement à l'équipement bas-carbone de tous les ouvrages hydrauliques.