22/02/2022

Quels poissons reviennent après suppression d'ouvrages en rivières intermittentes? (Kukuła et Bylak 2022)

Etudiant une rivière à truite de tête de bassin, devenue intermittente au fil du 20e siècle, des chercheurs montrent que la suppression des obstacles n'y a pas permis la recolonisation amont par les espèces originellement présentes. Les sécheresses créent des discontinuités hydriques sur le lit et une qualité de l'eau insuffisante en été pour des espèces sensibles. Si ces chercheurs estiment malgré tout que la restauration de continuité a des avantages pour la circulation des poissons en période de hautes eaux, leur travail montre que les gains de ces chantiers sont modestes et loin d'une "restauration de la nature" telle qu'elle nous est vantée pour justifier de tout casser, y compris des sites d'intérêt patrimonial. Un peu de réserve et de recul serait bienvenu chez les gestionnaires de rivières.


Les sites arasés ou aménagés de l'étude, extrait de Kukuła et Bylak 2022, art cit.

Le ruisseau Hołubla (5,89 km de long, bassin versant de 8,68 km2) est situé dans les contreforts des Carpates polonaise, dans le bassin de la rivière San et de la Vistule. En raison du drainage de la rivière San et de l'abaissement du niveau des eaux souterraines, la plupart des petits affluents comme le Hołubla se sont vidés pendant les saisons sèches. Selon les données historiques, jusqu'aux années 1930, le ruisseau était pérenne. Dans les années 1970, un déversoir en pierre de 3 m de haut et quatre gués en dalles de béton ont été construits sur le lit du ruisseau. Avec le temps, du fait d'une augmentation de l'érosion en aval des gués, des chutes d'eau se sont créées. En 2013, ces barrières ont été supprimées. Deux gués en béton ont été reconstruits en pierre naturelle, avec de larges passages  permettant aux poissons de se déplacer en amont. Les deux autres gués ont été remplacés par des ponceaux à voûte métallique. En aval de ces gués et ponceaux, le fond du chenal a été stabilisé par construction de rapides en pierres à pente douce. 

Les chercheurs ont voulu savoir l'effet de ces travaux de continuité longitudinale. Voici le résumé de leur examen des poissons avant et après l'intervention sur les ouvrages.

"Les effets de barrière observés en présence de seuils sont exacerbés par les faibles niveaux d'eau. Nous avons mené une étude de 10 ans pour évaluer les effets écologiques de la restauration des cours d'eau tout en analysant la possibilité d'un manque saisonnier de continuité hydrologique, avec de multiples mesures avant et après la restauration de la continuité structurelle des cours d'eau. L'hypothèse de recherche suppose que dans les cours d'eau intermittents, il y aurait peu ou pas de changement dans la communauté de poissons en aval de la barrière avant vs. après l'enlèvement de l'obstacle, et un changement significatif en amont de la barrière avant vs. après. 

Nos résultats indiquent qu'en supprimant les petites barrières, leurs effets néfastes sur le passage longitudinal des poissons et des assemblages de poissons peuvent être corrigés. Pendant la saison des pluies, des poissons migrants du cours principal de la rivière sont apparus dans la section aval du cours d'eau. L'intermittence des cours d'eau, cependant, a placé un filtre d'habitat sur l'assemblage. Ainsi, après le retrait de la barrière, seules deux espèces de poissons de petite taille qui tolèrent des carences périodiques en oxygène et la hausse des températures de l'eau se sont progressivement déplacées vers l'amont et ont formé des populations stables. 

Nous soulignons qu'il ne faut pas s'abstenir de restaurer la continuité longitudinale des cours d'eau intermittents, car ils fournissent périodiquement des refuges précieux pour les poissons et peuvent également être une source de nouvelles générations et renforcer les populations de poissons dans le cours principal."

Ce graphique montre les densités de poisson (par 100 m2) observées dans le temps sur le tronçon, avant (grisé)et après la suppression de l'obstacle. On notera les très faibles valeurs absolues à l'amont (1 à 3 individus par 100 m2).


L'infographie ci-dessous montre la tendance longue : la rivière devient intermittente en raison de changement de climat et d'usages humains de l'eau, avec populations fractionnées (a, b) puis l'obstacle supprimé aboutit à un double régime avec la colonisation amont réservée en saison sèche à quelques espèces supportant une eau plus rare et plus chaude (c, d). Aucune espèce ne s'installe complètement à l'amont.


Discussion
Le bassin versant étudié K. Kukuła et A. Bylak est représentatif des programmations publiques de continuité écologique dans d'autres pays d'Europe et notamment en France, où l'insistance a été portée sur les petites rivières de tête de bassin, en large partie à cause de leur population de salmonidés (truites) et de l'usage pêche dans ces rivières.

Ce travail permet de relativiser les discours pour le moins déplacés sur la "restauration de la nature" par suppression d'ouvrages. En réalité, on modifie la dynamique locale de populations de poissons, mais on ne revient pas à l'état antérieur des cours d'eau, qui sont généralement modifiés par d'autres impacts que des obstacles. On conçoit sans peine que si le changement climatique vient à s'intensifier et à imposer des épisodes plus fréquents et plus intenses de sécheresse (ce que prévoient les chercheurs du climat), l'intermittence du ruisseau Hołubla sera aggravée et sa colonisation amont par des espèces d'eau froide, abondante et oxygénée encore plus improbable.

Par ailleurs et comme trop souvent, les chercheurs n'ont regardé ici que la dynamique des poissons, et en particulier ils n'ont pas examiné avant / après l'écosystème nouveau que formait le plan d'eau du principal ouvrage. On aimerait pourtant savoir si des amphibiens, reptiles, invertébrés, oiseaux, mammifères s'étaient adaptés à ces modifications, et ce qu'ils sont devenus quand l'écosystème aménagé a disparu. Ce serait la moindre des choses de systématiser ces observations avant les chantiers, afin que le retour d'expérience sur les gains écologiques et biologiques ne soit pas biaisé

Enfin concernant les truites de la partie amont, il aurait été intéressant de documenter si leur disparition était liée aux seuils ou si elle était associée à la fin du caractère permanent de l'écoulement du chenal. En effet, eu égard aux nombreux témoignages qui attestent de l'abondance de truites en tête de basin jusque dans les années 1960 même quand il y avait de petits ouvrages hydrauliques (voir cet exemple sur la tête de bassin Seine et Ource), on doit s'interroger sur les facteurs qui ont réellement impacté l'hydrologie et la qualité de l'eau au cours des dernières décennies. 

20/02/2022

L'Office français de la biodiversité, meilleur ennemi de la transition énergétique

Consulté dans le cadre de la programmation pluri-annuelle de l'énergie, l'Office français de la biodiversité vient de publier une nouvelle note incendiaire contre l'hydro-électricité, accusant les petits ouvrages comme les grands barrages de tous les maux des rivières. Le raisonnement des auteurs de cette note mène à des aberrations intellectuelles : aucune source d'énergie ni aucune activité humaine alimentée par cette énergie n'existant sans modification des milieux, nous ne devrions rien faire. Reprocher à l'hydro-électricité et aux ouvrages hydrauliques d'avoir changé les régimes des rivières au fil de l'histoire ne mène à aucune réponse constructive face au défi du changement climatique. Cela contribue à aggraver le retard de la France dans la transition bas-carbone, alors que nous avons une génération pour faire disparaître le fossile représentant 70% de nos usages d'énergie. 

Le Conseil supérieur de la pêche (dont le principe fut acté sous Pétain) était devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema, 2006) avant de devenir l'Office français de la biodiversité (OFB, 2019), établissement public de l'Etat. 

Comme nous l'avions montré à de multiples reprises à l'époque de l'Onema, les personnels publics d'expertise sur les milieux aquatiques ont une solide aversion pour les ouvrages hydrauliques (voir les articles en notes ci-dessous).

La nouvelle synthèse de l'OFB sur l'hydro-électricité ne déroge pas à cette règle, elle est consultable en cliquant ce lien.



Nous avions publié avec le CNERH une synthèse de 100 études scientifiques récentes, françaises et européennes seulement (hors études Asie, Amérique, Afrique), concernant soit des analyses d'impacts d'ouvrage soit des analyses de restauration écologique de rivière (télécharger à ce lien). Plusieurs chercheurs ont publié récemment un livre collectif sur l'analyse critique de la gestion écologique des rivières (voir Lévêque et Bravard dir 2020). Vous pouvez procéder à un exercice amusant : vérifiez si l'OFB prend bien soin d'intégrer toutes les études scientifiques parues dans la littérature revue par les pairs. Vous constaterez que bizarrement, un certain nombre références ne sont pas intégrées ni discutées par l'OFB dans sa note... Il faut dire qu'elles amèneraient éventuellement à nuancer et à réfléchir, ce qui n'est pas l'objectif de certaines expertises publiques dont le rôle est davantage de certifier que les directions ministérielles d'Etat ont toujours raison dans leurs choix. 

L'humain modifie la nature... depuis qu'il est humain
Mais bien entendu, nous ne remettons pas en cause les études citées par l'OFB. Ces travaux sont simplement des choses que l'écologie et la biologie de la conservation répètent dans de nombreuses monographies : les rivières des 20e et 21e siècles ont perdu le fonctionnement et le peuplement qu'elles avaient auparavant dans l'histoire. 

Voilà par exemple la conclusion de synthèse de la note:

"Au final, en impactant les variables hydrologiques et morphologiques à l’origine de la création des habitats aquatiques et de leur connectivité, ainsi que les processus biologiques et le déplacement des organismes, les aménagements hydroélectriques et les ouvrages transversaux ont des conséquences plus ou moins importantes non seulement sur la continuité écologique et les communautés biologiques mais également et plus largement sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques"

Or cette conclusion est un truisme. 

Dans sa forme la plus simple, elle peut s'écrire : si l'humain occupe et exploite un environnement, cet environnement est changé. Nul ne le nie ! Une des conclusions les plus intéressantes de la recherche en histoire et archéologie de l'environnement ces 30 dernières années est justement d'avoir montré que les modifications humaines des milieux sont bien plus anciennes et profondes qu'on ne le pensait, en particulier les changements de morphologie des bassins versants amorcés dès la fin du néolithique. 

L'énergie fait partie des usages de l'eau qui ont modifié ce profil des bassins versants. Mais le même phénomène s'observe dans tout usage de milieu en vue d'extraire des ressources. Dans le même registre, l'OFB peut donc aussi décrire comment des fermes éoliennes vont artificialiser les sols et modifier le cycle de vie des oiseaux, chauve-souris ou insectes, comment des fermes solaires feront de même quand elles remplacent un sol végétalisé, comment l'usage de la biomasse est en concurrence avec les milieux de prairies et forêts, comment les sources fossiles ont évidemment des influences majeures à travers leurs effets d'extraction, pollution et réchauffement... et donc ? 

L'obsession des ouvrages hydrauliques, ou quand l'arbre cache la forêt
Par ailleurs dans le cas des milieux aquatiques, l'OFB charge les ouvrages hydrauliques de tous les maux en omettant de signaler aux décideurs publics la réalité globale de ce qui impacte les rivières, donc de mettre en perspective le cas particulier de l'ouvrage hydraulique. 

L'une des références citées par l'OFB pour blâmer l'hydro-électricité (Reid et al 2018) permet de le comprendre. Voilà ce que dit en fait cette référence (chacun peut la lire en accès libre), qui est loin de citer les seuls barrages comme le laisse entendre le rapport de l'OFB:
  • l'hydro-électricité altère les écosystèmes aquatiques
  • le changement climatique altère les écosystèmes aquatiques
  • le commerce des espèces exotiques altère les écosystèmes aquatiques
  • les pathologies infectieuses altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les blooms algaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les pollutions émergentes altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les nanomatériaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les microplastiques altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la pollution sonore et lumineuse altère les écosystèmes aquatiques
  • la salinisation altère les écosystèmes aquatiques
  • la baisse du calcium altère les écosystèmes aquatiques
  • les stress cumulatifs altèrent les écosystèmes aquatiques
Et cette publication signale que ces altérations s'ajoutent en fait à d'autres déjà bien connues depuis la synthèse de Dudgeon at al 2006 :
  • l'exploitation de ressources biologiques altère les écosystèmes aquatiques
  • l'eutrophisation altère les écosystèmes aquatiques
  • l'usage de l'eau et le changement de débit altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la destruction d'habitats par aménagements altère les écosystèmes aquatiques
Sur chacun de ces sujets, on pourrait faire des notes comportant des dizaines, centaines, milliers de références, comme l'OFB vient de le faire sur l'hydro-électricité. Et l'on conclurait toujours la même chose : si l'on veut des écosystèmes aquatiques "non altérés", il faudrait cesser les activités humaines non seulement sur la rivière, mais dans le bassin versant. Pas juste l'hydro-électricité. 

Fin des humains = fin des perturbations humaines : est-ce à ce genre d'impasse intellectuelle qu'il faudrait désormais se convertir? A quoi mène ce mode de raisonnement quand nous devrions être 70 millions de Français et 10 milliard d'humains à la mi-temps de ce siècle?

Poser les priorités, redéfinir une écologie d'intérêt général
Au lieu de refuser toute évolution de la nature sous l'effet de notre espèce et d'imaginer que nous pourrions mettre sous cloche le vivant en le séparant de l'humain, nous devons donc en revenir à des politiques publiques ayant quelque lucidité :
  • si le climat et l'énergie sont des problèmes existentiels pour les sociétés humaines, il faut hiérarchiser les enjeux et poser des priorités par rapport à la biodiversité, car aucune politique écologique durable ne se tiendra dans un contexte de désorganisation et de chaos,
  • les études comparatives d'impact en hydro-écologie (et non les monographies locales sur sites ou tronçons) montrent que l'utilisation humaine des bassins versants est le premier prédicteur de dégradation des milieux aquatiques à travers les excès de pollutions et d'extractions d'eau, ce sont donc ces deux sujets qui sont à traiter en premier, pas l'énergie hydraulique qui a l'avantage d'être bas carbone, qui ne fait pas disparaître l'eau et qui n'altère pas ou peu sa composition chimique,
  • les rivières à très faible présence humaine et forte "naturalité" sont peu nombreuses (8,4% des tronçons en France), c'est éventuellement la protection de certaines qui importe si l'on souhaite conserver des fonctionnements et peuplements d'un certain type,
  • les rivières modifiées par la présence humaine depuis longtemps ne sont plus dans leur état écologique (biologique, morphologique) originel (à supposer que ce mot ait un sens dans l'évolution permanente du vivant), et elles n'y reviendront pas de toute façon ; il est donc peu utile d'imaginer comme standard un état passé de ces rivières, mais plutôt nécessaire de débattre sur des fonctionnalités que l'on juge d'intérêt (comme la connectivité ou la rétention d'eau) tout en conservant et améliorant les usages anthropiques,
  • les experts en écologie ne doivent pas faire des monographies sur les impacts sans apporter de solutions ni de hiérarchie des problèmes, ce qui n'apporte rien à l'intelligence du débat public ni à l'éclairage des décideurs. 
Les politiques publiques ont un urgent besoin de redéfinir le sens de l'écologie comme choix d'intérêt général. Et la transition bas-carbone a un urgent besoin de libérer toutes les énergies en France, sans quoi nous fonçons encore dans le mur de l'échec à force d'entraver les projets dans tout le pays. 

A lire sur ce thème Onema-OFB

A lire pour une autre vision de l'écologie et de la biodiversité

A lire sur la petite hydraulique et sur l'énergie

17/02/2022

Les riverains de Sainte Menehould refusent la destruction d'ouvrages hydrauliques

Comme tant d'autres en France, les riverains de Sainte Menehould (Marne) sont confrontés à un projet destructeur de continuité écologique, dont la mise en oeuvre aboutirait à remettre en cause les usages actuels et potentiels des ouvrages hydrauliques de la cité. Ce que la loi interdit depuis 2021, mais certaines administrations et certains techniciens de l'eau semblent parfois vivre dans un entre soi s'estimant au-dessus des lois... Pourquoi dilapider encore l'argent public précieux dans des combats si éloignés de l'intérêt général, alors qu'il y a tant de choses à faire pour une écologie plus utile et plus consensuelle? Soutenez le combat de ces citoyens en lutte pour préserver leur qualité de vie, signez leur pétition


Vues de Sainte Menehould et de ses divers milieux aquatiques, dont beaucoup sont issus des usages humains de l'eau. Googles Photos, droits réservés 

POUR QUE NOTRE PETITE CITÉ DE CARACTÈRE GARDE SON CARACTÈRE

Un projet démesuré et très coûteux élaboré sans concertation éclairée avec les Ménéhildiens va mettre en péril notre patrimoine historique et touristique par :

● La suppression de vannages existants

● La création de deux barrages en béton (80m3) dans le lit de l’Aisne en plein coeur de ville

● La création d’un nouveau bras de rivière

● Des modifications importantes sur les bras existants (rétrécissements)

Nous estimons que cela aura pour conséquences :

● Des risques inconnus en cas de sécheresse ou d'inondations

● La disparition des activités pédalo et kayak d'aujourd'hui avec l'abandon des événements tels que le mini-raid en canoë (très populaire), le tour de ville et des projets futurs axés sur le tourisme vert

● Un accroissement inéluctable de la délinquance chez les riverains (par franchissement aisé du bras droit de rivière très bas en été et peut-être même en hiver...)

● La perte de l'âme de nos lavoirs dont la restauration est encouragée par la Ville

● Des mauvaises odeurs et des moustiques dans les zones stagnantes...

● Menace sur la vie aquatique et la zone humide en amont des travaux en période de sécheresse

● Etc...

Ce projet nous est imposé par la technocratie qui se sert d'une loi en partie obsolète pour rétablir la continuité écologique en obligeant la destruction des ouvrages hydrauliques (moulins et vannes) afin de permettre l'écoulement des sédiments et la remontée des poissons... alors que tout se passait bien depuis des siècles !

Pour que notre petite cité de caractère garde son caractère, notre collectif de sauvegarde s’oppose à ce projet hallucinant et dévastateur fort d'une nouvelle loi qui souhaite maintenant protéger les ouvrages patrimoniaux. Nous demandons à nos élus usurpés par ces techniciens de dénoncer ce projet en s’orientant éventuellement sur des solutions moins coûteuses et respectueuses de notre patrimoine.

05/02/2022

Analyser la biodiversité des sites de production hydro-électrique

Des producteurs d'énergie ont engagé une première étude de la biodiversité faune-flore autour de 5 sites hydro-électriques. Une excellente initiative, qui permet de faire l'inventaire des gagnants et des perdants en faune et flore, ainsi que de nourrir des réflexions sur l'amélioration de la gestion du site tout en préservant son emploi utile. Une fois admis que l'idéal de la "rivière sauvage sans humain" ne concernera jamais qu'une petite fraction des cours d'eau en raison des évolutions démographiques, économiques et techniques de nos sociétés, il faut engager sur les autres rivières des propositions constructives où l'écologie se concilie avec les ouvrages hydrauliques et leurs usages.


Le syndicat France Hydro Electricité a mené une étude de biodiversité sur 5 sites de ses adhérents producteurs. Cette étude a notamment compilé :
  • des inventaires faunistiques et floristiques, des données hydrauliques, hydrologiques, hydro-morphologiques et sédimentaires, parfois physico chimiques ainsi que de documents iconographiques et cartographiques
  • des compte-rendus de prospection ou observations par tierce personne.
  • une prospection et cartographie au niveau du milieu aquatique et terrestre,
  • une analyse fonctionnelle de chaque site en croisant le descriptif des habitats aquatiques et terrestres avec leur utilisation observée ou présumée par les espèces inventoriées. 
Le travail a été conclu par un débat a été engagé avec deux bureaux d’études spécialisés (Eaucea en hydraulique et Biotec sur la biodiversité) afin de dégager sur chaque site les impacts jugés à priori pénalisants pour la biodiversité, tout autant que la potentialité écologique des masses d'eau et terrains environnants. 

Nous publions ci-dessous un extrait des principales conclusions de l'étude. Elles confirment ce qui est déjà observable dans la littérature spécialisée et dans l'analyse du terrain du patrimoine hydraulique : si les ouvrages modifient la physique, la chimie et la biologie de l'eau, en pénalisant certaines espèces spécialisées (migratrices, lotiques), ce ne sont nullement des déserts de biodiversité. En particulier quand on prend en compte l'ensemble de la faune et de la flore susceptible de profiter des habitats en eau et berge créés par les ouvrages. Au demeurant, les étangs et les moulins les plus anciens sont souvent devenus de nouveaux écosystèmes anthropiques. Il faut donc engager une autre écologie que des approches quelque peu simplistes où une nature sans humain serait la seule naturalité concevable ou désirable. Ce qui mène à des non-sens et des impasses dans le cas de l'eau, puisque les usages sociaux et économiques de l'eau sont permanents et ont, déjà de très longue date, fait évoluer les fonctionnalités et les peuplements des rivières. 

Que retenir de cette étude préliminaire ?

Le fait le plus important est que ces milieux aménagés sont le support d’une biodiversité importante. Les nouveaux milieux créés fournissent les habitats et la nourriture nécessaires à une faune riche et diversifiée qui s’y maintient naturellement.

D’évidence, la morphologie est l’un des paramètres prépondérants pour la biodiversité, directement liée aux habitats disponibles dans et à proximité du cours d’eau (et l’occupation des berges pour les milieux terrestres).

Mais, le tronçon influencé possède un régime hydrologique artificialisé, il ne subit plus les mêmes fréquences et intensités des crues (modification des conditions hydrologiques) que le cours d’eau, et cela en modifie la dynamique naturelle, morphologique et biologique. A cet égard, adapter cette morphologie aux nouvelles conditions hydrologiques du tronçon influencé peut se révéler essentiel en vue de limiter l’impact des usages et favoriser la biodiversité.

Il ressort du débat avec les bureaux d’étude (sans que le présent travail n’ai développé cet aspect faute de temps) que :
• La dynamique d’évolution des milieux, entre deux épisodes de crue que la retenue n’arrive plus à contenir (donc avec surverse au barrage = débit du tronçon influencé plus élevé que le débit réservé), est favorable à l’installation d’une mosaïque d’habitats très diversifiés ; le fait de subir des débits différenciés (des crues) et les remaniements de substrats que ceux-ci entraînent sont moteurs de biodiversité puisque ceux-ci sont à l’origine réagencement des habitats lors de chaque événement vécu.
• A l’inverse, la stabilité hydraulique peut être bénéfique à certaines communautés biologiques (amphibiens, poissons, insectes…), par exemple, la faible variabilité hydrologique peut être bénéfique au recrutement de certaines espèces piscicoles comme le barbeau, le toxostome, le chevaine, l’apron, etc.

La potentialité écologique des terrains environnants : un élément essentiel
Les terrains naturels situés autour des bâtiments, le long des canaux... peuvent être des zones de biodiversité dont les potentialités peuvent ou non s’exprimer en fonction de l’aménagement ou/et la gestion qui en est faite. Le maintien de zones de prairies semi-naturelles, les plantations de variétés locales, l’aménagement des zones humides... sont autant de facteurs favorables à l’expression de la biodiversité.

Les bâtiments et les ouvrages peuvent aussi être des sites d’accueil pour la faune (hirondelles, chauves- souris, rapaces…) et la flore (mousses, fougères, flore rupestre…). En effet, de nombreuses espèces sont capables de profiter de supports particuliers et artificiels pour nicher. Les parois verticales d’une usine ou d’un barrage s’apparentent à des falaises et les espèces savent s’adapter à ces opportunités (tranquillité, refuge, habitat…). Cette biodiversité mérite d’être prise en compte et peut être maintenue voire développée.

Quelques recommandations à l’attention des producteurs qui souhaitent s’engager dans la démarche « biodiversité » et plus généralement disposer d’arguments pour débattre 
Comme le montre notre méthode, pour pouvoir réaliser une analyse de la biodiversité d’un tronçon, il faut comprendre précisément et caractériser chaque cours d’eau et chaque tronçon influencé. Un certain nombre d’informations sont intéressantes à collecter :
• Suivre en continu les débits du cours d’eau (et si possible l’enregistrer) ;
• Mesurer régulièrement la température de l’eau dans le cours d’eau et le tronçon influencé (et si possible l’enregistrer) ;
• Compiler, et si possible positionner sur une carte, toutes les observations : descriptions du
tronçon, localisations d’obstacles, de rejets ou des zones d’activités, etc. …
• Photographier le cours d’eau et le tronçon influencé dans différentes conditions de débits et
à différentes saisons ;
• Compiler et conserver toutes les études disponibles sur le cours d’eau et le tronçon influencé (disposer de différentes dates de suivis est particulièrement utile) ;
• Rechercher en continu et stocker les informations faune et flore auprès des usagers (chasseurs, pêcheurs, cueilleurs, randonneurs, associations diverses qui connaissent ou utilisent le territoire, etc.) ;
• Conserver la trace et les coordonnées de toutes les personnes susceptibles de disposer d’une
expertise faune flore ou autre ;
• Rechercher et stocker les documents historiques concernant le site et le cours d’eau.

Source : La biodiversité dans et autour des tronçons influencés (les TCC) par la présence de centrales hydroélectriques. Synthèse de France Hydro Electricité. D’après le rapport d’ingénieure d’Axelle Euphrasie. 2021

01/02/2022

Les agences de l'eau continuent de promouvoir la casse illégale du patrimoine des rivières

Alors que la loi prohibe depuis 2021 la destruction de l'usage actuel ou potentiel des moulins et autres ouvrages hydrauliques, les agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne continuent de promouvoir cette destruction du patrimoine des rivières au nom de la continuité dite "écologique". Un recours grâcieux a été déposé par notre association, des consoeurs et la FFAM contre une nouvelle décision en ce sens des agences. Il s'ajoute au recours contentieux ouvert pour obtenir la condamnation et annulation du 11e programme d'intervention de ces établissements publics, programme où les fonctionnaires espèrent encore dilapider l'argent des citoyens à la disparition du patrimoine historique, du potentiel énergétique et des usages sociaux des ouvrages hydrauliques. 


La continuité écologique des rivières n'est décidément pas apaisée en France. 

Rappelons le contexte à ceux qui découvriraient le problème. La loi sur l'eau de 2006 a proposé d'améliorer la circulation des poissons et des sédiments sur des rivières classées à cette fin, ce que l'on nomme la continuité écologique. Une telle amélioration peut s'obtenir par des gestions de vannes des ouvrages ou par des dispositifs de franchissement. Mais une faction militante au sein de l'administration de l'eau et de la biodiversité (ministère de l'écologie, agences de l'eau, office de la biodiversité), couplée à des lobbies intégristes du retour à la nature sauvage, a décidé que la solution à financer sur argent public et à prioriser en choix réglementaire des préfectures devait être la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, de leurs milieux, de leurs usages. Ce n'est pourtant pas l'esprit des lois françaises ni de leur interprétation par le conseil d'Etat

Nous parlons ici de moulins, de forges, d'étangs, de petits lacs et plans d'eau, de barrages associés à diverses activités et aménités. Ce sont des milieux nés de l'usage humain de l'eau, ayant leur propre fonctionnement écologique mais aussi de nombreuses dimensions d'intérêt pour les riverains (paysage, rétention d'eau, agrément, énergie, irrigation, pêche, aquaculture, tourisme, etc.).

Des milliers de ces ouvrages ont déjà été détruits, y compris dans barrages à production hydro-électrique que la loi demande pourtant de promouvoir et d'équiper face à l'urgence climatique. Ce scandale a bien évidemment occasionné de nombreuses plaintes en justice, avec forte mobilisation des associations de protection des patrimoines et des collectifs riverains. Les parlementaires, indignés de cette dérive dont ils ont été informés, ont déjà fait évoluer la loi à plusieurs reprises, et sous plusieurs législatures, indiquant clairement que la continuité écologique devait cesser de mener à ces destructions et ces conflits.

Mais voilà, la France est un pays très particulier où l'administration choisit à sa guise la manière dont elle va interpréter ces lois. Alors que la dernière réforme de continuité écologique a mené les parlementaires à prohiber expressément les mesures de destruction d'ouvrage, les agences de l'eau tentent à nouveau de contourner la volonté des représentants des citoyens.



Ainsi, un recours  gracieux a été déposé à l'encontre de la délibération  du conseil  d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie  en date du 16 novembre 2021 en tant qu'elle porte révision des modalités d'attribution des aides du 11ème programme d'intervention couvrant la période 2019-2024.

Il apparaît en effet que les modifications apportées au Code de l'environnement et plus particulièrement à son article L.214-17-1, par la loi dite « Climat et Résilience » du 22 août 2021 n'ont pas été prises en compte par cette délibération qui reproduit les mêmes  illégalités  que lors de l'adoption du 11ème programme en 2018.

La loi précitée n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est venue modifier l'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement.

L'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement est aujourd'hui ainsi rédigé :

« 1.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative  établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :

2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des  moulins  à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »
 
Ainsi, en premier lieu, les interventions sur  les ouvrages  hydrauliques quels qu'ils soient  ne doivent  pas remettre  en cause  leur usage,  actuel ou potentiel.

En second lieu et s'agissant plus particulièrement des moulins à eau, le législateur  va  encore plus loin en rappelant expressément  que la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les  seules  modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives  au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments et en ajoutant qu'aucune autre modalité d'intervention n'est autorisée, notamment celles portant sur la destruction de ces ouvrages.

C'est donc en respectant cette nouvelle rédaction de l'article L.214-17-1 du Code de l'environnement que les interventions sur les ouvrages situés sur les cours d'eau classés en Liste 2 en vue de la prise en compte de l'objectif de restauration de la continuité écologique doivent désormais être prévues.

Or, le programme d'intervention révisé n'est pas à jour de ces nouvelles dispositions législatives.

Au titre des travaux de rétablissement de la continuité écologique longitudinale et latérale (Action El), il est notamment mentionné l'éligibilité de travaux de «suppression des ouvrages».

Cette suppression de ces ouvrages remet bien sûr en cause leur « usage actuel ou potentiel ». Et lorsque ces ouvrages  sont  des moulins  à eau, leur suppression (ce qui  est  synonyme  de  leur  destruction)  est clairement prohibée par la loi.

La «suppression» de ces ouvrages, retenue par le 11ème programme révisé comme pouvant être éligible à des financements de l'agence, contrevient donc directement à l'article L.214-17-1 précité du Code de l'environnement.

Le 11 ème programme d'intervention est un dispositif de financement sur fonds publics et il ne peut à ce titre contrevenir à l'objectif voulu par le législateur  de  préservation  du  patrimoine  hydraulique  que  constituent les ouvrages hydrauliques en général et les moulins à eau en particulier.

Il  est en effet formellement  proscrit de mobiliser  des fonds publics pour des actions prohibées par la loi ou qui ne répondent pas à un objectif d'intérêt général. Le juge administratif exerce à cet égard son contrôle sur la licéité des décisions d'octroi des subventions.