Le potentiel de développement de la petite hydro-électricité au fil de l’eau en Europe correspond à une production de 79 à 1710 TWh par an, montre une équipe de chercheurs. La valeur haute est considérable, trois fois la production électrique de la France. Cette énorme fourchette tient presque entièrement aux règlementations administratives : si celles-ci cessent de réprimer l’hydro-électricité, les rivières peuvent délivrer tout leur potentiel pour contribuer à atteindre l’objectif de zéro carbone net en 2050. Chacun doit exposer aux décideurs publics l’urgence de mettre les administrations au service de la transition énergétique, ce qui n’est pas le cas sur toutes les rivières françaises, loin s'en faut. Les agences de l’eau et les syndicats de bassin se désintéressent le plus souvent de l’énergie des rivières, alors que c’est un des enjeux de l'eau depuis deux millénaires et que des dizaines de milliers de sites équipables existent. Pire, ils combattent dans certains cas des projets énergétiques et détruisent même le potentiel de production, alors que la loi a spécifié en 2019 que la petite hydro-électricité devait être désormais mobilisée pour l’urgence climatique. Informez urgemment vos parlementaires de ces données en vue de la prochaine loi énergie qui sera discutée à l'assemblée, et exigez que l’administration de l’eau change immédiatement sa politique néfaste.
L'hydroélectricité est la plus principale source d'énergie renouvelable utilisée dans le monde, représentant 1 330 GW de puissance installée mondiale. La grande hydroélectricité (> 10 MW) contribue également à une meilleure gestion de l'eau (par exemple, le contrôle des inondations), fournit une capacité de stockage, soutient la diffusion de sources d'énergie renouvelables intermittentes (par exemple, éolien et solaire) et offre de la flexibilité au réseau électrique. La petite hydroélectricité (< 10 MW) peut également contribuer au développement local, à la production d'énergie décentralisée et aux opportunités dans les zones reculées. On estime que la capacité installée mondiale de la petite hydroélectricité est de 75 GW, avec 173 GW de potentiel inexploité. La petite hydroélectricité au fil de l'eau représente plus de 75 % des 3 700 centrales hydroélectriques prévues ou en construction dans le monde, en particulier en Europe, leader en ce domaine.
Cinq chercheurs européens (Emanuele Quaranta, Katalin Bódis, Egidijus Kasiulis, Aonghus McNabola, Alberto Pistocchi) ont analysé le potentiel de développement de la petite hydro-électricité en Europe. Leur point était surtout de comparer le potentiel théorique que nous pourrions produire avec le potentiel réduit en cas de régulation environnementale interdisant d'exploiter. C'est-à-dire mesurer le poids de normes écologiques sur la production énergétique des cours d'eau.
Voici le résumé de leur étude :
"Les petites centrales hydroélectriques (puissance installée inférieure à 10 MW) sont généralement considérées comme moins impactantes que les grandes centrales, ce qui a stimulé leur propagation rapide, avec un potentiel de développement qui n'est pas encore épuisé. Cependant, comme ils peuvent avoir des impacts sur l'environnement, en particulier dans le cas d'installations en cascade, il est nécessaire de les exploiter de manière plus durable, par ex. en tenant compte des besoins des écosystèmes et en développant des technologies à faible impact.
Dans cet article, une évaluation a été menée pour estimer comment le débit environnemental et la densité spatiale des installations affectent le potentiel de la petite hydroélectricité (en tenant compte des systèmes au fil de l'eau comme type de dérivation) dans l'Union européenne. Le potentiel de diversion pour centrale hydro-électrique est de 79 TWh/an sous les contraintes environnementales les plus strictes considérées, et de 1 710 TWh/an sous les contraintes les plus relâchées.
Le potentiel des microtechnologies à faible impact (< 100 kW) a également été évalué, montrant que le potentiel économique des hydroliennes en rivière est de 1,2 TWh/an, celui des roues hydrauliques dans les anciens moulins est de 1,6 TWh/an, et le potentiel hydroélectrique des réseaux d'eau et d'assainissement est de 3,1 TWh/an, pour un coût d'investissement moyen de 5 000 €/kW. »
Les auteurs soulignent en particulier que notre capacité à développer cette source dépend du choix fait dans la gestion des rivières : « Les contraintes environnementales affectent le potentiel hydroélectrique au fil de l’eau à grande échelle, de 79 TWh/an à 1 710 TWh/an. Cette grande variation indique que le potentiel de la petite hydroélectricité dépend strictement des objectifs de protection de l'environnement fixés dans l'autorisation des centrales."
Il est à noter que pour l'équipement des moulins existants, les auteurs ont calculé selon l'option de la roue horizontale, en raison "de son acceptation sociale et de sa durabilité environnementale". Mais beaucoup de moulins ont été équipés de turbines au 19e siècle et au 20e siècle, cet équipement ayant une meilleure plage d'utilisation et un meilleur rendement.
Discussion
Une précédente recherche européenne avait analysé plus en détail le potentiel spécifique de relance des moulins à eau les plus faciles à équiper (Punys et al 2019). Ce nouveau travail confirme qu’il existe un fort potentiel de contribution de la petite hydro-électricité à l’objectif européen zéro carbone 2050. Il est notable que la principale variable est non pas la disponibilité des sites, mais la décision d’accepter ou non l’hydro-électricité dans la gestion écologique, sociale et économique des bassins versants. Nous appelons donc les décideurs à faire les bons choix. Aujourd’hui, la prévention du réchauffement climatique et l’indépendance énergétique européenne sont considérées comme des causes d’intérêt public majeur, mais ce n’est pas inscrit explicitement comme tel dans le droit français et européen. Il existe donc des conflits de normes climatiques (baisse du carbone) et écologiques (conservation de milieux), ce qui tend à geler les initiatives, paralyser les investissements et ralentir la transition.
En France, nous observons une situation assez catastrophique en terme de mobilisation de la petite hydro-électricité: les gestionnaires publics en charge des bassins versants (agence de l’eau, syndicat de bassin) n’ont généralement pas de culture énergétique et ne prévoient pas dans leurs schémas de planification l’incitation forte à l’équipement des sites existants. Pire encore, des politiques sont parfois menées pour contrarier cet équipement, l'assortir d'exigences non subventionnées et disproportionnées qui représentent 10 à 20 ans de revenus de la production électrique, voire détruire purement et simplement les ouvrages. Cette politique à contre-emploi doit cesser.
Nos lecteurs doivent prendre ces données et informer leurs parlementaires, qui votent notamment le budget des agences de l’eau et qui prépare une loi énergie pour la rentrée de septembre 2022. Rappelons que la loi française a déjà précisé en 2019 que la petite hydro-électricité doit être mobilisée face à l’urgence écologique. La crise énergétique consécutive à la guerre en Europe n’a fait qu’accentuer cette urgence, en y ajoutant la nécessité de retrouver notre souveraineté, donc d’exploiter toutes nos ressources locales d’énergie. Il est peu acceptable que l’administration bloque encore ce choix démocratique, nuise à la réponse à l’urgence climatique et énergétique, complexifie et renchérisse ce qui pourrait être relativement simple et rapide.
Référence : Quaranta E et al (2022), Is there a residual and hidden potential for small and micro hydropower in Europe? A screening‑level regional assessment, Water Resources Management, 36, 1745–1762