Une recherche menée en république tchèque sur des étangs piscicoles et plans d'eau de carrière montre que ceux-ci abritent près de la moitié de la diversité totale des odonates locales, y compris des espèces en liste rouge nationale. Les chercheurs rappellent que l'origine artificielle d'un milieu aquatique ne l'empêche pas de former un habitat et de contribuer à la gestion de la biodiversité. Ils appellent à préserver la mosaïque locale de ces plans d'eau, voire à l'enrichir de nouveaux sites. On attend toujours que le gestionnaire public de l'eau en France intègre les nombreux travaux de recherche qui attestent des services rendus par les plans d'eau, retenues et autres milieux aquatiques d'origine humaine.
Lester sponsa femelle, photo par Charles J. Sharp CC BY-SA 4.0
Dans de nombreuses régions du monde, les habitats naturels ont été altérés par les activités humaines, avec déclins des communautés d'espèces locales, dont les insectes. Le milieu des eaux douces stagnantes est particulièrement vulnérable car ces habitats sont affectés par l’aménagement des terres, l’eutrophisation, la pollution agricole, industrielle et domestique, les changements climatiques et l’assèchement tendanciel, ainsi que la propagation des espèces invasives. Mais les activités humaines créent également de nouveaux habitats qui peuvent fournir un filet de sécurité contre les perturbations en cours.
Ces habitats artificiels pouvant compenser les tendances négatives pour les petites eaux stagnantes comprennent notamment les plans d'eau créés après l’exploitation minière et les étangs piscicoles, les seconds étant souvent plus anciens. "Certains de ces habitats artificiels peuvent accueillir diverses communautés et espèces rares, y compris, par exemple, des amphibiens ou les insectes terrestres et aquatiques. Les habitats artificiels peuvent également accueillir des communautés différentes par rapport aux sites naturels", rappellent Vojtech Kolar et ses collègues.
Ces chercheurs tchèques ont analysé des plans d'au d'origine humaine à différents stades de leur développement, depuis des étangs anciens jusqu'à des plans d'eau de carrière créés plus récemment. Voici la synthèse de leur résultat :
"Les habitats d'eau douce créés par l'homme constituent une partie importante du paysage européen, en particulier dans les zones où les habitats naturels sont pour la plupart absents ou dégradés. Pour évaluer le rôle des différentes eaux stagnantes artificielles dans les paysages anthropiques, nous avons étudié les communautés d'odonates adultes dans un groupe de 20 plans d'eau, y compris des étangs piscicoles et des plans d'eau de carrière aux stades de succession précoce et en cours.
Nous avons trouvé 35 espèces d'odonates (c'est-à-dire 47% de la faune de la République tchèque), mais leur présence différait significativement entre les trois types d'habitats. La plus grande diversité d'espèces, due principalement à la présence de généralistes, a été trouvée dans les étangs piscicoles. Les plans d'eau de carrière à un stade précoce de succession abritaient les communautés les moins diversifiées dominées par des espèces pionnières et vagabondes. Les espèces spécialisées sont présentes dans les deux types d'habitat de carrière, en particulier ceux qui sont en phase de succession continue, plus que dans les étangs piscicoles. Bien que l'indice biotique de la libellule ne diffère pas entre les trois types de localités, les quatre espèces de la liste rouge nationale enregistrées au cours de l'étude ne sont présentes que dans les carrière. Les principaux facteurs environnementaux des communautés locales d'odonates comprenaient la couverture du rivage par la végétation émergente, la profondeur de l'eau et le substrat du fond ; ces deux dernières caractéristiques correspondaient largement à la distinction entre plans d'eau de carrière et étangs piscicoles.
Nous concluons que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles jouent un rôle important dans le maintien de la biodiversité d'eau douce qui nécessite une mosaïque d'habitats à différents stades de succession."
Les chercheurs concluent : "Nos résultats mettent en évidence le potentiel des habitats artificiels tels que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles pour soutenir diverses communautés de libellules et de demoiselles, et assurer une valeur biotique élevée à l’échelle locale. Nous montrons que diverses communautés d’odonates ont besoin d’une mosaïque d’habitats allant d’étangs peu profonds, éventuellement temporaires, à des plans d'eau permanents avec des eaux plus profondes, avec différents types de substrats, allant de plans d’eau complètement ouverts sans végétation à des étangs envahis par une végétation riveraine hétérogène. Comme chacun de ces types de masse d'eau peut abriter une communauté différente, il est important de créer de nouveaux plans d'eau et de restaurer certains anciens pour accroître la biodiversité locale et maximiser le potentiel de conservation de ces habitats d’eau douce".
Discussion
La recherche en écologie montre que des habitats aquatiques et humides d'origine humaine ont eux aussi une capacité à héberger de la biodiversité et à pallier l'altération de milieux d'eau douce par certaines activités à effets très négatifs sur le vivant. Ce constat répété dans de nombreuses études sur ces milieux artificiels est très éloigné des obsessions qui animent la politique des rivières en France, comme la prime à la destruction des habitats de retenues, plans d'eau, étangs ou lacs. Il est nécessaire que les gestionnaires publics intègrent ces connaissances et développent une vision plus positive sur les plans d'eau, par des conseils de bonne gestion aux propriétaires assorti d'un travail prioritaire sur les excès de pollutions et de prélèvements de l'eau.
Référence : Kolar V et al (2021), The influence of successional stage on local odonate communities in man-made standing waters, Ecological Engineering, 173, 106440