20/12/2022

L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe

Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.








18/12/2022

Les pesticides sous-évalués dans la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau (Weisner et al 2022)

En échantillonnant des cours d’eau de zones agricoles, des chercheurs montrent que la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau minore largement la pollution des rivières par les pesticides. Ils proposent de changer les méthodologies pour avoir une mesure plus juste du poids des toxiques dans les impacts aquatiques. Leur étude est allemande, mais les mêmes problèmes se posent en France et dans les autres Etats-membres. Alors que toutes les analyses en hydro-écologie quantitative ont montré que les pollutions et les usages des sols du bassin versant sont les deux premiers prédicteurs de mauvaise qualité écologique d’une masse d’eau, trop de gestionnaires publics divertissent l’attention sur des sujets très secondaires. 


La directive cadre européenne sur l’eau 2000 a exigé de tous les Etats-membres une analyse par indicateur de la qualité chimique et écologique des cours d’eau, des plans d’eau, des estuaires et des nappes. Mais encore faut-il que les indicateurs soient corrects. Oliver Weisner et huit collègues viennent de montrer que l’analyse de la présence des pesticides dans l’eau est défaillante.

Voici le résumé de leur étude

« La directive-cadre sur l'eau (DCE) exige qu'un bon état soit atteint pour toutes les masses d'eau européennes. Alors que la surveillance gouvernementale dans le cadre de la DCE conclut principalement à un bon état de la pollution par les pesticides, de nombreuses études scientifiques ont démontré des impacts écologiques négatifs généralisés de l'exposition aux pesticides dans les eaux de surface. 

Pour identifier les raisons de cet écart, nous avons analysé les concentrations de pesticides mesurées lors d'une campagne de surveillance de 91 cours d'eau agricoles en 2018 et 2019 en utilisant des méthodologies qui dépassent les exigences de la DCE. Cela comprenait une stratégie d'échantillonnage qui prend en compte l'occurrence périodique des pesticides et un spectre d'analytes différent conçu pour refléter l'utilisation actuelle des pesticides. Nous avons constaté que les concentrations acceptables réglementaires (RAC) étaient dépassées pour 39 pesticides différents dans 81 % des sites de surveillance. En comparaison, la surveillance conforme à la DCE des mêmes sites n'aurait détecté que onze pesticides comme dépassant les normes de qualité environnementale (NQE) basées sur la DCE sur 35 % des sites de surveillance. 

Nous suggérons trois raisons pour cette sous-estimation du risque lié aux pesticides dans le cadre de la surveillance conforme à la DCE : 
(1) L'approche d'échantillonnage - le moment et la sélection du site sont incapables de saisir de manière adéquate l'occurrence périodique des pesticides et d'enquêter sur les eaux de surface particulièrement sensibles aux risques liés aux pesticides ; 
(2) la méthode de mesure - un spectre d'analytes trop étroit (6 % des pesticides actuellement autorisés en Allemagne) et des capacités analytiques insuffisantes font oublier des facteurs de risque; 
(3) la méthode d'évaluation des concentrations mesurées - la niveau de protection et la disponibilité de seuils réglementaires ne suffisent pas à assurer un bon état écologique. 

Nous proposons donc des améliorations pratiques et juridiques pour améliorer la stratégie de surveillance et d'évaluation de la DCE afin d'obtenir une image plus réaliste de la pollution des eaux de surface par les pesticides. Cela permettra une identification plus rapide des facteurs de risque et des mesures de gestion des risques appropriées pour améliorer à terme l'état des eaux de surface européennes. »

Discussion
Le problème pointé ici en Allemagne est répandu dans toute l’Europe (voir nos articles sur les pollutions par pesticides). Les chercheurs admettent qu’il circule bien davantage de substances toxiques que celles «officiellement» et occasionnellement mesurées sur les points de contrôle de la DCE. Le problème ne concerne d’ailleurs pas que les pesticides (par exemple les microplastiques et les médicaments sont mal cernés), ni que l’eau (les sédiments sont aussi contaminés).

Cette sous-estimation pose un problème évident dans la construction des politiques publiques. L’objectif de bonne qualité écologique de l’eau suppose que l’on mesure et pondère correctement ce qui affecte la vie aquatique. Or, si un facteur connu comme nuisible au vivant est ignoré ou minimisé, cela fausse les analyses, les conclusions et les orientations d’action.  Aujourd’hui, les études d’hydro-écologie quantitative comparent l'état de nombreuses rivières en fonction des impact connus de leur bassin versant, afin de hiérarchiser ces impacts et de définir les plus délétères. La pollution chimique y est souvent estimée à partir des marqueurs nitrates et phosphates, faute de données suffisantes sur d’autres substances. Même avec cette limitation, ces études concluent déjà que la pollution est (avec l’usage des sols du bassin versant) le premier prédicteur de dégradation écologique. D’autres causes qui sont souvent mises en avant par des gestionnaires publics (comme la morphologie et, en particulier, les ouvrages hydrauliques) n’ont qu’un poids faible sur les différences écologiques entre masses d’eau, au moins telles que les mesure la DCE. 

Référence : Weisner O et al (2022), Three reasons why the Water Framework Directive (WFD) fails to identify pesticide risks, Water Research,  208, 117848

16/12/2022

La LPO ne laissera pas assécher l'étang du Pont de Kerlouan au nom de la continuité écologique

Le dogme de la continuité écologique des rivières conduit partout en France à assécher des étangs, des plans d'eau, des canaux et leurs marges humides, au nom du retour à une hypothétique "naturalité". Mais dans les faits, cela concerne des milieux en place depuis des décennies à des siècles, ayant été colonisés par le vivant et présentant parfois de l'intérêt pour la faune et la flore. En Bretagne, la tentative de destruction de l'étang du Pont de Kerlouan vient de rencontrer l'opposition de l'antenne locale de la LPO, qui souligne la présence de 112 espèces d'oiseaux dont 57 patrimoniales et 36 protégées. Le bureau d'études en charge de certifier l'intérêt du projet pour la biodiversité n'avait curieusement rien vu... Mais pour un site étudié par des amoureux des oiseaux, combien d'autres plus modestes ont été négligés et condamnés au terme d'une instruction bâclée et à charge?  



Les défenseurs du site soulignent ses multiples intérêts (source). 

Depuis quelques années, un projet d'imposition de la continuité écologique est porté sur le ruisseau du Quillimadec, à hauteur de l'étang du Pont sur la commune de Kerlouan, malgré l'avis négatif de nombreux riverains attachés au site (voir cet article de 2021 et la pétition des citoyens). 

Aujourd'hui, les protecteurs de l'étang et de ses marges humides viennent de trouver un allié de poids : la ligue de protection des oiseaux.

Nous publions ci-après un extrait de la lettre de la LPO à la Communauté Lesneven Côtes des Légendes, porteur du projet.

"Datant probablement du 19ème siècle, l'étang du Pont a été créé sur le cours d'eau du Quillimadec. Les ouvrages hydrauliques situés en aval de l'étang, liés à l'histoire du site et l'activité meunière, entravent aujourd'hui la libre circulation des poissons et des sédiments. Identifié comme cours d'eau à intérêt pour les grands migrateurs, l'enjeu actuel imposé par la DCE1 est de rétablir la continuité écologique du Quillimadec. Le bureau d'études SINBIO, missionné sur ce dossier a rendu son rapport et présenté 5 scénarios et ses variantes pour répondre à l'enjeu précité. La majorité des acteurs consultés se sont positionnés en faveur du scénario 1 présenté par le bureau d'études SINBIO, soit l'effacement de l'étang et le reméandrage du cours d'eau ; choix validé par les élus communautaires en octobre 2021 d'après la presse.

Il s'avère en effet que dans de nombreux cas d'étangs sur cours d'eau, ce choix technique est pertinent pour de multiples raisons que la LPO Bretagne partage. Cependant dans le cas de l'étang du Pont, il nous apparaît que les conséquences de ce scénario sur la biodiversité n'ont pas été correctement évaluées. Nous faisons en effet le constat que le dossier ne prend pas suffisamment en compte les implications du projet sur les milieux naturels impactés et sur l'ensemble des espèces présentes. Or, le site concentre de forts enjeux pour l'avifaune nicheuse et migratrice, qui semblent avoir été totalement oubliés.

Les études naturalistes réalisées par Bretagne Vivante ont ainsi démontré que le site de l'Étang du Pont est un « site original et attractif en l'état pour les oiseaux». Sur la période 2019-2020, 112 espèces d'oiseaux ont été recensées sur le site dont 57 patrimoniales ou indicatrices et 36 autres intégralement protégées.

Il est donc absolument nécessaire que le projet intègre à sa réflexion les enjeux liés à l'avifaune nicheuse, laquelle comporte notamment un cortège très spécifique d'oiseaux paludicoles, présentant des enjeux de conservation (espèces inféodées aux étendues de roselières, cariçaies, mégaphorbiaies), mais aussi les enjeux liés à l'avifaune migratrice et hivernante, très riche et originale sur le site, et qui exploite les surfaces de vasière et d'eaux peu profondes.

La restauration du lit naturel du cours d'eau, telle que prévue, bouleverserait les habitats naturels en place, et de fait, les cortèges faunistiques associés. Ce phénomène n'est pas décrit dans le dossier.

Par ailleurs, il est constaté que le projet d'effacement de l'étang s'accompagne de la création de mares, qui vise à recréer des niches écologiques intéressantes. Cependant, cette mesure condui­rait à un fractionnement des habitats naturels dont dépendent des espèces à enjeux de conserva­tion aujourd'hui présentes. Certaines de ces espèces à enjeux de conservation ne se reporteront pas sur les espaces humides plus petits et moins homogènes que sont les mares. Par ailleurs la pérennité de ces mares n'est pas garantie, elles seront très vite colonisées par le saule et natu­rellement comblées en quelques années. La création de mares ne compenserait donc pas les ha­bitats humides en place aujourd'hui, et conduirait à un appauvrissement et à une banalisation du milieu naturel.

On ne peut donc pas résumer le scénario 1 à « un gain de biodiversité », comme cela est présenté actuellement, car il convient de bien considérer la perte des habitats occasionnée pour de nom­breuses espèces protégées. La LPO Bretagne craint donc au contraire que ce projet, en l'état, soit facteur d'une baisse notable de biodiversité sur le site.

Il est en outre à noter que lors d'échanges que nous avons partagés avec des riverains, il semble­ rait que toutes les pistes n'aient pas été explorées à ce jour: la restauration du lit mineur, l'exis­tence d'une échelle à poissons à réhabiliter, la piste d'entretien de l'étang par pompage dans un puits à sédiments avant l'exutoire, etc..

C'est pourquoi, au regard des éléments énoncés en substance, la LPO Bretagne demande à relan­cer le débat avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une issue technique qui n'oppose surtout pas la faune piscicole et l'équilibre de la rivière à l'avifaune. Elle alerte par ailleurs le porteur de projet et les autorités sur la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées dans l'hypothèse où le scénario 1 serait mis en œuvre et de présenter le cas échéant des mesures d'évitement, de réduction et/ou de compensation."

Commentaire
Le déni de l'intérêt des milieux aquatiques et humides créés par les ouvrages hydrauliques est un véritable scandale public, qui a déjà abouti à la disparition de milliers de sites dans la plus grande indifférence des services officiels de la biodiversité. 

Partout en France, on a détruit et asséché des retenues, de plans d'eau, des canaux, parfois vieux de plusieurs siècles, sans aucune étude sérieuse de leur biodiversité aquatique et terrestre. Tout cela au nom de deux dogmes qui dominent trop souvent les instructions : un milieu artificiel ne peut pas être intéressant par principe (position de nombreux agents instructeurs de l'OFB et de techniciens de syndicats de rivière); l'enjeu essentiel est censé être le retour à des rivières lotiques pour des poissons de milieux lotiques (position de diverses fédérations de pêche qui prétendent monopoliser la définition des milieux d'intérêt, en particulier en zone salmonicole). 

Nous avons maintes fois alerté les services de l'Etat, diffusé des dossiers montrant que des chercheurs soulignent la nécessité d'étudier la faune et la flore des habitats anthropiques avant d'intervenir. En vain dans la plupart des cas. Notre association est toujours en contentieux concernant la destruction de l'étang de Bussières, en Bourgogne, malgré l'intérêt de ses habitats et la présence d'espèces patrimoniales.

Désormais et fort heureusement, le conseil d'Etat a rétabli la nécessité de l'étude d'impact et de l'enquête publique avec d'imposer des solutions perturbant un site. Nous appelons évidemment tous les citoyens à recenser l'ensemble des services écosystémiques associés aux plans d'eu et canaux, ainsi qu'à inventorier leur faune et leur flore pour répondre au déni des services instructeurs et de certains lobbies.

13/12/2022

L’Europe va-t-elle voter en catimini la destruction en série des barrages, moulins, étangs, retenues, canaux et plans d’eau ?

La règlementation Restore Nature, inspirée à la commission européenne par les lobbies et experts militant pour le retour à la rivière sauvage, prévoit comme seule option sur les cours d’eau concernés la destruction des ouvrages hydrauliques. Ce choix radical a pourtant déjà mené à des conflits, contentieux et condamnations en France, pays qui a tenté d’en faire l’essentiel de sa politique publique des ouvrages en 2010, avant d’abandonner. Nous appelons les députés européens à mener leur travail politique d’analyse critique des positions bien trop radicales de la commission sur ce sujet, d’autant qu’elles viennent d’être aggravées et non améliorées par le rapporteur environnement du Parlement. L’eau et l’énergie sont des dimensions critiques pour les populations européennes , elles vont le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. L'avenir des ouvrages hydrauliques se réfléchit à la lumière de ces enjeux. Quant à la négation de six millénaires de relations humaines aux rivières au nom d’une vision théorique de la nature déshumanisée, c’est un choix idéologique n’ayant certainement pas vocation à inspirer une politique publique à échelle du continent. Une réécriture plus démocratique, plus intelligente et plus inclusive du texte est indispensable.


La commission environnement du parlement européen vient de rendre un premier rapport préliminaire d’évolution de la règlementation «Restore Nature» (lien pdf).

Nous sommes au regret de constater que le rapporteur principal Cesar Luena (S&D, Espagne) n’a pour le moment tenu aucun compte de nos observations faites sur les défauts du texte de la commission concernant la restauration de rivière, et qu’il les a même aggravés.

Rappelons que cette règlementation européenne, dans son article 7, propose la seule «destruction d’obstacle» comme outil de restauration de rivière. Concrètement, détruire les barrages, seuils, chaussées, digues, assécher leurs milieux aquatiques attenants, faire disparaître leur patrimoine paysager et culturel, éliminer leurs usages sociaux. Ce choix est navrant par sa radicalité, car il correspond aux seules demandes des lobbies intégristes du retour à la rivière sauvage – lobbies soutenus par une fraction de la recherche en écologie de la conservation, qui est sur cette même ligne idéologique (mais qui ne résume évidemment et heureusement pas tout ce que les sciences peuvent dire des ouvrages hydrauliques). Il est possible de restaurer des fonctionnalités au droit d’un ouvrage en rivière par des mesures de gestion ou d’équipement, options qui doivent donc figurer dans le texte de la réglementation. La destruction doit être l'exception, pas la norme.

Par ailleurs, si le texte actuel rappelle que la mesure est censée concerner des sites «obsolètes» sans usage d’énergie ou de stockage d’eau, il oublie de nombreuses dimensions qui ont été soigneusement niées par les lobbies (et parfois les experts) : existence d’habitats anthropiques d’intérêt sur les  sites anciens , patrimoines locaux, régulation de crues et sécheresses, etc. L’ajout fait par Cesar Luena et deux co-rapporteurs tend même à aggraver le texte initialement proposé par la Commission, puisqu’il inclut désormais sans réserve d’usage des «barrières dont la suppression a un fort impact écologique». C’est notamment ici la demande du lobby naturaliste WWF, de Dam Removal et de quelques autres acteurs ne faisant pas mystère de leur souhait de détruire des barrages même s’ils produisent de l’hydro-électricité ou assurent des stocks d’eau. Un choix qui indigne le citoyens partout où il est proposé.

Nous allons bien évidemment appeler les parlementaires européens à revenir à la raison. Un dossier consacré à l’échec français en matière de continuité écologique commence à leur être diffusé (il sera bientôt disponible sur ce site). 

Ce texte européen  se veut un banc d’essai sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de rivières à restaurer, avec une amplification après 2030. Il doit partir sur des bonnes bases :
  • L’Europe affrontera des besoins critiques en eau et en énergie, qui doivent avoir primauté normative non ambigüe sur les options de «ré-ensauvagement» des milieux aquatiques.
  • Les tentatives d’imposer aux populations locales des solutions uniques décidées par des technocraties lointaines échouent partout, elles se traduisent par des injustices territoriales et par une régression de la perception de l’écologie.
  • Les rivières européennes sont des réalités anthropisées depuis 6 millénaires, tandis que le réchauffement climatique est en train de changer les conditions de tous les systèmes aquatiques. Il est donc simpliste et même aberrant de faire encore croire aux citoyens qu’une «nature» se «restaure» dans un état antérieur sous prétexte que tel ouvrage est ou non présent.
  • L’obsession du retour à une nature pré-humaine peut aussi se traduire par la destruction d’habitats anthropiques d’intérêt, cette issue doit donc être clairement traitée par le droit en exigeant des inventaires préalables complets de biodiversité sur site, en interdisant des perturbations ne correspondant à aucun intérêt public réel, ou ayant des alternatives meilleures. 
  • Il est tout à fait possible de préférer des aménagements de tronçons de rivière en vue d’avoir une  haute «naturalité» (entendue comme faible impact humain), mais un tel choix doit relever des préférences locales au cas par cas, avec justification forte et adhésion réelle. Un tel choix constitue par ailleurs lui aussi et en dernier ressort un aménagement anthropique (la création d’un certain type de paysage fluvial désiré par des riverains). Opposer l’humain et la nature n’a pas ici de sens, ce sont toujours des relations nature-culture qui se décident et se déploient. 
  • La technocratie européenne doit écouter l'ensemble des parties prenantes concernées dans la construction de ses décisions, et non une sélection d'acteurs confortant des choix administratifs sectoriels. Elle doit aussi respecter le principe de subsidiarité et ne pas imposer aux Etats et aux communautés des choix prédéfinis là où il existe des alternatives.

10/12/2022

Pas de politique de stockage et de gestion de l’eau sans progrès des connaissances et sans intégration de tous les acteurs concernés

Alors que le Sénat publie un rapport sur la question du stockage de l'eau, notre association constate deux problèmes de gouvernance. D'une part, il existe entre 500 000 et 1 million de plans d'eau d'origine humaine qui sont très mal connus aujourd'hui, peu étudiés au plan scientifique et pluridisciplinaire, négligés par l'administration de l'écologie car leur origine artificielle fait présumer qu'ils seraient sans intérêt, voire qu'ils devraient être détruits et asséchés. D'autre part, les propriétaires et gestionnaires des ouvrages et sites concernés ne sont pas associés de manière permanente aux politiques publiques et aux instances de réflexion, ce qui a conduit à des échecs de certaines de ces politiques, comme dans le cas de la continuité écologique. Le problème sera le même demain sur la gestion quantitative et qualitative des plans d'eau pour la société et le vivant. Nous appelons les représentants politiques et administratifs à changer de vision et à admettre que la gestion future de l'eau pour de multiples usages doit intégrer cette réalité aussi massive que niée.


Notre association salue le rapport sénatorial de prospective Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France, rendu public ce jour. 

Parmi les nombreux points soulevés dans ce travail, on trouve la question des outils actuels de stockage et régulation de l’eau. En particulier les petits ouvrages hydrauliques, bien moins connus que les grands réservoirs dont la gestion est souvent publique.
 
Il existe aujourd’hui 50 000 à 70 000 moulins à eau en lit mineur, 200 000 à 250 000 étangs en lit mineur ou majeur, 500 000 à 700 000 plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur.

Ces réalités sont très anciennes puisque le stockage et usage d’eau a commencé dès l’Antiquité et s’est accéléré à partir du Moyen Âge. D’autres ouvrages ont été bâtis au 20e siècle, en particulier avant la loi de 1992 qui a davantage réglementé la création de plans d’eau.

Même si ces plans d’eau (et canaux) sont de petites dimensions, leur grand nombre fait qu’ils représentent un volume d’eau considérable pour la société, l’économie et le vivant.

Problème n°1 : défaut de connaissance
Hélas, cette réalité est encore peu traitée du point de vue de la connaissance. Un inventaire national des plans d’eau est en cours de constitution et sa première version sera rendue publique en 2023. Il existe un référentiel des obstacles à l’écoulement (ROE) pour les ouvrages en lit mineur, avec déjà plus de 100 000 entrées. 

Cependant, la réalité derrière les nomenclatures administratives n’est pas analysée sérieusement. L’objectif quasi unique du gestionnaire public a été la continuité écologique en long sur les ouvrages en lit mineur, alors que la science a démontré que des dizaines de services écosystémiques sont associés aux plans d’eau (et aux canaux parfois annexes des plans d’eau), en particulier : 
  • Régulation des crues et sécheresses
  • Biodiversité de milieux lentiques et humides
  • Zone refuge en étiage
  • Dépollution des intrants et auto-épuration
  • Production d’énergie, pisciculture
  • Adaptation au changement climatique par îlot de fraîcheur
  • Réserves incendie très réparties
  • Agréments culturels, paysagers et de loisirs

Problème n°2 : défaut de représentation et concertation
A la carence de connaissances s’ajoute le problème du défaut de représentation institutionnelle.

Aujourd’hui, ces ouvrages ne sont pas représentés de manière permanente au comité national de l’eau, aux comités de bassin des agences de l’eau, ni parfois dans les enquêtes parlementaires sur les thèmes les concernant. 

C’est la raison pour laquelle la réforme de continuité écologique en long s’est très mal passée, ayant été conçue sans travail sérieux avec les premiers concernés pour envisager sa faisabilité et son acceptabilité. Le problème sera le même pour la politique de gestion quantitative et qualitative de l’eau. 

Nous demandons en conséquence une double évolution des pratiques :
  • Une politique d’acquisition de connaissances sur la diversité des plans d’eau, leurs services écosystémiques et leurs dimensions d’intérêt pour les politiques de l’eau, en vue non de les faire disparaître au nom de la « renaturation » ou de la « continuité », mais de les valoriser et de les associer aux objectifs d’intérêt général,
  • Un élargissement des instances de réflexion et concertation de l’eau aux acteurs représentant les ouvrages hydrauliques concernés (moulins, étangs, canaux,  plans d’eau).
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