24/01/2023

Les citoyens français encouragent le développement hydro-électrique

Le gouvernement avait lancé une consultation nationale en ligne sur l’avenir énergétique de la France. A la question sur l’hydro-électricité, 49,5% des répondants ont souhaité un développement massif et sans limite de cette énergie, 31,7% un développement sur les sites les plus rentables ou les moins impactants, 18,8% un arrêt du développement. Il y a donc un soutien démocratique fort à l’idée de faire croître la production hydro-électrique. Cela doit se refléter dans les programmations et instructions des administrations du ministère de l’écologie, des agences de l’eau, des syndicats de rivière. Car les gestionnaires publics de l’eau n’ont pas vocation à incarner des vues minoritaires dans une démocratie environnementale respectant les avis des citoyens. 

Le gouvernement avait lancé à l’hiver une consultation nationale en ligne, sur le thème «Notre avenir énergétique se décide maintenant». 31 355 contributions ont été déposées dans la consultation en ligne. Elles sont ainsi réparties :
  • 8 302 pour le thème "Comment adapter notre consommation pour atteindre l’objectif de neutralité carbone ?" ;
  • 17 382 pour le thème "Comment satisfaire nos besoins en électricité, et plus largement en énergie, tout en assurant la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles ?"
  • 4 706 pour le "Comment planifier, mettre en œuvre et financer notre transition énergétique ?"

La question de l’hydro-électricité était soulevée dans le thème de la satisfaction des besoins énergétiques futurs.


Première observation : l’hydro-électricité est l’énergie qui a soulevé le plus de contributions, se plaçant même au-dessus de l’éolien terrestre ou du nucléaire, deux sources d’énergie mobilisant d’habitude les citoyens. L’ouvrage hydraulique est donc bien devenu un objet démocratique installé dans le débat des citoyens, alors que le sujet est finalement très peu évoqué par les élus et médias nationaux. 

Concernant la question sur l’hydro-électricité, trois option étaient proposées :
A - Se limiter à optimiser l’existant, car il n’apparaît pas opportun de développer de nouveaux projets
B - Optimiser l’existant et, concernant de nouveaux sites, aménager uniquement ceux dont le potentiel est significatif ou ceux présentant une sensibilité environnementale quasi-nulle
C - Développer tous les projets hydroélectriques, y compris les très petites installations pour maximiser les capacités installées, et y compris les projets plus coûteux, tout en essayant de limiter les impacts environnementaux

L’option C, la plus favorable au développement hydro-électrique, emporte les suffrages et frôle la majorité absolue avec 49,5% des réponses. L’option B suit à 31,7 % des réponses. Enfin l’option A, la moins favorable à l’hydro-électricité, ne recueille que 18,8% des choix des participants.

Nous espérons que ces résultats seront pris en compte dans la construction de la loi de programmation énergétique en 2023. Mais aussi et surtout qu’ils seront intégrés par le personnel administratif eau, énergie, biodiversité qui travaille sous la tutelle du ministère de l’écologie. En effet, la loi prévoit déjà (depuis 2019) le développement de la petite hydro-électricité. Cette  énergie figure aussi dans les usages cités comme relevant de la gestion équilibrée et durable de l’eau, depuis la loi de 2006, donc relevant de l'intérêt général. 

Il est dès lors anormal d’observer que le personnel public de l’écologie tend à adopter et satisfaire des options très minoritaires visant à décourager et non encourager des projets hydro-électriques. Cette situation doit changer car elle affaiblit la crédibilité de l’action publique. Elle retarde surtout la lutte contre le changement climatique par électrification et décarbonation accélérées des activités en France. 

16/01/2023

Bilan de la continuité en long des rivières sur le bassin Adour-Garonne

L’agence de l’eau Adour-Garonne (Eau Grand Sud Ouest) a commandité un audit sur le classement des rivières en continuité écologique depuis 10 ans. Un premier rapport de synthèse donne quelques faits et chiffres globaux du bassin ici reportés. Si le bassin Adour-Garonne est loin d’être le pire en matière de mise en œuvre de la continuité écologique, notamment pour ce qui est du dogme de l’effacement d’ouvrage, on y constate les mêmes problèmes qu’ailleurs : retard considérable sur la mise en conformité des ouvrages, dimension irréaliste du classement de 2012-2013, situation illégale de la grande majorité des sites à l’arrivée au terme du classement, pas de résultats très probants sur les migrateurs malgré les dizaines de millions d’euros déjà dépensés et les dommages causés sur les usages des ouvrages hydrauliques… Le gouvernement, le parlement, les agences de l’eau et les préfectures n’échapperont pas au besoin de redéfinir sérieusement cette politique de continuité écologique, qui est controversée pour de bonnes raisons. 


La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 prévoyait des rivières où serait demandée au niveau des  ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, écluses, gués, etc.) la capacité de circulation des poissons migrateurs et de transit des sédiments. Cette loi posait ainsi le principe dit de "continuité écologique" mais sans préciser le détail des rivières où il y avait de tels enjeux. 

Voici 10 ans, par une série d’arrêtés, les préfets de bassin hydrographique ont classé des rivières françaises au titre de cette continuité écologique en long.  Dans le cas des classements dits en liste 1, cela signifie qu’aucun obstacle au franchissement de poisson ou au transit de sédiment ne peut être construit (mais un ouvrage assurant ces deux fonctions peut l'être). Dans les classements dits en liste 2, cela signifie que tous les obstacles présents (seuils, chaussées, digues, vannes, barrages) devaient obligatoirement être aménagés dans un délai de 5 ans, prorogé une fois de 5 ans par la suite.

Ce classement a dans l’ensemble été aberranthttp://www.hydrauxois.org/2022/11/voici-dix-ans-le-classement-aberrant-de.html, comme nous l’avons récemment rappelé, en raison du nombre délirant de rivières et d’ouvrages concernés sur un délai légal aussi court, ainsi que du manque total de rigueur et de méthode dans la priorisation des enjeux écologiques par l’administration en charge du sujet. 

L’agence de l’eau Adour-Garonne a profité des dix ans du classement des rivières pour commanditer un rapport d’audit. Nous publions et commentons ici quelques données-clés de ce rapport. 

Linéaire de rivières classées
  • les tronçons de cours d’eau classés en liste 2 représentent 7 598 km soit 6,4% du réseau hydrographique
  • le linéaire de cours d’eau classé en liste 1 est de 34 693 km, soit 29,3% du réseau hydrographique, dont 6 815 km en double classement liste 1 et liste 2
Espèces concernées
  • le saumon et la truite de mer constituent des espèces cibles du classement avec respectivement 34 et 37% des linéaires de rivières
  • l’anguille constitue une espèce cible sur pratiquement 71% des cours d’eau classés
  • la lamproie marine est un enjeu sur pratiquement la moitié des rivières classées tandis qu’1/4 des cours d’eau sont concernés par l’enjeu grande alose.
  • sur l’ensemble des rivières, 1/5ème est concerné par un seul enjeu propre à la truite commune
Ouvrages concernés
  • environ 3 500 ouvrages concernés par le classement en liste 2, soit environ 17,5% du nombre total d’ouvrages recensés sur le bassin.
  • 16% des ouvrages sont dédiés à la production hydroélectrique.
  • 68% des ouvrages classés se situent dans des tronçons à enjeu biologique grand migrateur et 32% à enjeu d’espèces holobiotiques.
Aides agence de l’eau
  • 407 ouvrages ont reçu une aide de l’Agence de l’eau entre 2013 et 2020 (moins de 12% des ouvrages classés liste 2),
  • 63% des aides ont concerné des équipements d’ouvrages et 37% des effacements (effacements majoritaires sur les cours d’eau à enjeux holobiotiques),
  • 41% des aides ont été versées à des aménagements hydroélectriques,
  • montant total d’aide versé : 50.8 M€, 87% pour les équipements (259 ouvrages), 13% pour les effacements (148 ouvrages)
Concernant l’efficacité de cette politique, les auteurs redoublent de prudence pour dire que le bilan biologique doit être fait sur une longue période, qu’il doit intégrer les autres impacts environnementaux et la chronologie des interventions, etc. 

Les rares données globales (à échelle du bassin) produites dans le rapport ne suggèrent pas pour le moment un bilan très enthousiasmant. 


Ainsi l’évolution du saumon atlantique (ci-dessus) montre un schéma en dent de scie, sans que l’ouverture de nouveaux axes ou de nouveaux habitats par la continuité se traduise par une évolution démographique remarquable sur dix ans (malheureusement, on n’a pas de données des trente années précédentes, mais voir la publication de Legrand et al 2020 pour une analyse des migrateurs sur la France entière et en longue période).


Quant à la lamproie marine (ci-dessus), elle connaît un effondrement démographique sur la période récente, ce qui rappelle que la continuité est loin d’être le seule problème des espèces migratrices. 

En conclusion
  • Il est bon que les agences de l’eau fassent de tels bilans sur la politique très contestée de continuité écologique.
  • En Adour-Garonne comme ailleurs, la grande majorité des ouvrages ne sont pas en conformité à la continuité écologique alors que le délai légal est dépassé. Il est inacceptable de laisser pourrir la dimension juridique du sujet : soit la loi supprime la notion de délai (dépassé), soit le préfet de bassin publie un nouveau classement (plus réaliste, donc avec beaucoup moins de tronçons) des rivières en liste 2. 
  • En terme de révision des classements, on doit poser la question des cours d'eau classés uniquement pour la truite commune, espèce largement répandue et non menacée, car ce choix correspond éventuellement à des attentes halieutiques mais pas à une priorité écologique en niveau de menace d'extinction.
  • Le bilan doit intégrer des chiffres clairs sur l’évolution de toutes les espèces de poissons cibles, bassin par bassin et au global, car la hausse démographique de ces poissons est bien la promesse de cette politique et la justification des nuisances qu’elle crée par ailleurs.
  • L’agence de l’eau Adour-Garonne est loin d’être l’institution la plus problématique pour la mise en œuvre de la continuité écologique. Comme sa consœur Rhône-Méditerranée, et sans doute en raison d’une composante hydraulique et hydro-électrique dans la culture gestionnaire, cette agence a classé un nombre raisonnable de rivières en 2012-2013 au titre de la continuité écologique. Et elle n’a pas engagé des incitations politiques fortes en direction de la seule destruction. On ne peut en dire autant d’autres agences de l’eau, comme Loire-Bretagne ou Seine-Normandie, qui ont cumulé les deux défauts : irréalisme du classement continuité écologique, sectarisme dans sa mise en œuvre (voir les chiffres comparés disponibles dans le rapport CGEDD 2016)..
  • En 2023 comme auparavant, cette politique de continuité écologique est problématique : chère, mal acceptée par les riverains pour des raisons de patrimoine, de paysage ou d’usage, contradictoire avec le rôle des ouvrages pour l’énergie et le stockage d’eau, sans résultat très intéressant et sans démonstration que les résultats (in fine des variations de densités de poissons) représentent un intérêt général prioritaire.

13/01/2023

Etangs, pesticides et effets épurateurs des retenues (Le Cor 2021)

La très intéressante thèse de François Le Cor, consacrée à l'étude des pesticides et de leurs produits de transformation dans l'eau des têtes de bassin versant, particulièrement dans les systèmes d'étangs, a été publiée en ligne. Ce travail confirme que les retenues d'eau ont un pouvoir épurateur vis-à-vis des intrants chimiques indésirables. Tout le contraire de ce qui avait été affirmé par certains acteurs publics (agences de l'eau, OFB, syndicat de rivières) sur la soi-disant capacité d'auto-épuration de la rivière par destruction de ses ouvrages hydrauliques et de ses retenues. Cette manipulation flagrante de l'opinion dans les années 2010 avait contribué à miner la crédibilité des politiques de continuité écologique, fondées sur la négation de tout intérêt des ouvrages et sur la survalorisation des effets positifs de leur disparition.  


Résumé de la thèse
"L’utilisation des produits de protection des plantes (PPP) dans les systèmes agricoles conventionnels depuis les années 1960 a conduit à une large contamination des écosystèmes aquatiques. Des travaux récents ont mis en évidence un transfert de PPP depuis les parcelles agricoles vers les cours d’eau de tête de bassin versant (BV) ainsi que vers les plans d’eau qui ponctuent ces réseaux hydrographiques: les étangs. En aval de ces derniers, les concentrations en PPP dissous mesurées étaient significativement plus basses qu’en amont, traduisant un effet tampon de ces systèmes lentiques.

Dans le cadre des travaux de thèse présentés, nous nous sommes fixés pour objectif d’apprécier, d’une part, l’occurrence des PPP au sein de ces masses d’eau de tête de BV, et, d’autre part, de leurs produits de transformation (TP). Ensuite, nous nous sommes attachés à déterminer l’abattement des PPP et TP par l’étang dans les fractions dissoutes et particulaires. En complément, le suivi de la contamination de différentes matrices environnementales (i.e. eau, sédiments, ichtyofaune) au sein de l’étang a été entrepris dans l’objectif d’apporter des éléments d’appréciation des processus susceptibles d’intervenir dans cet abattement. La mise en place de stations de prélèvement asservies au volume en entrée et en sortie d’étang de barrage a permis un échantillonnage exhaustif des masses d’eau de tête de BV durant un cycle piscicole complet. Ensuite, le suivi mensuel des compartiments sédimentaires et aquatiques, ainsi que l’échantillonnage en début et fin de cycle piscicole des poissons produits, ont permis d’apprécier les contaminations des différentes matrices sélectionnées. La méthodologie analytique mise en œuvre, basée sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem a permis la recherche de composés d’intérêts, en lien avec les traitements réalisés sur le bassin versant, dans les différentes matrices échantillonnées.

Ces travaux de thèse mettent en évidence l’occurrence des PPP et de certains TP dès la base du réseau hydrographique. Les échantillons d’eau récoltés attestent de la présence a minima de cinq composés différents par échantillon, à des concentrations maximales cumulées pouvant atteindre 27 µg/L en amont. Les TP représentent plus de 50 % des composés détectés. En aval de l’étang, les concentrations maximales (2,2 µg/L) ainsi que le nombre de composés détectés sont atténués. Le suivi annuel des volumes d’eau ainsi que des quantités de matières en suspension a permis de réaliser un bilan des flux amont/aval des contaminants, mettant en avant l’abattement de 74,2 % des quantités globales en PPP et TP. L’exploration des compartiments intra-étang met en évidence la présence majoritaire des TP dans la colonne d’eau et, selon les molécules, la diminution de leur concentration moyenne au cours du cycle piscicole avec des maximums observés lors des premières précipitations qui font suite aux périodes d’épandage sur les parcelles agricoles. De même, dans les sédiments, certains PPP et TP présentent des diminutions significatives de leurs concentrations moyennes au cours de ce cycle. Enfin, nous avons mis en évidence l’accumulation de prosulfocarbe chez trois espèces de poisson d’étang (C. carpio, S. erythrophthalmus et T. tinca) pendant le cycle piscicole, en lien avec la contamination constatée dans les sédiments de l’étang au cours de l’année.

Les résultats obtenus fournissent des données de référence sur l’occurrence des PPP/TP dans différentes matrices environnementales en tête de BV. Une réduction des concentrations en PPP an aval de l’étang a été confirmée. Ce travail de thèse a permis de mettre en évidence que cet abattement est observable aussi bien pour les formes dissoutes que particulaires des PPP étudiés mais également pour leurs TP dont l’occurrence s’est avérée déjà conséquente en amont de l’étang."

Référence : Le Cor François (2021), Etangs et qualité des cours d’eau de têtes de bassins versants agricoles : impact sur le devenir des pesticides et leurs produits de transformation, thèse doctorale, Université de Lorraine, École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

11/01/2023

Forte progression des espèces exotiques dans les communautés de poissons du Rhin (Le Hen et al 2023)

Gwendaline Le Hen et neuf collègues ont étudié la composition piscicole du Rhin supérieur en Allemagne, sur 35 ans de données. La tendance est marquée par la forte progression des espèces exotiques, qui représentent aujourd'hui 30% des espèces et 32% des individus, contre respectivement 5% et 0,1% au début des années 1980. Le changement climatique favorise cette évolution de la biodiversité qui modifie les traits fonctionnels des communautés biotiques. Ce phénomène de diversification des espèces de poisson, déjà généralisé dans les grands fleuves connectés et ayant tendance à s'accélérer, pose la question des conditions de référence et des objectifs de conservation que les politiques publiques choisissent en gestion de la biodiversité aquatique. De toute évidence, le vivant évolue rapidement à l'Anthropocène.


Voici le résumé du travail des chercheurs :

"Les poissons exotiques ont un impact considérable sur les communautés aquatiques. Cependant, leurs effets sur la composition des traits restent mal compris, en particulier à de grandes échelles spatio-temporelles. Ici, nous avons utilisé des données de biosurveillance à long terme (1984-2018) de 31 communautés de poissons du Rhin en Allemagne pour étudier les changements de composition et fonctionnels au fil du temps. 

La richesse communautaire totale moyenne a augmenté de 49 % : elle a été stable jusqu'en 2004, puis a diminué jusqu'en 2010, avant d'augmenter jusqu'en 2018. L'abondance moyenne a diminué de 9 %. Partant de 198 individus/m2 en 1984, l'abondance a largement décliné à 23 individus/m2 en 2010 (−88 %), puis a augmenté de 678 % jusqu'à 180 individus/m2 jusqu'en 2018. Les augmentations d'abondance et de richesse à partir de 2010 environ étaient principalement entraînée par l'implantation d'espèces exotiques : alors que les espèces exotiques représentaient 5 % de toutes les espèces et 0,1 % du total des individus en 1993, elles sont passées à 30 % (7 espèces) et 32 % des individus en 2018. Concomitant à l'augmentation des espèces exotiques , la richesse et l'abondance moyennes des espèces indigènes ont diminué de 26 % et 50 % respectivement. Nous avons identifié l'augmentation de la température, les précipitations, l'abondance et la richesse des poissons exotiques comme forces motrices de changements de composition après 2010. 

Pour mieux comprendre les impacts des espèces exotiques sur les communautés de poissons, nous avons utilisé 12 caractéristiques biologiques et 13 caractéristiques écologiques pour calculer quatre métriques de caractéristiques chacune. La dispersion des traits écologiques a augmenté avant 2010, probablement en raison de la diminution des espèces indigènes écologiquement similaires. Aucun changement dans les paramètres de trait n'a été mesuré après 2010, bien que les parts relatives des modalités de trait exprimées aient considérablement changé. Le changement observé dans les modalités des traits a suggéré l'introduction de nouvelles espèces portant des modalités de traits à la fois similaires et nouvelles. Nos résultats ont révélé des changements significatifs dans les compositions taxonomiques et caractéristiques suite aux introductions de poissons exotiques et au changement climatique. 

Pour conclure, nos analyses montrent des changements taxonomiques et fonctionnels du Rhin sur 35 ans, probablement indicatifs de changements futurs dans les services écosystémiques."

Discussion
L'introduction et la dispersion des espèces exotiques est un phénomène devenu commun sur les fleuves et rivières connectés, en Europe comme dans le reste du monde. Concomitamment, des espèces endémiques et spécialisées voient souvent leur population se restreindre, tant sous l'effet du changement climatique que sous la pression de compétiteurs dans leur niche trophique. Nous avions commenté une étude sur la Seine montrant que 46% des espèces de ce bassin sont désormais d'origine exotique, avec une accélération du phénomène depuis un siècle (voir Belliard et al 2021). L'analyse de Gwendaline Le Hen et de ses collègues sur le Rhin confirme les mêmes tendances, mais de manière plus accélérée et sur trois décennies seulement.

L'arrière-plan de la politique écologique des rivières en Europe est de conserver une biodiversité représentative des "conditions de référence" de chaque cours d'eau, selon les termes choisis par la directive européenne. Mais plus nous avançons dans la condition anthropocène – que ce soit ici le changement climatique ou le brassage des espèces – et plus cette idée d'un référentiel fixe de biodiversité ou de fonctionnalité des communautés biotiques paraît irréelle.

Référence : Le Hen G et al (2023), Alien species and climate change drive shifts in a riverine fish community and trait compositions over 35 years, Science of The Total Environment, 867, 161486

09/01/2023

Perturbation du cycle océanique du saumon atlantique (Vollset et al 2022)

Les saumons atlantiques connaissent une accélération de leur maturation et une réduction tendancielle de taille quand ils reviennent migrer en rivière, ce qui a des conséquences sur leur survie. Une étude norvégienne sur plus de 25 ans de suivi de dizaines de milliers de saumons suggère que cette évolution serait due au changement climatique affectant le plancton en zone arctique, où grossissent les saumons. Ce travail rappelle que la gestion des poissons migrateurs doit envisager l'avenir des populations en intégrant tous les facteurs causaux et les trajectoires probables des prochaines décennies.  


Des études sur la croissance du saumon atlantique ont déjà révélé que sa taille selon l'âge a diminué dans de grandes parties de l'Atlantique Nord-Est, parallèlement à une réduction de la survie, affectant particulièrement les populations du sud de l'Europe. Plusieurs travaux ont suggéré que ces changements pourraient être liés au réchauffement des océans et aux changements du fonctionnement de l'écosystème marin. Knut Wiik Vollset ont compilé des données sur la croissance des poissons individuels au cours de leur première année en mer, qui correspond au stade de vie appelé post-smolt, soit le suivi de plus de 52 000 saumons atlantiques sur 180 rivières à travers la Norvège, entre 1989 et 2016. 

Voici la conclusion à laquelle parvienne les chercheurs :

"Des données uniques sur la croissance de la longueur corporelle au cours des premiers mois en mer obtenues à partir de la lecture des écailles du saumon atlantique ont révélé une réduction brutale de la croissance en 2005 pour de nombreuses populations migrant à travers la mer de Norvège depuis le sud et le centre de la Norvège. Cette croissance réduite s'est accompagnée d'une baisse du nombre de saumons atlantiques qui sont retournés dans les rivières au cours de l'année suivante après avoir passé un an en mer (appelés saumons atlantiques à un seul hiver ou castillon). 

Notre analyse a révélé une diminution océanographique coïncidente de l'étendue des eaux arctiques dans la mer de Norvège. Cette diminution des eaux arctiques a entraîné un réchauffement d'environ 1°C de la température, ce qui était corrélé à une réduction de près de 50 % de l'abondance du zooplancton avant l'émigration des smolts de saumon atlantique des rivières vers les régions de la mer de Norvège. Une réduction soudaine de la croissance corporelle a également été observée chez le maquereau bleu suite à cette réduction du plancton. Une croissance réduite du saumon atlantique vers 2005 a également été observée en France et en Écosse, suggérant que les facteurs affectant les populations du sud de la Norvège ont affecté les populations de saumon dans une vaste zone géographique. 

Nous émettons l'hypothèse que le changement océanographique dans les eaux arctiques a provoqué un changement de régime synchrone entre les niveaux trophiques dans une vaste zone de l'océan Atlantique nord-est."


Ces graphiques montrent la simultanéité de divers phénomènes avec un changement apparent de régime autour de l'année 2005 : (A) Proportion de saumons atlantiques retournant sur les côtes norvégiennes pesant plus de 3 kg. (B) Proportion de saumons multi-mer-hiver (MSW) par rapport au nombre total de saumons revenant de l'océan Atlantique à différentes années vers l'Europe du Nord (en rouge) et du Sud (en bleu). (C) Proportion d'eau arctique dans la mer de Norvège en mai. (D) Température moyenne de la surface de la mer (SST) en mer de Norvège de janvier à mai. (E) Biomasse de zooplancton définie en grammes de poids sec par mètre carré. (F) Longueur du maquereau de 6 ans.