Dans la vallée de l'Aa, les débits ont dépassé les niveaux historiques connus, provoquant d'importants dégâts matériels. À Saint-Omer, par exemple, le niveau de l'eau a atteint des hauteurs critiques, inondant des zones résidentielles et commerciales. L'impact a été similaire le long de la Lys, avec des inondations notables à Aire-sur-la-Lys.
La Canche et la Ternoise, plus petites mais tout aussi impactées, ont vu leurs berges débordées, affectant particulièrement les zones rurales environnantes. Les champs ont été submergés, causant des pertes importantes pour les agriculteurs.
En termes de réponse d'urgence, les autorités locales et les services de secours ont été mobilisés pour évacuer les résidents, mettre en place des barrages temporaires et des pompes pour drainer l'eau. Cependant, l'étendue des inondations a mis en évidence des défis en termes de préparation et de réponse aux catastrophes naturelles.
Record de précipitation depuis 1959
Ces inondations dans le Pas-de-Calais sont le résultat de plusieurs facteurs interdépendants. D'un point de vue météorologique, la région a connu des précipitations anormalement élevées. Plus de 500 mm de pluie sont tombés sur l’ensemble du Pas-de-Calais entre la mi-octobre et la fin décembre, un chiffre plus de deux fois supérieur à la normale saisonnière d’après Météo France. C’est inédit depuis 1959, début des statistiques départementales sur les précipitations. Le précédent record était de 425 millimètres en 2000-2001, sur la même période. Ces fortes pluies ont contribué à La saturation des sols puis à l'augmentation rapide des niveaux d'eau dans les rivières.
Sur le plan climatologique, les changements climatiques jouent un rôle de plus en plus significatif. Les modèles climatiques pour la région prévoient une augmentation de l'intensité et de la fréquence des précipitations extrêmes, en lien avec le réchauffement global. Cette tendance est susceptible d'aggraver les risques d'inondation à l'avenir.
Hydrologiquement, la topographie plate de la région et la présence de plusieurs cours d'eau contribuent à la vulnérabilité aux inondations. A l'avenir, la hausse du niveau des mers peut aggraver la situation, car l'eau aura davantage de mal à être évacuée. Les scientifiques estiment que le niveau de la mer pourrait augmenter localement de 50 à 70 centimètres d’ici la fin du siècle, avec des précipitations hivernales pouvant croître de 14 à 35 %.
Gestion des fossés et wateringues
Outre les facteurs climatiques et hydrologiques, d'autres éléments ont contribué aux inondations récentes. L'un des problèmes majeurs est le manque d'entretien des fossés et canaux, représentant un réseau de 1500 km. Des élus locaux et le président de région se sont plaint de la difficulté à financer cet entretien et de la lourdeur des procédures administratives sur l'eau.
Dans le Pas-de-Calais, le système médiéval de wateringues, historiquement conçu pour gérer les eaux (mise au sec du polder entre Calais, Dunkerque et Saint-Omer), a souffert d'un manque de maintenance régulière sur tout son linéaire et de réflexion sur son évolution face à des événements extrêmes. Dans ce système, à marée haute, les écluses sont fermées pour ne pas envahir les terres, à marée basse les portes sont ouvertes pour que s’évacue l’eau en excès venue de la pluie. En période normale, 85 % de l’eau des wateringues s’écoule lentement dans la mer, selon une pente assez faible, 15 % est pompé sur le littoral. Le déficit d'entretien a réduit l'efficacité du système à évacuer l'eau des zones inondées. Actuellement 100 m³/s d’eau pluviale issus du delta de l’Aa sont évacués vers la mer, mais pour aller au-delà il faut aussi moderniser le système de pompage qui s'ajoute à l'évacuation gravitaire.
Des zones d'expansion de crues ont été prévues suite à une précédente inondation de 2002 dans la région, notamment dans le bassin de l'Aa. Ces «champs d’inondation contrôlée» sont capables de stocker 610 000 m³ d’eau au total. Mais leur dimensionnement sur les 58 m³/s de la crue de 2002 a été insuffisant face aux 85 m³/s atteints en 2023.
L'occupation des sols est un autre facteur clé. L'urbanisation croissante et la transformation des terres agricoles en surfaces imperméabilisées ont limité la capacité du sol à absorber les eaux pluviales. En conséquence, même des précipitations modérées peuvent entraîner des inondations rapides, en particulier dans les zones urbaines densément peuplées. On estime que 69 % des communes du Pas-de-Calais sont vulnérables au risque d’inondation, sans avoir forcément la mémoire et la culture de ce risque.
Ces facteurs, combinés aux changements climatiques, soulignent la nécessité de revoir les pratiques d'aménagement du territoire et de gestion des eaux dans la région.
Un problème récurrent, de multiples actions à envisager
Pour réduire les risques futurs d'inondation dans le Pas-de-Calais, plusieurs stratégies et mesures ont été proposées. Une approche importante est la rénovation et l'amélioration des infrastructures existantes, notamment les systèmes de drainage et les wateringues. Il est essentiel de moderniser ces systèmes pour les rendre plus efficaces face aux événements climatiques extrêmes.
La restauration et la préservation des zones humides naturelles autour des méandres fluviaux constituent une autre mesure clé. Ces zones agissent comme des éponges naturelles, absorbant l'excès d'eau et réduisant ainsi les risques d'inondation. En outre, la révision des politiques d'aménagement du territoire est cruciale pour limiter l'urbanisation dans les zones à haut risque d'inondation et pour encourager l'utilisation de matériaux perméables dans la construction. Le ministre de l'écologie n'a pas exclu l'abandon définitif de certaines zones subissant des inondations à répétition et devenant invivables pour les habitants.
La sensibilisation et la préparation des communautés locales sont également nécessaires. Il est essentiel d'informer les résidents des risques d'inondation et de les impliquer dans les plans de prévention et de réponse d'urgence.
Au final, les crues des fleuves du Pas-de-Calais rappellent qu'aucune solution prise isolément n'est suffisante. Il est vain comme certains le font encore de ne vouloir engager que des "solutions fondées sur la nature" ou que des "solutions fondées sur la technique" : face à des cumuls extrêmes de précipitations sur des sols déjà gorgés d'eau, ce sont toutes les options qui doivent être mobilisées, aussi bien hydrauliques qu'écologiques. Avec un coût, qui est celui de l'adaptation au changement climatique. L'évolution de l'urbanisation devra aussi prendre acte de ces nouvelles conditions et se montrer plus stricte sur les conditions d'installation en lit majeur des rivières.