30/08/2024

Barrages en place détruits, barrages en projet abandonnés, l'hydro-électricité sacrifiée par les choix de l'administration française

Alors qu'il est sous le coup de plusieurs procédures en justice pour son incapacité à respecter les accords climatiques de Paris, l'Etat français vient d'annoncer qu'il retirait son soutien au projet hydro-électrique "Rhônergia" de la Compagnie Nationale du Rhône. Une nouvelle fois, la pression du lobby naturaliste s'impose comme un frein majeur au déploiement des énergies décarbonées, en particulier l'hydro-électricité qui est sacrifiée en France depuis plusieurs décennies. Mais quelle est la légitimité démocratique de ces choix, alors que l'énergie hydraulique est l'une des plus appréciées par les citoyens? Qui prend au juste ces décisions dans l'appareil public, sur quelles bases?

Vue du projet Rhônergia, DR

AFP - L'Etat a mis un terme à un projet de barrage sur l'une des dernières zones sauvages du Rhône, a annoncé ce vendredi la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui portait ce projet d'aménagement très contesté. «L'Etat a fait connaître le 29 août sa décision de ne pas poursuivre le projet de construction d'un nouvel aménagement hydroélectrique sur le Rhône, entre Saint-Romain-de-Jalionas (Isère) et Loyettes (Ain)», écrit la CNR dans un communiqué.

La CNR ajoute «prendre acte de cette décision» qui ouvre, «conformément à son contrat de concession, une nouvelle phase de discussion avec l'Etat pour identifier des projets alternatifs en lien avec le fleuve».

140 GWh par an
Le «projet Rhônergia», dont l'idée remonte à 1935 et qui avait fait l'objet d'un premier projet abandonné en 1980, visait à construire un barrage d'ici 2033 à une quarantaine de kilomètres en amont de Lyon. Pour un budget estimé à 330 millions d'euros, la CNR envisageait un barrage-usine avec une chute de 6,8 mètres, une retenue de 22 kilomètres de long pour ralentir le débit du fleuve et une digue de 4 km.

La CNR, qui supervise déjà 19 barrages hydroélectriques sur le Rhône, estimait que « Rhônergia » était le dernier projet de cette nature envisageable en France. Cette infrastructure aurait produit 140 GW/h par an, de quoi couvrir les besoins électriques annuels de 60.000 habitants. Pour la CNR, ce projet aurait participé à « la lutte contre le changement climatique », au renforcement de l'indépendance énergétique de la France et à l'inflexion des coûts de l'électricité.

Mais ses opposants, réunis dans un collectif qui s'est notamment fait entendre lors de la consultation publique sur le projet cet hiver, estimaient que le coût financier et environnemental du barrage était «trop important par rapport à l'énergie décarbonée» qu'il pourrait fournir. Jérôme Grausi, maire sans étiquette de Saint-Romain-de-Jalionas (Isère), s'était érigé pour sa part contre «l'artificialisation» de son territoire, l'une des rares zones non aménagées du Rhône.

Jérôme Grausi s'est dit « très content » de la décision de l'Etat. «C'est un soulagement pour la protection de la nature, de notre territoire et de notre identité», a-t-il déclaré, évoquant des vestiges gallo-romains présents sur le site. «Maintenant on reste vigilant», a-t-il ajouté, en mentionnant les autres projets environnants, à commencer par deux nouveaux réacteurs nucléaires EPR2 que le président Emmanuel Macron a annoncé en juin vouloir voir construire sur la centrale voisine du Bugey.

Source : dépêche AFP.

A lire en complément

25/08/2024

Le futur cycle de l'eau dans une France réchauffée (Explore2)

Les dernières simulations des modèles couplés climat-hydrologie indiquent que la France métropolitaine va connaître dans les prochaines décennies des sécheresses plus prononcées en été, mais aussi des pluies se maintenant ou augmentant en hiver. Il est donc indispensable de préserver et renforcer les systèmes hydrauliques permettant de stocker l'eau, au lieu de la politique actuelle de destruction des retenues et réservoirs. 



La destruction des réservoirs d'eau, comme ici sur le fleuve Sélune dans la Manche, est un choix mal-adaptatif face aux défis hydro-climatiques du pays. Les lois sur l'eau doivent notamment restaurer l'impératif de gestion hydraulique des précipitations entre saison pluvieuse et saison sèche. (Source Archives Ouest-France, dr)


Le projet Explore2, mené par l'INRAE pour la partie scientifique et l'Office iternational de l'Eau pour le transfert des résultats, vise à actualiser les connaissances sur l'impact du changement climatique sur les ressources en eau en France. Inspiré par le GIEC, ce projet fédère une quarantaine de scientifiques pour exploiter les derniers scénarios climatiques du GIEC. Explore2 se distingue par son ampleur, analysant 4 000 bassins versants avec un maillage de 8 x 8 km, permettant ainsi une analyse territoriale fine. Les données harmonisées et les outils communs facilitent l'appropriation des résultats par les acteurs de l'eau grâce à des comités d'utilisateurs intégrés dès le début du projet.

Les changements projetés dans Explore2 comprennent des incertitudes qu'il faut avoir à l'esprit : celle des émissions carbone, qui dépendent de nos choix, mais aussi celles de la physique sous-jacente des modèles. Les modèles sont en effet encore imparfaits et divergents pour la simulation des nuages, des précipitations et des flux zonaux à l'avenir. Pour toutes les variables, l’incertitude concerne l’intensité des changements. Pour les précipitations et les variables étroitement liées à celles-ci (débits annuels moyens ; débits journaliers maximum), l’incertitude concerne aussi le signe des changements, les précipitations augmentant pour certaines projections, diminuant pour d’autres. A l’inverse, les modèles sont toujours d’accord sur le signe des changements attendus pour les températures (augmentation) et aussi pour les variables qui en dépendent fortement : précipitations solides (diminution), évapotranspiration (augmentation), étiages estivaux (intensification). 

Les étés plus secs, les hivers restant pluvieux
Explore2 utilise trois scénarios d'émissions de gaz à effet de serre du GIEC, allant du moins émetteur, compatible avec les accords de Paris, au plus émetteur sans atténuation, avec un scénario intermédiaire de modération. Ces scénarios ont été développés en 72 projections climatiques pour modéliser l'évolution des ressources en eau jusqu'en 2100, couvrant des aspects comme les débits, précipitations, et niveaux des nappes, au niveau national et par territoire.

Les projections indiquent un réchauffement en France métropolitaine pouvant atteindre +4°C à la fin du siècle sous le scénario de fortes émissions, avec des étés en moyenne +4,7°C plus chauds. Les précipitations augmenteront en hiver, particulièrement dans le Nord (+24 %) et le Sud (+13 %), mais diminueront fortement en été (-23 % en moyenne). Une hausse de la recharge hivernale des aquifères est prévue, excepté dans certaines régions du Sud et de la Bretagne, tandis que la fréquence et la sévérité des sécheresses météorologiques et des sols augmenteront significativement.

Les sécheresses hydrologiques seront plus sévères, avec une baisse des débits estivaux estimée à -30 % pour les fortes émissions et -12 % pour les émissions modérées. Les assèchements des cours d'eau en tête de bassin devraient progresser, touchant 27 % du territoire sous le scénario de fortes émissions à la fin du siècle, comparé à 17 % actuellement. 

Ces changements nécessiteront des adaptations importantes dans la gestion des ressources en eau. Outre la sobriété des usages, il est notamment indispensable de préserver tous les systèmes hydrauliques aidant à réguler des niveaux variables de précipitations et d'écoulement, notamment les retenues et réservoirs. Cela implique d'amender dans les normes françaises et européennes les politiques de renaturation et de continuité écologique, qui ont été conçues pour la biodiversité mais sans réflexion réelle sur le changement climatique et ses conséquences.

Référence : Inrae-OiEau, Projet Explore 2, lien vers les rapports (août 2024)

14/06/2024

Les truites meurent, les moulins meurent, les dogmes survivent

Le rapport du WWF "Pour des rivières vivantes" (2024) révèle un constat alarmant : la population de truites de rivière en France a chuté de près de 44 % en 23 ans, malgré des décennies de politiques publiques visant à préserver l'espèce. Les mesures drastiques prises contre les ouvrages hydrauliques, censées favoriser la libre circulation des truites, n'ont pas porté leurs fruits. Pire encore, d'autres espèces migratrices voient leur situation empirer à mesure que l'on détruit les ouvrages et assèche les rivières. Face à ces résultats, les instances publiques continuent de s'accrocher à des dogmes dépassés, sacrifiant moulins et étangs sans apporter les bénéfices escomptés pour la biodiversité aquatique. Quand abandonnera-t-on ces croyances néfastes pour adopter des solutions réellement pertinentes?


Un sinistre exemple de la destruction forcée des moulins à eau, sur pression d'administrations militantes et de lobbies minoritaires. Source


Le rapport Pour des rivières vivantes du WWF 2024 présente une analyse détaillée de l'évolution des truites dans les rivières françaises. 

Les données sur les poissons proviennent de l'Office français de la biodiversité (OFB) et auparavant de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), couvrant la période de 1995 à 2018. Ces données sont issues des stations de suivi des milieux aquatiques et des agences de l'eau. Un modèle linéaire a été utilisé pour calculer la variation annuelle de l'abondance des truites. Les résultats sont agrégés par année en utilisant une moyenne géométrique pour obtenir une estimation des tendances.

Résultat : la population de truites de rivière a diminué de 43,88 % en 23 ans.

Ce résultat intervient alors qu'à la suite de la loi pêche de 1984, de la loi sur l'eau de 1992, de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, les pouvoirs publics ont pris des mesures de plus en plus strictes sur les ouvrages hydrauliques : découragement des constructions de nouveaux seuils ou barrages, obligation de mettre des dispositifs de franchissement des poissons, règles de continuité écologique ayant mené à détruire des milliers d'ouvrages hydrauliques, particulièrement dans des têtes de bassins et fleuves côtiers.

La truite est souvent présentée comme l'espère-repère des poissons migrateurs vivant en eau douce seulement. Des fédérations de pêche ont mené un intense lobbying pour détruire des moulins, des forges, des étangs, des barrages au prétexte que ce choix payé par argent public allait permettre à la truite de circuler librement et de trouver des habitats favorables.

Il n'en est rien. 

Non seulement les truites communes de rivière ne se portent pas mieux, mais bien d'autres espèces migratrices ont vu leur situation s'aggraver depuis 40 ans (saumons atlantiques, anguilles, aloses). La raison n'en est pas les ouvrages hydrauliques, mais d'autres causes comme la pollution des eaux, le réchauffement climatique, l'arrivée d'espèces exotiques (dont les espèces parasitaires), la baisse de la ressource liée à des excès de prélèvement, à des assecs plus sévères et à des rectifications faisant d'évacuer l'eau trop vite en saison pluvieuse.

Malheureusement, alors que la loi française a déjà demandé de respecter l'usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, les appareils publics en charge de l'eau continuent trop souvent de défendre leurs dogmes: dans de nombreux bassins versants, les agences de l'eau, l'Office français de la biodiversité, les syndicats de rivière, les associations à agrément public subventionnées persistent à affirmer qu'il faut détruire les moulins et étangs à marche forcée. 

Les faits leur donnent tort, avec désormais 40 ans de recul. 

Quand va-t-on cesser ces dogmes qui tuent les moulins sans sauver les truites ?

17/05/2024

Mares, étangs et petits plans d'eau pour préserver les amphibiens (Moor et al 2024)

Les amphibiens préfèrent les plans d'eau calmes tels que les mares, étangs et petits lacs. En Suisse, une équipe de chercheurs a étudié les conditions favorables à ces espèces pour la création et la gestion de tels habitats. Ce travail, réalisé dans le canton d'Argovie sur 856 sites entre 1999 et 2019, met en lumière les facteurs environnementaux influençant la colonisation et la persistance des amphibiens. Il conclut à la nécessité d'avoir une forte densité et diversité de plans d'eau. Des données dont devraient s'inspirer les gestionnaires de l'eau en France, alors que l'on assiste parfois dans notre pays à de déplorables campagnes pour supprimer et non valoriser ces plans d'eau.


Triton alpestre (wikimedia commons).

Les amphibiens sont des espèces appréciant des plans d'eau calme comme les mares, étangs, petits lacs peu profonds. Une équipe de chercheurs a étudié en Suisse si des conditions sont particulièrement favorable aux amphibiens en ce qui concerne la création et la gestion de plans d'eau

L'étude a été réalisée dans cinq régions du canton d'Argovie, dans les basses terres suisses. Au total, 856 sites de mares et étangs, dont 422 nouveaux plans d'eau, ont été surveillés de 1999 à 2019. Les étangs étudiés avaient des surfaces variant de 0,4 à 65 000 m², avec une moyenne de 782 m². La fluctuation des niveaux d'eau et la couverture forestière environnante faisaient partie des variables environnementales analysées.

Le travail a porté sur les 12 espèces d'amphibiens se reproduisant dans les étangs, dont sept espèces cibles de conservation : le crapaud accoucheur (Alytes obstetricans), le triton ponctué (Lissotriton vulgaris), le triton crêté (Triturus cristatus), le sonneur à ventre jaune (Bombina variegata), le crapaud calamite (Epidalea calamita), la rainette verte (Hyla arborea) et les grenouilles vertes (complexe d'espèces Pelophylax). Les espèces communes incluaient le triton alpestre (Ichthyosaura alpestris), le triton palmé (Lissotriton helveticus), le crapaud commun (Bufo bufo), la grenouille rousse (Rana temporaria) et la grenouille rieuse invasive (Pelophylax ridibundus).

La recherche montre que les mares et étangs construits ont été rapidement colonisés par les 12 espèces d'amphibiens, même les plus rares, à condition que les populations sources soient proches et que les caractéristiques des étangs correspondent aux préférences des espèces. La densité des étangs dans un rayon de 0,5 km augmentait significativement l'incidence des espèces cibles.

Les mares et étangs avec une plus grande surface totale d'eau (≥100 m²) et qui se desséchaient temporairement étaient bénéfiques pour plusieurs espèces cibles. La couverture forestière environnante, jusqu'à 50%, favorisait la colonisation et la persistance de plusieurs espèces. La connectivité aux populations existantes était cruciale pour la colonisation et la persistance, tandis que la connectivité structurelle était moins prédictive. Des métriques simples comme la distance à la population voisine la plus proche et la densité de population étaient des prédicteurs efficaces des dynamiques de colonisation et de persistance, facilitant ainsi la planification pour les praticiens.

Voici la conclusions des chercheurs :

"La construction de plans d'eau dans ce paysage a stoppé le déclin et amorcé le rétablissement des métapopulations en déclin d'amphibiens en voie de disparition (Moor, Bergamini et al., 2022). Ce programme de construction de mares et étangs a été un succès pour plusieurs raisons. Premièrement, la conservation des amphibiens a une longue histoire en Suisse (Schmidt & Zumbach, 2019). Une cartographie systématique des sites de reproduction des amphibiens a commencé dans les années 1970 et des enquêtes répétées dans le canton d'Argovie ont été essentielles à l'élaboration d'un plan d'action pour la conservation des amphibiens (Meier & Schelbert, 1999). Le plan d'action a fixé des priorités, mais a également profité des opportunités pour construire des étangs. La construction de l'étang était accompagnée d'un programme de surveillance avec des bénévoles, qui a généré des données à long terme et a contribué à bâtir une communauté de défenseurs de l'environnement des amphibiens. Les écologues ont également testé différentes approches de construction d'étangs dans différentes conditions environnementales (types de sol, hydrologie) et ont partagé les connaissances qu'ils ont acquises (par exemple, Pellet, 2014).

Nous avons constaté que pour cibler de manière optimale des espèces individuelles, il faut tenir compte de la connectivité aux populations sources existantes et des exigences en matière d'habitat spécifiques à chaque espèce. Il est encourageant de constater que de simples mesures de connectivité constituaient d’importants prédicteurs de la colonisation et de la persistance. Pour optimiser les probabilités de colonisation, les distances jusqu'à la population source la plus proche peuvent être prises en compte. Ceux-ci doivent être considérés dans le contexte des capacités de déplacement spécifiques à l’espèce. Certaines espèces cibles ont des taux moyens de colonisation généralement faibles. Cela inclut les espèces à dispersion plus limitée, le triton lisse et le triton huppé, mais aussi le crapaud calamite, plus mobile mais rare. Pour optimiser l'occupation à long terme (incidence), la persistance dans un nouvel habitat est plus pertinente. Nous recommandons donc de prendre en compte la densité de population au kilomètre carré lors du choix de l'emplacement de la construction de nouveaux étangs. Des densités de 2 à 4 étangs occupés par kilomètre carré favorisent non seulement la colonisation mais également la persistance dans un nouvel habitat pour la plupart des espèces cibles. Cela implique que la distance jusqu'à la population source la plus proche ne doit pas dépasser ∼0,5 km. Cet effet positif de la densité de population saturée à environ 4 étangs occupés par kilomètre carré, de sorte que l'ajout de plus d'étangs pour une espèce dans cette situation n'améliorerait pas beaucoup plus son incidence. Cependant, étant donné que les densités de population sont spécifiques à chaque espèce et que les espèces diffèrent dans leurs préférences en matière de type d'étang, un nombre encore plus élevé d'étangs différents par kilomètre carré est nécessaire pour bénéficier à plusieurs espèces.

Bien que les espèces aient des préférences individuelles concernant les caractéristiques des étangs, les 7 espèces cibles dans leur ensemble bénéficieraient de sites de reproduction avec une plus grande surface d'eau totale (≥100 m2) dans un environnement plus ouvert (≤50 % de couverture forestière). Le crapaud calamite en particulier pourrait bénéficier de grands plans d’eau peu profonds (> 1 000 m2) et temporaires dans des zones ouvertes. Enfin, des étangs temporaires avec des fluctuations du niveau d'eau et un assèchement occasionnel seraient bénéfiques pour la plupart des espèces cibles (Van Buskirk, 2003).

Il n’existe pas de plan d'eau idéal qui convienne également à toutes les espèces. Une variété de différents types d’étangs, permanents et temporaires, de différentes tailles et dans différents environnements, dans des sites de reproduction et à travers le paysage, présenteront probablement le plus grand bénéfice pour la diversité globale des amphibiens. L'hétérogénéité des paysages engendre la diversité des espèces (Tews et al., 2004). La réinstallation de zones humides dans le paysage à une densité plus élevée contribuera non seulement à une infrastructure écologique pour les amphibiens, mais favorisera également une multitude d'autres taxons et fonctions écosystémiques."

Discussion
La contribution des petits plans d'eau à la biodiversité a été largement documentée en France, en Europe et dans le monde. Ces milieux abritent une part conséquente du vivant de milieux aquatiques et humides, pas seulement les amphibiens, mais aussi les plantes et invertébrés. Malheureusement, les milieux lentiques (eau stagnante) et leurs espèces spécifiques sont nettement moins étudiés et protégés que les milieux lotiques (eau courante). Il en résulte une certaine négligence du droit et des politiques publiques pour ces habitats et même, dans les cas extrêmes, des choix de destruction d'étangs ou de retenues au prétexte de "renaturation". Il importe au contraire d'étudier les milieux de mares, étangs, plans d'eau, pour inciter à la bonne gestion incluant les éléments qui favorisent la conservation de biodiversité.

Référence : Moor H et al (2024), Building pondscapes for amphibian metapopulations, Conservation, Biology, e14165, doi.org/10.1111/cobi.14281

01/05/2024

L’inventaire national des plans d’eau révèle la place surprenante de ces milieux en France

L’inventaire national des plans d’eau en France commence à livrer ses premiers résultats consolidés. Ils ont été exposés récemment par une conférence de Pascal Kosuth, coordonnateur de l’INPE. Notre pays compterait en métropole 837 000 plans d’eau de toutes dimensions, représentant 499 000 hectares de milieux aquatiques et un stockage annuel de l’ordre de 17 milliards de m3, soit l’équivalent de la moitié des prélèvements humains. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la plupart de ces plans d’eau sont ignorés de la directive européenne sur l’eau de 2000 comme de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006. Une raison en est que du fait de leur origine généralement artificielle, ils étaient jugés sans grand intérêt pour une politique avant tout centrée sur l’eau courante (rivière) et l’eau de nappe. Or, la reconnaissance publique et la bonne gestion des plans d’eau sont manifestement un enjeu de premier plan pour la France et pour l’Union européenne 


Pascal Kosuth est membre de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD, rattaché au ministère de l’écologie. Chercheur dans les domaines de l’eau, de l’environnement et de l’agriculture, il a coordonné l’Inventaire national des plans d’eau (INPE), dont il a présenté l’état d’avancement à la fin du mois d’avril 2024, lors d’une conférence à l’ASTEC

L'Inventaire national des plans d’eau s'insère dans une démarche plus large de gouvernance et de réglementation, étant un outil de connaissance au service de la stratégie nationale de l'eau, incluant des initiatives telles que le Grenelle de l'Environnement (2007), les Assises de l'eau (2019) et le Varenne Agricole de l'eau (2022). Ces stratégies visent à optimiser la gestion des ressources en eau, à préserver les écosystèmes aquatiques, et à répondre de manière durable aux besoins des populations et des activités économiques.



L'Inventaire national des plans d'eau en France  catalogue et analyse l'ensemble des étendues d'eau stagnantes présentes sur le territoire métropolitain et les départements d'outre-mer. Il couvre une vaste gamme de plans d'eau, incluant lacs, lagunes, étangs, mares, ainsi que des retenues artificielles telles que les barrages, les réservoirs, les étangs ou les bassins portuaires.

En son état actuel, l’INPE identifie 837 000 plans d'eau en métropole, occupant une surface totale d'environ 499 000 hectares. Il précise la distribution des plans d'eau selon leur superficie : 331 000 plans d'eau de plus de 0,1 hectare dont 55 000 de plus de 1 hectare et 18 000 de plus de 3 hectares. Ce recensement offre une vue détaillée de la densité et de la répartition des plans d'eau, essentielle pour la gestion hydrologique du territoire.



Le volume de stockage annuel total de ces plans d’eau est estimé à 17 milliards de m3, soit environ la moitié des prélèvements humains (32 milliards de m3). Outre l’aspect utilitaire, cette surface et ce volume considérables d’eau forment aussi des habitats écologiques essentiels au vivant.

Pour chaque plan d’eau, le référentiel dispose de 150 attributs descriptifs dans plusieurs familles (origine, type d’ouvrage, type de dérivation, gestion, usages, incidences, etc.).

L'inventaire a été réalisé grâce à des méthodes avancées, incluant l'exploitation de la base de données topographique BD TOPO® de l'Institut National de l'Information Géographique et Forestière (IGN) et d'autres bases de données nationales. La mobilisation de la connaissance des acteurs locaux a été importante pour compléter et affiner les données recueillies, soutenue par des technologies de pointe comme le suivi satellitaire. Ce dernier permet de suivre la dynamique des plans d'eau (de grandes dimensions), en évaluant des paramètres comme la surface en eau permanente ou intermittente et en surveillant les variations saisonnières ou annuelles (image ci-dessous).


La gestion des plans d'eau en France s'inscrit dans des enjeux multiples, touchant à la biodiversité et à l'environnement, mais aussi à des usages tels que la production d'énergie, l'approvisionnement en eau potable, la navigation, l'irrigation, l'aquaculture, la prévention des crues, l'atténuation des étiages, l'abreuvement du bétail, la lutte contre les incendies. Ces enjeux sont renforcés par les défis posés par le changement climatique, nécessitant une adaptation et une gestion prévoyante des ressources en eau.

L'Inventaire national des plans d'eau n'est pas seulement un référentiel géographique ou écologique, mais un outil stratégique essentiel pour la gestion durable de l'eau en France, facilitant la prise de décisions éclairées et coordonnées à l'échelle nationale et locale.

Tous les visuels sont extraits de la conférence de M. Pascal Kosuth, tous droits réservés. Télécharger le PDF de la source

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