18/11/2024

Echec de la protection des eaux de captage face aux pollutions diffuses

Malgré des décennies de politiques publiques, un rapport interministériel resté confidentiel révèle l’aggravation de la pollution des captages d’eau potable en France. Fermetures massives, dépassements des seuils réglementaires, millefeuilles administratifs et tensions budgétaires illustrent une situation critique, où aucun plan n'a réellement abouti depuis 20 ans. 


Source ARS, DR. 

Un rapport interministériel confidentiel, publié par Contexte, révèle l’échec persistant de la politique de protection des captages d’eau potable. Malgré des décennies d’efforts, la qualité des ressources en eau se détériore sous l’effet des pollutions diffuses, principalement agricoles. Ce rapport a été rédigé conjointement par trois inspections générales de l'administration françaises : Inspection générale des affaires sociales (IGAS), relevant du ministère de la Santé, Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), sous l'autorité du ministère de l'Agriculture, Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), dépendant du ministère de la Transition écologique

Depuis 1980, près de 12 500 captages sur 33 000 ont été fermés en raison de pollutions, un phénomène qui sera accentué par la directive eau potable de 2020 restreignant les possibilités de dérogation. Les inspections ministérielles signalent une augmentation des dépassements des limites réglementaires en métabolites de pesticides dans les eaux brutes et traitées, menaçant directement la conformité des réseaux de distribution. Selon le rapport, le nombre de captages sensibles (désignés comme objet d'un traitement prioritaire) pourrait tripler, atteignant plus de 4 000 sites, contre 1 400 captages prioritaires actuellement recensés.

Les engagements pris lors du Grenelle de l’environnement restent largement non tenus. En août 2023, seuls 60 % des captages prioritaires avaient un plan d’action validé, et 20 % n’avaient même pas entamé leur élaboration, en dépit des échéances fixées en 2021. Par ailleurs, aucune des mesures prévues dans le cadre du plan eau pour protéger les captages et leurs aires d’alimentation n’a abouti.

Le renoncement à augmenter la redevance pour pollution diffuse (RPD), sous pression du secteur agricole, et le prélèvement de 130 millions d’euros dans les agences de l’eau ont exacerbé les tensions entre usagers agricoles et non agricoles. Ces décisions fragilisent le 12ᵉ programme d’intervention (2025-2030) des agences, prévu pour financer des mesures de dépollution. Le rapport estime que pour réduire de 50 % l’usage des pesticides, une hausse drastique des taxes serait nécessaire, mais elle pourrait amputer de 2,8 % production en volume du secteur agricole et de 10 % le revenu agricole. Impossible en situation de forte tension économique de ce secteur, donc il est préféré un système global de transition. Il est recommandé d’instaurer des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) avec des plans de transition agro-écologique, des restrictions d’usage de pesticides et des programmes d’actions pour les captages en dépassement de seuils de qualité.

Enfin, la mission d’inspection pointe la fragmentation réglementaire actuelle, avec des protections dispersées entre plusieurs codes et procédures, générant inefficacité et confusion. La protection des captages, largement insuffisante, doit être refondée pour répondre aux enjeux de pollution, sécurité sanitaire et protection des milieux.

02/11/2024

Démantèlement d’un barrage en Pologne : les choix des autorités environnementales face aux attentes de la population (Habel et al 2024)

Lorsque les autorités polonaises ont décidé de démanteler le barrage de Wilkówka, la population locale s’est sentie exclue du processus. Attachés aux services que l’infrastructure aurait pu offrir, les habitants expriment leur frustration. Une étude universitaire offre un éclairage sur ce choc entre vision environnementale des autorités gestionnaires et aspirations communautaires des populations locales.


Photo de la démolition du barrage, droits réservés, source

L’étude de Michał Habel et de ses collègues explore les perspectives communautaires sur les impacts environnementaux et sociaux liés au premier démantèlement d'un barrage en Pologne, le barrage de Wilkówka. Cet article repose sur des enquêtes auprès de la population locale et des parties prenantes pour analyser les changements perçus des services écosystémiques et la dynamique sociale autour de cette décision controversée. 

Le barrage de Wilkówka était situé dans les Carpates occidentales polonaises, précisément sur le ruisseau Wilkówka, un affluent de la rivière Biała qui se jette dans la Vistule. Construit entre 2009 et 2012, ce barrage en remblai mesurait 10,2 mètres de haut et 106 mètres de long. Son réservoir avait une capacité de 26 500 m³ et avait pour but principal de fournir une régulation des crues et un approvisionnement en eau à la communauté locale. Cependant, dès sa mise en service, de multiples défauts techniques ont empêché son fonctionnement optimal, notamment une instabilité causée par des problèmes de drainage qui ont empêché le remplissage complet du réservoir. Après plusieurs tentatives infructueuses de réparation, les autorités ont décidé de démanteler le barrage, une opération qui s'est déroulée de novembre 2021 à mars 2022.

Dans un premier temps, l’étude souligne que la décision de démanteler le barrage de Wilkówka a suscité un mécontentement général parmi les habitants locaux. En effet, 92 % des répondants ont estimé que cette décision avait été prise sans consultation suffisante, tandis que 62 % ont exprimé leur opposition au démantèlement. Bien que le barrage n’ait jamais pleinement fonctionné en raison de défauts techniques découverts peu après sa construction, les résidents ont développé un attachement rapide à ses services perçus, tels que l’approvisionnement en eau, la régulation des crues et sa valeur symbolique en tant qu’investissement dans la communauté.

L’analyse quantitative montre que 48 % des habitants considéraient l'approvisionnement en eau comme le service le plus important offert par le barrage, tandis que 31 % l'associaient à la protection contre les inondations. De plus, les activités de loisirs autour du réservoir, bien que limitées par l’état partiel de remplissage du réservoir, ont également été perçues comme un atout. Toutefois, la défaillance technique du barrage et le risque d’une catastrophe environnementale étaient des préoccupations majeures pour les autorités nationales et régionales, qui ont jugé nécessaire son démantèlement.

Malgré ces justifications techniques, la communauté locale a exprimé des attentes élevées quant aux services hydrologiques que le barrage aurait pu fournir. Ainsi, l’étude révèle un écart entre les perceptions locales et les décisions administratives : les résidents espéraient que le barrage pourrait être réparé ou reconstruit pour répondre aux besoins en eau et en protection contre les crues, même en dépit des risques environnementaux potentiels. 

Un défaut de gouvernance a aussi été manifeste : "La décision de démanteler le barrage n'a pas fait l'objet de consultation publique. Aucune solution alternative n'a été présentée au public, et toutes les parties prenantes impliquées dans le processus de démantèlement étaient exclusivement des agences au niveau national."

Un autre point crucial de cette étude est la mise en lumière des conséquences anticipées du démantèlement du barrage sur les services écosystémiques. La majorité des répondants (69,3 %) craignaient une diminution de la capacité d'approvisionnement en eau après le démantèlement, tandis que 64,5 % redoutaient une dégradation des services de régulation, notamment la protection contre les crues. De même, plus de 60 % des répondants estimaient que l’esthétique du paysage et le potentiel récréatif de la région en pâtiraient.

En termes d'impact environnemental, les résultats révèlent que la communauté locale ne possédait pas une conscience écologique élevée, les services de soutien tels que la biodiversité et les habitats naturels étant considérés comme moins importants. Les services de régulation, tels que la qualité de l'eau et la régulation du microclimat, n'étaient également pas perçus comme significativement affectés par la construction ou la démolition du barrage.

Discussion
Cette étude illustre les tensions entre les objectifs techniques et environnementaux d’un projet de démantèlement de barrage et les perceptions sociales locales. Les résultats mettent en avant la nécessité d’inclure plus activement les communautés locales dans les processus décisionnels pour des projets similaires, afin de mieux concilier les attentes sociales et les impératifs écologiques ou sécuritiares. Le cas du barrage de Wilkówka démontre comment une infrastructure, même imparfaite, peut rapidement s’insérer dans le tissu socio-économique local, créant des attentes et des résistances face au changement. Nous avons ici le cas extrême d'un barrage récent et ayant un défaut technique de conception, mais il est évident que l'attachement social, usager et paysager est plus fort avec des infrastructures en place depuis des décennies, voire des siècles. 

Au-delà d'une meilleure prise en compte des populations, il s'agit aussi de diversifier l'expertise scientifique qui inspire les décideurs : les facteurs sociaux, culturels et économiques sont partie intégrante de la vision démocratique de l'eau, au même titre que les facteurs biologiques, physiques ou chimiques. Seule une approche multidimensionnelle permet d'exprimer tout ce que des citoyens attendent, et d'opter pour la décision la plus approchante d'un intérêt général au niveau du bassin versant. 

Référence  : Habel M et al(2024), Dammed context: Community perspectives on ecosystem service changes following Poland's first dam removal, Land Degradation & Development, 35(6), 2184–2200. 

24/10/2024

Repenser l'effet environnemental des étangs par une approche géographique intégrée (Touchart et Bartout 2024)

Parfois perçus comme perturbateurs des écosystèmes fluviaux, les étangs sont aujourd'hui réévalués sous un nouveau prisme. Dans leur étude du Grand Étang de Cieux, Laurent Touchart et Pascal Bartout proposent de dépasser l'approche classique de l'impact thermique pour analyser ces plans d'eau comme des réalités à part entière, intégrées aux réseaux hydrographiques. En introduisant des méthodes novatrices, ils offrent une vision plus nuancée et complète des interactions entre étangs et cours d'eau.

Les auteurs de cet article, Laurent Touchart et Pascal Bartout, sont affiliés au laboratoire CEDETE, département de géographie à l'Université d'Orléans. Ils proposent une approche géographique innovante pour évaluer l'impact thermique des plans d'eau, en prenant comme terrain d'étude le Grand Étang de Cieux, situé en Haute-Vienne (France). Cet étang de grande taille (40 hectares) se situe dans la région du Limousin, une zone particulièrement riche en plans d'eau artificiels, avec plus de 14 677 étangs dans les trois départements de la Haute-Vienne, Corrèze et Creuse. Le plan d'eau est alimenté par quatre tributaires qui se déversent ensuite dans la rivière Vergogne. Les auteurs soulignent l'importance de comprendre les interactions complexes entre les étangs et leur environnement.


L'hydrosystème étudié par les auteurs, extrait de l'article.

Pour analyser les effets thermiques de l’étang, les chercheurs ont utilisé un vaste réseau de thermomètres, installés sur les tributaires, à l'intérieur du plan d'eau et à sa sortie. Ces thermomètres ont collecté un total de 536 552 mesures de température, prises sur une période de plusieurs années, ce qui a permis de créer une base de données unique en son genre pour suivre l’évolution thermique à l’intérieur et à l’extérieur de l’étang. Ils ont appliqué deux nouvelles méthodes pour mesurer l'impact : la pondération des températures des affluents et l'utilisation d'un gradient thermique pour modéliser l'évolution de la température du cours d'eau en l'absence de l’étang.

Les résultats montrent que l’étang réchauffe les eaux en aval, mais de manière plus nuancée que les évaluations classiques. Selon la première méthode, le Grand Étang augmente la température moyenne annuelle de 1,8°C, avec un pic de plus de 4°C pendant l’été. Les auteurs soulignent que ces augmentations sont dues à une modification du régime thermique, en particulier par la réduction de l'amplitude diurne des températures, un effet typique des grands plans d’eau. En revanche, la méthode du gradient thermique montre que jusqu'à un tiers de ce réchauffement serait dû à des facteurs naturels, comme l'évolution spontanée du gradient des cours d'eau d'amont vers l'aval, indépendamment de la présence de l’étang.

Une partie essentielle de la réflexion des auteurs repose sur l’analyse critique du concept d'impact environnemental. Ils argumentent que les étangs sont souvent perçus comme des perturbateurs de l’écosystème naturel, et donc évalués de manière biaisée. En réintroduisant une approche géographique qui prend en compte non seulement l’impact direct des étangs, mais aussi leur rôle dans la dynamique des paysages et des systèmes hydrologiques, ils invitent à repenser ces écosystèmes comme des réalités autonomes et non comme des anomalies à corriger. Ainsi notent-ils : «il s'agirait de penser différemment les problèmes d'impact environnemental, non seulement en prenant plus en compte la question spatiale, mais aussi en ne la compartimentant pas, en n'opposant pas les eaux courantes et dormantes. Cela demanderait de ne plus considérer le plan d'eau comme exclusivement une rupture de cours d'eau, mais comme un limnosystème intégré à l'ensemble du réseau hydrographique.»

Cette étude conclut en proposant que, plutôt que d'être simplement considérés comme des sources d'impact négatif, les étangs devraient être étudiés comme des éléments intégrés et parfois bénéfiques des paysages hydrologiques. Ils démontrent qu’une partie du réchauffement des eaux est en réalité naturelle et qu’il est nécessaire de mieux comprendre les interactions multiples qui régissent ces systèmes complexes.

18/10/2024

La France, championne d'Europe des destructions de seuils et barrages en rivière

Le rapport d'un groupe de lobbies naturalistes confirme que la France est le leader de la destruction d'ouvrages hydrauliques. Une politique pourtant contestée par les riverains et de plus en plus encadrée par la loi en raison de ses effets négatifs sur le patrimoine culturel et paysager, la régulation de l'eau et la transition énergétique. Outre ses coûts à une période où la dépense publique est censée se concentrer sur l'essentiel, et non pas payer des lubies comme le retour à des rivières sauvages.


Données pour l'année 2023, extrait de Dam Removal Europe, ref. cit.

La World Fish Migration Foundation est le coordinateur de la coalition Dam Removal Europe, travaillant en collaboration avec d'autres ONG internationales pour inciter les décideurs à détruire le maximum de barrages sur les rivières d'Europe. Ce groupe de lobbies vient de publier un suivi des effacements de seuils et barrages en Europe.

Voici quelques données statistiques et tendances principales extraites de ce rapport:
  • En 2023, 487 barrières ont été supprimées dans 15 pays européens, marquant une augmentation de 49,8 % par rapport à 2022, où 325 barrières avaient été retirées.
  • 46 % des barrières supprimées étaient des seuils et 36 % des buses. Les barrages représentaient 12 % des suppressions.
  • 78 % des barrières supprimées étaient inférieures à 2 mètres de hauteur, tandis que seulement 2 % dépassaient 5 mètres.
  • La France a été le leader européen de la suppression des barrières, suivie de l’Espagne, de la Suède et du Danemark.
  • Les nouvelles opportunités de financement, notamment par le programme European Open Rivers, ont contribué à cette augmentation.
Ces données contredisent les propos lénifiants de l’administration en charge de l’eau et de la biodiversité et de son ministère qui, régulièrement interpellés par les élus, leur assure qu’il n‘existerait aucune politique de destruction systématique d’ouvrages hydrauliques (voir encore cet exemple récent). Les faits et les chiffres racontent une autre histoire.

Référence : Mouchlianitis FA (2024), 'Dam Removal Progress 2023', World Fish Migration Foundation 

10/10/2024

L'Indice Planète Vivante surestime-t-il l'effondrement des vertébrés ? (Toszogyova et al 2024)

Tous les médias reprennent en ce moment le nouveau chiffre de l'Indice Planète Vivante (LPI pour Living Planet Index), du WWF, devenu un indicateur phare de l'état de la biodiversité mondiale : un déclin de 73 % de l’abondance des populations de vertébrés sauvages en 50 ans. Mais ce chiffre simple serait-il en réalité trompeur ? Dans un article de recherche, Anna Toszogyova et ses collègues dénoncent les biais méthodologiques qui faussent les résultats de cet indice en surestimant les déclins de population de vertébrés. En analysant chaque étape du calcul, ils démontrent que les tendances globales de biodiversité pourraient être bien moins dramatiques qu'annoncé. Ce travail fait suite à d’autres recherches ayant déjà pointé les faiblesses de l’Indice Planète Vivante. Quelques réflexions à ce sujet.


Dans leur recherche,  Anna Toszogyova, Jan Smyčka, et David Storch, publié dans Nature Communications, examine les biais mathématiques dans le calcul de l'Indice Planète Vivante (LPI). Les auteurs y argumentent que certaines méthodologies utilisées pour calculer le LPI provoquent une surestimation des déclins des populations de vertébrés. Voici un résumé des principaux arguments développés dans l'article.

L'Indice Planète Vivante (LPI) est largement utilisé pour estimer les tendances des populations de vertébrés à travers le monde. Il a notamment été adopté par la Convention sur la diversité biologique et par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) pour suivre l'évolution de la biodiversité mondiale. L'indice, publié tous les deux ans, indique que les populations de vertébrés ont diminué de 69 % en moyenne au cours des 50 dernières années dans sa version de 2022 (et de 73% dans sa version de 2024). Cependant, les auteurs soulignent que cette estimation contraste fortement avec d'autres études basées sur les mêmes données, lesquelles montrent une stabilité des populations, avec des augmentations et des déclins qui s'équilibrent. Cela suggère que le LPI pourrait être biaisé et ne pas représenter fidèlement l'état actuel de la biodiversité.

Les auteurs identifient plusieurs biais méthodologiques susceptibles d'induire en erreur. L'un des principaux biais concerne la procédure de pondération des tendances de population par la richesse spécifique des groupes taxonomiques et des régions géographiques. Cette pondération, destinée à ajuster la représentation des espèces, entraîne une surestimation du déclin global. Par exemple, l'indice pondéré par la richesse spécifique montre un déclin 38 % plus important que la version non pondérée. De plus, l'inclusion de séries temporelles très courtes ou de populations qui ne représentent qu'un seul individu dans une région ou un groupe taxonomique accentue cette tendance au déclin apparent.

L'article démontre que le LPI est particulièrement sensible à la présence de quelques populations en déclin extrême. La suppression de moins de 3 % des populations les plus déclinantes inverserait la tendance globale de l'indice, passant d'un déclin à une augmentation globale. Par exemple, «  une seule population de vipère Vipera berus, représentant tout le taxon des herptiles dans le Paléarctique pour la période 1974-1977, a provoqué une diminution de 89,5 % de l'indice pour cette région. » Cela illustre la vulnérabilité de l’indice à de telles fluctuations extrêmes.

Les séries temporelles comportant peu de points de mesure sont plus susceptibles de contenir des erreurs de mesure, ce qui biaise les résultats. Le LPI utilise des séries avec seulement deux points de données par population, ce qui réduit l’exactitude de l'indice et peut provoquer une sous-estimation ou une surestimation des tendances. Les séries temporelles courtes ne peuvent pas capturer fidèlement les fluctuations des populations, et leur inclusion fausse l’indice : « Les séries temporelles comprenant moins de cinq enregistrements conduisent à une diminution de l’indice de 14,3 %, suggérant que l’utilisation de séries temporelles courtes est un facteur clé de la surestimation du déclin »

Un autre biais significatif identifié concerne la gestion des valeurs nulles (zéros) dans les séries temporelles de populations. Pour contourner le problème de division par zéro, le LPI remplace ces valeurs par un très petit nombre, ce qui altère les ratios de croissance interannuelle calculés. La suppression des zéros dans les séries temporelles réduit le déclin apparent de l’indice global de 19,2 %. L’article argue que le traitement des zéros nécessite une approche distincte, car leur inclusion dans le calcul de l’indice fausse les conclusions concernant la stabilité des populations.

Les auteurs proposent des modifications pour améliorer la fiabilité de l'indice, telles que l'exclusion des séries temporelles courtes ou celles contenant des zéros, et la suppression des pondérations. Ils recommandent également d'accompagner le LPI d'une analyse séparée des dynamiques de colonisation et d'extinction des populations pour obtenir un tableau plus équilibré de la biodiversité.

En conclusion, les auteurs montrent que le LPI actuel surestime le déclin des populations de vertébrés en raison de biais méthodologiques et de données incomplètes. Bien qu'ils ne remettent pas en question l'importance du suivi de la biodiversité ni l'existence de son déclin, ils insistent sur la nécessité de revoir les calculs du LPI pour éviter de tirer des conclusions erronées sur l'état de la nature. Ils suggèrent que des ajustements méthodologiques pourraient conduire à un LPI plus fiable, révélant des tendances moins alarmistes mais plus précises des populations vertébrées mondiales.

Discussion
Si le déclin de la biodiversité globale en raison de l’expansion des activités humaines ne fait guère débat, la bonne représentation de ce phénomène dans le débat public est nécessaire. Un chiffre trompeur peut être de nature à démobiliser. Or il existe aussi des critiques antérieures adressées à l'Indice Planète Vivante, avec plusieurs travaux qui ont mis en évidence des problèmes méthodologiques et de biais dans son calcul. Ces critiques antérieures fournissent un cadre important pour comprendre les points faibles de l'indice et la révision méthodologique proposée par Toszogyova et ses collègues dans leur  article.

Buschke et al. (2021) ont montré que le LPI est biaisé par une asymétrie fondamentale dans son calcul. Dans leurs simulations, ils ont constaté que des populations fluctuantes de manière aléatoire, mais symétrique par rapport à leur point de départ, généraient un LPI en déclin. Cela indique que même en l'absence de changement de population, le LPI tend à diminuer. Ce biais résulterait de la méthode de calcul des tendances de population.

Puurtinen et al. (2022) ont critiqué l'utilisation de la moyenne géométrique pour l’agrégation des tendances des populations. Ils ont argué que l’utilisation de cette moyenne conduit à un déclin systématique de l'indice, car les augmentations et les diminutions de population ne sont pas équilibrées sur une échelle arithmétique.

Wauchope et al. (2019) et Hébert et Gravel (2023) ont montré que l’erreur d’échantillonnage dans les séries temporelles courtes et la variabilité due à des facteurs environnementaux peuvent provoquer une sous-estimation ou une surestimation des tendances de population. Ces erreurs d’échantillonnage ont tendance à biaiser l’indice vers un déclin même lorsque les populations sont stables.

Fournier et al. (2019) ont mis en lumière un biais de sélection des populations étudiées dans le LPI. Ils ont constaté que les populations stables ou croissantes sont souvent sous-représentées dans les bases de données, ce qui peut entraîner une surestimation des déclins globaux.

Leung et al. (2020) ont montré que la pondération des régions géographiques et des taxons dans le calcul du LPI peut engendrer une surestimation des déclins, car certaines régions riches en espèces, comme les tropiques, exercent une influence disproportionnée sur l'indice global.
 
Si des manières alarmistes de vulgariser l'érosion de la biodiversité ont le mérite d'éveiller l'attention de certaines franges du public, elles ont aussi des défauts : développement d'un scepticisme sur la science en général et sur les sujets écologiques en particulier, risque de découragement si les efforts pour la biodiversité ne reconnaissent pas la hausse de certaines populations et la renaissance de certaines espèces. Il faudrait donc trouver des manières plus équilibrées de présenter les tendances des populations et les difficultés méthodologiques d'estimation de ces tendances.

Référence
Toszogyova A et al (2024), Mathematical biases in the calculation of the Living Planet Index lead to overestimation of vertebrate population decline, Nature Communications, 15(5295). doi: 10.1038/s41467-024-49070-x.

Références antérieures citées
Buschke, F. T., Hagan, J. G., Santini, L., & Coetzee, B. W. T. (2021). Random population fluctuations bias the Living Planet Index. Nature Ecology & Evolution, 5, 1145-1152.
Fournier, A. M. V., White, E. R., & Heard, S. B. (2019). Site-selection bias and apparent population declines in long-term studies. Conservation Biology, 33, 1370-1379.
Hébert, K., & Gravel, D. (2023). The Living Planet Index’s ability to capture biodiversity change from uncertain data. Ecology, 104, e4044.
Leung, B. et al. (2020). Clustered versus catastrophic global vertebrate declines. Nature, 588, 267-271.
Puurtinen, M., Elo, M., & Kotiaho, J. S. (2022). The Living Planet Index does not measure abundance. Nature, 601, E14-E15.
Wauchope, H. S., Amano, T., Sutherland, W. J., & Johnston, A. (2019). When can we trust population trends? A method for quantifying the effects of sampling interval and duration. Methods in Ecology and Evolution, 10, 2067-2078.