A l'occasion du Forum du patrimoine, Christian Lévêque (hydrobiologiste) et Pierre Meyneng (président de la FFAM) reviennent sur la politique d'anéantissement du patrimoine hydraulique millénaire des rivières qui a été engagée au nom du retour à la nature sauvage et de la continuité dite "écologique". La révision de ces politiqués délétères et décriées restent la priorité des années à venir, alors que les fonds publics manquent par les aspects essentiels de la gestion de l'eau. Car tout est faux dans cette politique de "renaturation" : il n'y a aucun sens à se donner comme objectif le retour à un état de référence de la biodiversité dans le passé, il n'y aucun sens à détruire des ouvrages qui aident à la régulation des crues et sécheresses, il n'y a aucun sens à assécher des milieux d'origine humaine (retenues, biefs, canaux) mais profitant à de nombreuses espèces animales et végétales, il n'y a aucun sens à braquer les populations sur ces liquidations de patrimoine alors que des choses autrement plus graves (pollution, réchauffement, sécurité d'approvisionnement en eau) ne sont pas correctement traitées par le gestionnaire public. A l'heure où l'Europe semble décidée à réviser les erreurs de certaines politiques environnementales, les décideurs doivent urgemment changer ces arbitrages sur les rivières pour concentrer les moyens limités sur les enjeux essentiels.
20/11/2024
18/11/2024
Echec de la protection des eaux de captage face aux pollutions diffuses
Malgré des décennies de politiques publiques, un rapport interministériel resté confidentiel révèle l’aggravation de la pollution des captages d’eau potable en France. Fermetures massives, dépassements des seuils réglementaires, millefeuilles administratifs et tensions budgétaires illustrent une situation critique, où aucun plan n'a réellement abouti depuis 20 ans.
Source ARS, DR.
Un rapport interministériel confidentiel, publié par Contexte, révèle l’échec persistant de la politique de protection des captages d’eau potable. Malgré des décennies d’efforts, la qualité des ressources en eau se détériore sous l’effet des pollutions diffuses, principalement agricoles. Ce rapport a été rédigé conjointement par trois inspections générales de l'administration françaises : Inspection générale des affaires sociales (IGAS), relevant du ministère de la Santé, Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), sous l'autorité du ministère de l'Agriculture, Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), dépendant du ministère de la Transition écologique
Depuis 1980, près de 12 500 captages sur 33 000 ont été fermés en raison de pollutions, un phénomène qui sera accentué par la directive eau potable de 2020 restreignant les possibilités de dérogation. Les inspections ministérielles signalent une augmentation des dépassements des limites réglementaires en métabolites de pesticides dans les eaux brutes et traitées, menaçant directement la conformité des réseaux de distribution. Selon le rapport, le nombre de captages sensibles (désignés comme objet d'un traitement prioritaire) pourrait tripler, atteignant plus de 4 000 sites, contre 1 400 captages prioritaires actuellement recensés.
Les engagements pris lors du Grenelle de l’environnement restent largement non tenus. En août 2023, seuls 60 % des captages prioritaires avaient un plan d’action validé, et 20 % n’avaient même pas entamé leur élaboration, en dépit des échéances fixées en 2021. Par ailleurs, aucune des mesures prévues dans le cadre du plan eau pour protéger les captages et leurs aires d’alimentation n’a abouti.
Le renoncement à augmenter la redevance pour pollution diffuse (RPD), sous pression du secteur agricole, et le prélèvement de 130 millions d’euros dans les agences de l’eau ont exacerbé les tensions entre usagers agricoles et non agricoles. Ces décisions fragilisent le 12ᵉ programme d’intervention (2025-2030) des agences, prévu pour financer des mesures de dépollution. Le rapport estime que pour réduire de 50 % l’usage des pesticides, une hausse drastique des taxes serait nécessaire, mais elle pourrait amputer de 2,8 % production en volume du secteur agricole et de 10 % le revenu agricole. Impossible en situation de forte tension économique de ce secteur, donc il est préféré un système global de transition. Il est recommandé d’instaurer des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) avec des plans de transition agro-écologique, des restrictions d’usage de pesticides et des programmes d’actions pour les captages en dépassement de seuils de qualité.
Enfin, la mission d’inspection pointe la fragmentation réglementaire actuelle, avec des protections dispersées entre plusieurs codes et procédures, générant inefficacité et confusion. La protection des captages, largement insuffisante, doit être refondée pour répondre aux enjeux de pollution, sécurité sanitaire et protection des milieux.
02/11/2024
Démantèlement d’un barrage en Pologne : les choix des autorités environnementales face aux attentes de la population (Habel et al 2024)
Lorsque les autorités polonaises ont décidé de démanteler le barrage de Wilkówka, la population locale s’est sentie exclue du processus. Attachés aux services que l’infrastructure aurait pu offrir, les habitants expriment leur frustration. Une étude universitaire offre un éclairage sur ce choc entre vision environnementale des autorités gestionnaires et aspirations communautaires des populations locales.
Photo de la démolition du barrage, droits réservés, source
L’étude de Michał Habel et de ses collègues explore les perspectives communautaires sur les impacts environnementaux et sociaux liés au premier démantèlement d'un barrage en Pologne, le barrage de Wilkówka. Cet article repose sur des enquêtes auprès de la population locale et des parties prenantes pour analyser les changements perçus des services écosystémiques et la dynamique sociale autour de cette décision controversée.
Le barrage de Wilkówka était situé dans les Carpates occidentales polonaises, précisément sur le ruisseau Wilkówka, un affluent de la rivière Biała qui se jette dans la Vistule. Construit entre 2009 et 2012, ce barrage en remblai mesurait 10,2 mètres de haut et 106 mètres de long. Son réservoir avait une capacité de 26 500 m³ et avait pour but principal de fournir une régulation des crues et un approvisionnement en eau à la communauté locale. Cependant, dès sa mise en service, de multiples défauts techniques ont empêché son fonctionnement optimal, notamment une instabilité causée par des problèmes de drainage qui ont empêché le remplissage complet du réservoir. Après plusieurs tentatives infructueuses de réparation, les autorités ont décidé de démanteler le barrage, une opération qui s'est déroulée de novembre 2021 à mars 2022.
Dans un premier temps, l’étude souligne que la décision de démanteler le barrage de Wilkówka a suscité un mécontentement général parmi les habitants locaux. En effet, 92 % des répondants ont estimé que cette décision avait été prise sans consultation suffisante, tandis que 62 % ont exprimé leur opposition au démantèlement. Bien que le barrage n’ait jamais pleinement fonctionné en raison de défauts techniques découverts peu après sa construction, les résidents ont développé un attachement rapide à ses services perçus, tels que l’approvisionnement en eau, la régulation des crues et sa valeur symbolique en tant qu’investissement dans la communauté.
L’analyse quantitative montre que 48 % des habitants considéraient l'approvisionnement en eau comme le service le plus important offert par le barrage, tandis que 31 % l'associaient à la protection contre les inondations. De plus, les activités de loisirs autour du réservoir, bien que limitées par l’état partiel de remplissage du réservoir, ont également été perçues comme un atout. Toutefois, la défaillance technique du barrage et le risque d’une catastrophe environnementale étaient des préoccupations majeures pour les autorités nationales et régionales, qui ont jugé nécessaire son démantèlement.
Malgré ces justifications techniques, la communauté locale a exprimé des attentes élevées quant aux services hydrologiques que le barrage aurait pu fournir. Ainsi, l’étude révèle un écart entre les perceptions locales et les décisions administratives : les résidents espéraient que le barrage pourrait être réparé ou reconstruit pour répondre aux besoins en eau et en protection contre les crues, même en dépit des risques environnementaux potentiels.
Un défaut de gouvernance a aussi été manifeste : "La décision de démanteler le barrage n'a pas fait l'objet de consultation publique. Aucune solution alternative n'a été présentée au public, et toutes les parties prenantes impliquées dans le processus de démantèlement étaient exclusivement des agences au niveau national."
Un autre point crucial de cette étude est la mise en lumière des conséquences anticipées du démantèlement du barrage sur les services écosystémiques. La majorité des répondants (69,3 %) craignaient une diminution de la capacité d'approvisionnement en eau après le démantèlement, tandis que 64,5 % redoutaient une dégradation des services de régulation, notamment la protection contre les crues. De même, plus de 60 % des répondants estimaient que l’esthétique du paysage et le potentiel récréatif de la région en pâtiraient.
En termes d'impact environnemental, les résultats révèlent que la communauté locale ne possédait pas une conscience écologique élevée, les services de soutien tels que la biodiversité et les habitats naturels étant considérés comme moins importants. Les services de régulation, tels que la qualité de l'eau et la régulation du microclimat, n'étaient également pas perçus comme significativement affectés par la construction ou la démolition du barrage.
Discussion
Cette étude illustre les tensions entre les objectifs techniques et environnementaux d’un projet de démantèlement de barrage et les perceptions sociales locales. Les résultats mettent en avant la nécessité d’inclure plus activement les communautés locales dans les processus décisionnels pour des projets similaires, afin de mieux concilier les attentes sociales et les impératifs écologiques ou sécuritiares. Le cas du barrage de Wilkówka démontre comment une infrastructure, même imparfaite, peut rapidement s’insérer dans le tissu socio-économique local, créant des attentes et des résistances face au changement. Nous avons ici le cas extrême d'un barrage récent et ayant un défaut technique de conception, mais il est évident que l'attachement social, usager et paysager est plus fort avec des infrastructures en place depuis des décennies, voire des siècles.
Au-delà d'une meilleure prise en compte des populations, il s'agit aussi de diversifier l'expertise scientifique qui inspire les décideurs : les facteurs sociaux, culturels et économiques sont partie intégrante de la vision démocratique de l'eau, au même titre que les facteurs biologiques, physiques ou chimiques. Seule une approche multidimensionnelle permet d'exprimer tout ce que des citoyens attendent, et d'opter pour la décision la plus approchante d'un intérêt général au niveau du bassin versant.
Référence : Habel M et al(2024), Dammed context: Community perspectives on ecosystem service changes following Poland's first dam removal, Land Degradation & Development, 35(6), 2184–2200.
24/10/2024
Repenser l'effet environnemental des étangs par une approche géographique intégrée (Touchart et Bartout 2024)
Parfois perçus comme perturbateurs des écosystèmes fluviaux, les étangs sont aujourd'hui réévalués sous un nouveau prisme. Dans leur étude du Grand Étang de Cieux, Laurent Touchart et Pascal Bartout proposent de dépasser l'approche classique de l'impact thermique pour analyser ces plans d'eau comme des réalités à part entière, intégrées aux réseaux hydrographiques. En introduisant des méthodes novatrices, ils offrent une vision plus nuancée et complète des interactions entre étangs et cours d'eau.
Les auteurs de cet article, Laurent Touchart et Pascal Bartout, sont affiliés au laboratoire CEDETE, département de géographie à l'Université d'Orléans. Ils proposent une approche géographique innovante pour évaluer l'impact thermique des plans d'eau, en prenant comme terrain d'étude le Grand Étang de Cieux, situé en Haute-Vienne (France). Cet étang de grande taille (40 hectares) se situe dans la région du Limousin, une zone particulièrement riche en plans d'eau artificiels, avec plus de 14 677 étangs dans les trois départements de la Haute-Vienne, Corrèze et Creuse. Le plan d'eau est alimenté par quatre tributaires qui se déversent ensuite dans la rivière Vergogne. Les auteurs soulignent l'importance de comprendre les interactions complexes entre les étangs et leur environnement.
L'hydrosystème étudié par les auteurs, extrait de l'article.
Pour analyser les effets thermiques de l’étang, les chercheurs ont utilisé un vaste réseau de thermomètres, installés sur les tributaires, à l'intérieur du plan d'eau et à sa sortie. Ces thermomètres ont collecté un total de 536 552 mesures de température, prises sur une période de plusieurs années, ce qui a permis de créer une base de données unique en son genre pour suivre l’évolution thermique à l’intérieur et à l’extérieur de l’étang. Ils ont appliqué deux nouvelles méthodes pour mesurer l'impact : la pondération des températures des affluents et l'utilisation d'un gradient thermique pour modéliser l'évolution de la température du cours d'eau en l'absence de l’étang.
Les résultats montrent que l’étang réchauffe les eaux en aval, mais de manière plus nuancée que les évaluations classiques. Selon la première méthode, le Grand Étang augmente la température moyenne annuelle de 1,8°C, avec un pic de plus de 4°C pendant l’été. Les auteurs soulignent que ces augmentations sont dues à une modification du régime thermique, en particulier par la réduction de l'amplitude diurne des températures, un effet typique des grands plans d’eau. En revanche, la méthode du gradient thermique montre que jusqu'à un tiers de ce réchauffement serait dû à des facteurs naturels, comme l'évolution spontanée du gradient des cours d'eau d'amont vers l'aval, indépendamment de la présence de l’étang.
Une partie essentielle de la réflexion des auteurs repose sur l’analyse critique du concept d'impact environnemental. Ils argumentent que les étangs sont souvent perçus comme des perturbateurs de l’écosystème naturel, et donc évalués de manière biaisée. En réintroduisant une approche géographique qui prend en compte non seulement l’impact direct des étangs, mais aussi leur rôle dans la dynamique des paysages et des systèmes hydrologiques, ils invitent à repenser ces écosystèmes comme des réalités autonomes et non comme des anomalies à corriger. Ainsi notent-ils : «il s'agirait de penser différemment les problèmes d'impact environnemental, non seulement en prenant plus en compte la question spatiale, mais aussi en ne la compartimentant pas, en n'opposant pas les eaux courantes et dormantes. Cela demanderait de ne plus considérer le plan d'eau comme exclusivement une rupture de cours d'eau, mais comme un limnosystème intégré à l'ensemble du réseau hydrographique.»
Cette étude conclut en proposant que, plutôt que d'être simplement considérés comme des sources d'impact négatif, les étangs devraient être étudiés comme des éléments intégrés et parfois bénéfiques des paysages hydrologiques. Ils démontrent qu’une partie du réchauffement des eaux est en réalité naturelle et qu’il est nécessaire de mieux comprendre les interactions multiples qui régissent ces systèmes complexes.
Référence : Touchart L et Bartout P (2024), Pour une évaluation plus géographique de l'impact environnemental des plans d'eau, le cas de la température de l'eau du Grand Étang de Cieux (Haute-Vienne), Physio-Géo, 20, 85-111.
18/10/2024
La France, championne d'Europe des destructions de seuils et barrages en rivière
Le rapport d'un groupe de lobbies naturalistes confirme que la France est le leader de la destruction d'ouvrages hydrauliques. Une politique pourtant contestée par les riverains et de plus en plus encadrée par la loi en raison de ses effets négatifs sur le patrimoine culturel et paysager, la régulation de l'eau et la transition énergétique. Outre ses coûts à une période où la dépense publique est censée se concentrer sur l'essentiel, et non pas payer des lubies comme le retour à des rivières sauvages.
Données pour l'année 2023, extrait de Dam Removal Europe, ref. cit.
La World Fish Migration Foundation est le coordinateur de la coalition Dam Removal Europe, travaillant en collaboration avec d'autres ONG internationales pour inciter les décideurs à détruire le maximum de barrages sur les rivières d'Europe. Ce groupe de lobbies vient de publier un suivi des effacements de seuils et barrages en Europe.
Voici quelques données statistiques et tendances principales extraites de ce rapport:
- En 2023, 487 barrières ont été supprimées dans 15 pays européens, marquant une augmentation de 49,8 % par rapport à 2022, où 325 barrières avaient été retirées.
- 46 % des barrières supprimées étaient des seuils et 36 % des buses. Les barrages représentaient 12 % des suppressions.
- 78 % des barrières supprimées étaient inférieures à 2 mètres de hauteur, tandis que seulement 2 % dépassaient 5 mètres.
- La France a été le leader européen de la suppression des barrières, suivie de l’Espagne, de la Suède et du Danemark.
- Les nouvelles opportunités de financement, notamment par le programme European Open Rivers, ont contribué à cette augmentation.
Ces données contredisent les propos lénifiants de l’administration en charge de l’eau et de la biodiversité et de son ministère qui, régulièrement interpellés par les élus, leur assure qu’il n‘existerait aucune politique de destruction systématique d’ouvrages hydrauliques (voir encore cet exemple récent). Les faits et les chiffres racontent une autre histoire.
Référence : Mouchlianitis FA (2024), 'Dam Removal Progress 2023', World Fish Migration Foundation
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