21/05/2015
Vidange du lac de Pont et décharge sédimentaire dans l'Armançon
Paysage lunaire de la retenue du barrage de Pont-et-Massène, où l'Armançon recreuse son lit primitif dans les sédiments accumulés au fond du lac. On note une forte turbidité de la rivière sur l'aval du barrage, jusqu'à la confluence avec la Brenne. L'association Hydrauxois avait demandé lors de l'enquête publique la pose d'une sonde pour estimer l'importance de cette décharge de matières fines en suspension... qu'en est-il?
14/05/2015
Mortalité des poissons en turbine, une analyse critique
Andreas Rick (ingénieur) nous a fait parvenir une intéressante étude critique sur la mortalité des anguilles en turbine telle qu'elle est aujourd'hui considérée par les services instructeurs de l'Onema. Son analyse met notamment en lumière la faible robustesse (voir non significativité) statistique de certains modèles de mortalité présentés comme références. Elle souligne aussi que ces études concernent des sites de puissances importantes, sans commune mesure avec les équipements modestes des moulins. Ce dernier point est un travers fréquent des travaux menés sur l'hydraulique en lien avec l'environnement, travaux qui ont souvent été réalisés sur des grands sites dont l'hydraulicité n'est pas représentative de la problématique des seuils, chaussées et glacis.
A lire : Rick A (2015), Mortalité des anguilles dans les turbines : les conclusions de l’Onema sont-elles robustes et applicables aux moulins ? (pdf)
A lire : Rick A (2015), Mortalité des anguilles dans les turbines : les conclusions de l’Onema sont-elles robustes et applicables aux moulins ? (pdf)
09/05/2015
Rivières de Seine-Normandie: 50% des déclassements biologiques associés à l'indice diatomées (13% aux poissons)
Les diatomées sont des algues unicellulaires brunes, dont la taille varie de 5 à 500 µm. Ce sont elles qui forment, par agrégation d'autres éléments microbiens, les biofilms visqueux autour des pierres de fond de rivière. Les diatomées sont utilisées pour évaluer la qualité des cours d'eau à travers l'Indice biologique diatomées (IBD) et l'Indice de polluosensibilité spécifique (IPS).
Leur propriété de bio-indicateurs s'explique par un cycle de vie rapide (permettant de déceler des pollutions ponctuelles), une forte sensibilité aux nutriments (azote, phosphore) et aux matières organiques, une variabilité selon le pH et le taux d'oxygénation. Dans l'ensemble, les diatomées sont considérées comme des indicateurs d'eutrophisation selon la répartition des espèces que l'on retrouve dans l'échantillon d'analyse. La qualité de l'indice sera inversement proportionnelle à la surface agricole cultivée des sols versants, à l'absence de peuplement forestier, à l'altération de la bande riveraine.
A la lumière de ces informations, il est particulièrement intéressant d'observer que dans l'Etat des lieux 2013 du bassin Seine-Normandie – dernier exercice disponible et texte de référence pour le SDAGE en cours de discussion –, les diatomées représentent à elles seules 50% des cas de non-atteinte du bon état écologique des rivières au sein des seuls indicateurs biologiques. Rappelons que la méthode d'analyse de l'état écologique d'une rivière consiste d'abord à mesurer ses indices biologiques (diatomées, poissons, macrophytes, invertébrés, phytobenthos), et si ceux-ci sont dégradés, à vérifier les indices de pollution chimique ou d'altération physico-chimique.
Le même Etat des lieux indique que 37% des rivières déclassée pour cause biologique le sont à cause des invertébrés, et 13 % seulement des poissons. On en déduira (une fois de plus) que le dogme selon lequel les obstacles à la continuité longitudinale (seuils et barrages) sont une cause majeure de dégradation des rivières est mis à mal sur ce bassin. Comme il l'est au demeurant sur la plupart des rivières d'Europe au regard des premières analyses quantitatives à grande échelle dont nous disposons dans la littérature scientifique.
A lire en complément : Auto-épuration des rivières, quand l'Onema contredit l'Onema (pour répondre à l'argument assez aberrant selon lequel l'excès de pollution en rivière serait imputable… aux seuils et barrages)
Illustration : in AE/Artois-Picardie, DR
Source : Agence de l'eau Seine-Normandie, Etat des lieux 2013
Leur propriété de bio-indicateurs s'explique par un cycle de vie rapide (permettant de déceler des pollutions ponctuelles), une forte sensibilité aux nutriments (azote, phosphore) et aux matières organiques, une variabilité selon le pH et le taux d'oxygénation. Dans l'ensemble, les diatomées sont considérées comme des indicateurs d'eutrophisation selon la répartition des espèces que l'on retrouve dans l'échantillon d'analyse. La qualité de l'indice sera inversement proportionnelle à la surface agricole cultivée des sols versants, à l'absence de peuplement forestier, à l'altération de la bande riveraine.
A la lumière de ces informations, il est particulièrement intéressant d'observer que dans l'Etat des lieux 2013 du bassin Seine-Normandie – dernier exercice disponible et texte de référence pour le SDAGE en cours de discussion –, les diatomées représentent à elles seules 50% des cas de non-atteinte du bon état écologique des rivières au sein des seuls indicateurs biologiques. Rappelons que la méthode d'analyse de l'état écologique d'une rivière consiste d'abord à mesurer ses indices biologiques (diatomées, poissons, macrophytes, invertébrés, phytobenthos), et si ceux-ci sont dégradés, à vérifier les indices de pollution chimique ou d'altération physico-chimique.
Le même Etat des lieux indique que 37% des rivières déclassée pour cause biologique le sont à cause des invertébrés, et 13 % seulement des poissons. On en déduira (une fois de plus) que le dogme selon lequel les obstacles à la continuité longitudinale (seuils et barrages) sont une cause majeure de dégradation des rivières est mis à mal sur ce bassin. Comme il l'est au demeurant sur la plupart des rivières d'Europe au regard des premières analyses quantitatives à grande échelle dont nous disposons dans la littérature scientifique.
A lire en complément : Auto-épuration des rivières, quand l'Onema contredit l'Onema (pour répondre à l'argument assez aberrant selon lequel l'excès de pollution en rivière serait imputable… aux seuils et barrages)
Illustration : in AE/Artois-Picardie, DR
Source : Agence de l'eau Seine-Normandie, Etat des lieux 2013
07/05/2015
Lettre ouverte FNE-FNPF sur les rivières: répéter 1000 fois un slogan n'en fait pas une vérité
France Nature Environnement (FNE) et la Fédération nationale de la pêche (FNPF) estiment que les rivières de France encourent de graves dangers. Elles ont adressé au Président de la République une lettre ouverte à ce sujet, signée de leurs deux présidents (Denez L'Hostis et Claude Roustan).
Hélas, la première partie consacrée à la morphologie des rivières, à la continuité écologique et à l'hydro-électricité est un tissu d'approximations et de contre-vérités. Il est assez frappant d'observer combien le ton de ces deux lobbies se radicalise et dégénère dans le slogan autoréférencé à mesure que la science se montre au contraire plus posée et plus nuancée dans ses travaux (voir ce qu'il en est réellement en lisant cet article, et plus généralement notre rubrique science).
Ce dérapage n'est pas un accident, c'est une routine : nous avions déjà corrigé les désinformations de FNE sur les moulins voici quelques mois (voir ici et ici). Quant aux pêcheurs – du moins aux représentants officiels des pêcheurs car sur le terrain, le discours est bien différent –, ils ne doivent qu'à de vieilles complicités dans l'appareil d'Etat d'avoir échappé jusqu'à présent à un vrai bilan scientifique de l'impact cumulé de leurs pratiques depuis des siècles (empoissonnements anarchiques, introduction d'espèces invasives ou porteuses de pathogènes, surpêches, etc.). Mais l'Onema est l'ancien Conseil supérieur de la pêche (dissous suite à un rapport Cour des comptes sur les dérives de gestion), n'est-ce pas, donc ce petit monde a l'habitude de penser ensemble en rond dans les couloirs du Ministère et des Agences.
Beaucoup d'entre nous se demandent : "Mais comment donc l'obsession de la continuité écologique a-t-elle pu tenir lieu de politique publique pendant quelques années, et représenter une dépense publique aussi élevée?" Cela alors que l'évidence de la dégradation chimique et de ses effets biologiques est massive, que la France est déjà très en retard sur ces obligations plus anciennes, qu'au sein de la morphologie les seuils et barrages sont moins impactants que bien d'autres pratiques (bétonnage de berges, rectification de lit, destruction de ripisylves, extraction de granulats, excès de fines par érosion des sols versants, etc.).
La lettre ouverte de FNPF et FNE apporte un élément de réponse parmi d'autres. En propageant la confusion et en trompant sur les ordres de grandeur des impacts sur nos rivières, ces lobbies entretiennent l'incohérence et l'impuissance qu'ils prétendent combattre, mais à laquelle ils participent en réalité depuis des décennies dans les Comités de bassin. Rappelons par exemple que le bassin Loire-Bretagne est le "terrain historique" de France Nature Environnement (combat pour la Loire vivante) et que ce bassin se trouve être aussi celui qui admet être incapable de dresser un état chimique de ses eaux en 2015, reconnaît une avancée nulle sur l'état écologique des rivières depuis 2006, tout en publiant des chiffrages fantaisistes sur la morphologie. Voilà où mènent les mauvais diagnostics des idéologues et les jeux de lobbies en coulisses...
Nous appelons évidemment les pêcheurs sincères et les naturalistes lucides à dénoncer les positions caricaturales de ceux qui se prétendent encore leurs représentants, pour travailler sur le terrain à des solutions plus respectueuses des patrimoines naturel et culturel de nos rivières.
Pour aller au-delà des slogans et creuser ces questions, prenez le temps de quelques lectures :
Hélas, la première partie consacrée à la morphologie des rivières, à la continuité écologique et à l'hydro-électricité est un tissu d'approximations et de contre-vérités. Il est assez frappant d'observer combien le ton de ces deux lobbies se radicalise et dégénère dans le slogan autoréférencé à mesure que la science se montre au contraire plus posée et plus nuancée dans ses travaux (voir ce qu'il en est réellement en lisant cet article, et plus généralement notre rubrique science).
Ce dérapage n'est pas un accident, c'est une routine : nous avions déjà corrigé les désinformations de FNE sur les moulins voici quelques mois (voir ici et ici). Quant aux pêcheurs – du moins aux représentants officiels des pêcheurs car sur le terrain, le discours est bien différent –, ils ne doivent qu'à de vieilles complicités dans l'appareil d'Etat d'avoir échappé jusqu'à présent à un vrai bilan scientifique de l'impact cumulé de leurs pratiques depuis des siècles (empoissonnements anarchiques, introduction d'espèces invasives ou porteuses de pathogènes, surpêches, etc.). Mais l'Onema est l'ancien Conseil supérieur de la pêche (dissous suite à un rapport Cour des comptes sur les dérives de gestion), n'est-ce pas, donc ce petit monde a l'habitude de penser ensemble en rond dans les couloirs du Ministère et des Agences.
Beaucoup d'entre nous se demandent : "Mais comment donc l'obsession de la continuité écologique a-t-elle pu tenir lieu de politique publique pendant quelques années, et représenter une dépense publique aussi élevée?" Cela alors que l'évidence de la dégradation chimique et de ses effets biologiques est massive, que la France est déjà très en retard sur ces obligations plus anciennes, qu'au sein de la morphologie les seuils et barrages sont moins impactants que bien d'autres pratiques (bétonnage de berges, rectification de lit, destruction de ripisylves, extraction de granulats, excès de fines par érosion des sols versants, etc.).
La lettre ouverte de FNPF et FNE apporte un élément de réponse parmi d'autres. En propageant la confusion et en trompant sur les ordres de grandeur des impacts sur nos rivières, ces lobbies entretiennent l'incohérence et l'impuissance qu'ils prétendent combattre, mais à laquelle ils participent en réalité depuis des décennies dans les Comités de bassin. Rappelons par exemple que le bassin Loire-Bretagne est le "terrain historique" de France Nature Environnement (combat pour la Loire vivante) et que ce bassin se trouve être aussi celui qui admet être incapable de dresser un état chimique de ses eaux en 2015, reconnaît une avancée nulle sur l'état écologique des rivières depuis 2006, tout en publiant des chiffrages fantaisistes sur la morphologie. Voilà où mènent les mauvais diagnostics des idéologues et les jeux de lobbies en coulisses...
Nous appelons évidemment les pêcheurs sincères et les naturalistes lucides à dénoncer les positions caricaturales de ceux qui se prétendent encore leurs représentants, pour travailler sur le terrain à des solutions plus respectueuses des patrimoines naturel et culturel de nos rivières.
Pour aller au-delà des slogans et creuser ces questions, prenez le temps de quelques lectures :
- 20 études scientifiques sur la morphologie et la continuité écologique
- Qualité de l'eau: 5 graphiques pour comprendre l'échec de la politique française (et l'absurdité de la destruction des moulins)
- Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015
- DCE 2000 et politique de l'eau: la France manque de transparence, de justice et d'efficacité
- Etat chimique et écologique de nos rivières: où sont donc les mesures ?
Complément (MAJ 7 mai 2015)
- Lire le communiqué de presse de France Hydro Electricité, qui dénonce une attitude "dogmatique" de FNE et de FNPF.
28/04/2015
Les effets des pesticides en rivières sont-ils sous-estimés ? (Stehle et Schulz 2015)
Environ 40% des terres arables (soit 15 millions de km2) sont exploitées dans le monde par l'agriculture, ce qui fait de cette activité le premier facteur de changement d'usage des sols et de modification de certains cycles naturels en zone continentale (eau, azote, phosphore). L'expansion et l'intensification de l'agriculture a entraîné une hausse de la production de pesticides de 75% entre 1955 et 2000, pour un marché mondial estimé à 50 milliards de dollars.
Des études régionales (comme Besketov 2013 en Europe) ont montré que la charge en pesticide peut réduire de plus de 40% la biodiversité de certaines classes (comme les invertébrés d'eaux courantes). En moyenne, quand on atteint le seuil réglementaire toléré, la perte est de 30%. Elle est encore de 12% quand on est à 10% du seuil de tolérance (illustration ci-dessous, cliquer pour agrandir : à gauche, réponse de diversité des familles de macro-invertébrés à la dose de concentration ; à droite, courbes de concentration sur les sites où des pesticides ont été détectés dans l'étude ici commentée).
Près de 90% des surfaces impactées ne font pas l'objet de suivi
Sebastian Stehle et Ralf Schulz (Institut des sciences de l'environnement de l'Université de Coblence-Landau) viennent de publier la première méta-analyse à échelle mondiale sur cette question des pesticides en lien avec les milieux aquatiques. Les chercheurs ont suivi 28 substances parmi les plus répandues. Leur travail a concerné 833 études antérieures (toutes "revues par des pairs", ie scientifiques), concernant plus de 2500 sites répartis dans 73 pays. La bonne nouvelle (à peu près la seule) est que la plupart des mesures (97,4%) ne parviennent pas à détecter un niveau de concentration. Mais le chiffre peut être trompeur : malgré l'ampleur de cette étude, l'information n'est disponible que pour 1,6 millions de km2, c'est-à-dire que 90% des terres servant à la culture ou à l'élevage ne disposent d'aucun mécanisme de surveillance fiable de la charge en pesticide.
Parmi les sites ayant détecté des concentrations de pesticides, 9910 mesures sont faites en eaux vives et 1390 en eaux estuariennes. En leur sein, 8166 concerne l'eau et 3134 les sédiments. Le résultat le plus important de l'étude est que sur 11300 mesures de concentrations détectées, 52,4% montrent des quantités au-delà du seuil de tolérance. Le chiffre atteint 82,5% quand on examine les seules contaminations des sédiments.
"En concert avec les nutriments et la dégradation des habitats, l'utilisation agricole d'insecticide est probablement l'un des moteurs de la perte de biodiversité des écosystèmes aquatiques impactés par l'agriculture", soulignent les chercheurs. Et ils ajoutent : "l'importance des pesticides agricoles peut avoir été sous-estimée du fait d'un manque d'analyse quantitative".
Des substances difficiles à mesurer, des effets encore mal connus
Sebastian Stehle et Ralf Schulz rappellent notamment quelques motifs de penser que l'effet de la charge en pesticide sur la biodiversité aquatique est effectivement sous-estimé :
Et la France ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le niveau de dépassement (au sein des détections) est assez comparables dans les pays développés à fortes normes environnementales (39,9%) que dans ceux présentant des règlementations moins strictes (42,2%). Mais le travail de Stehle et Schulz ne donne pas de classement par pays.
En importance relative de surface et d'emploi, la France reste l'une des première nations agricoles en Europe et dans le monde, et le premier consommateur européen de pesticide. Le modèle productiviste y a été fortement encouragé à partir des années 1950 (dans le cadre de la "grande accélération" dont nous avons parlé sur ce site). Notre pays dispose certes d'un réseau de contrôle de qualité des eaux vives (cf illustration ci-dessus extraite de Onema 2010) mais il faut compter avec 500.000 km de linéaire d'eaux de surface en métropole, et des mesures ponctuelles plutôt que continues. Il y a en moyenne un point de mesure pour 200 km de linéaire de cours d'eau. Autant dire que le niveau de connaissance des contaminations reste perfectible, sans parler ensuite de l'évaluation complète de leurs effets biologiques sur la chaine trophique.
La dernière synthèse du CGDD, mise à jour 2014, avait montré que 7% seulement des rivières françaises surveillées sont exemptes de détection d'au moins un pesticide, les données manquent encore dans 34 des 222 entités hydrographiques de contrôle pour les eaux de surface (cf illustration ci-dessous). La précédente campagne de 2007-2009 visant à analyser la présence de 950 molécules en rivières avait révélé de chiffres comparables, avec 91% des rivières et 75% des plans d'eau présentant au moins une substance (CGDD 2011). Cette campagne avait aussi révélé la diversité des pollutions par pesticide : 413 molécules différentes retrouvées au moins une fois dans les cours d’eau (soit 80% des 516 molécules recherchées dans le volet pesticide).
En conclusion
Le travail de Stehle et Schulz rappelle que parmi les facteurs connus de dégradation des écosystèmes aquatiques d'eaux douces (réchauffement climatique, pollution, surexploitation, prélèvement quantitatif de la ressource, espèces invasives, dégradation des habitats), la pollution par les molécules issues de la chimie de synthèse et en particulier par les pesticides est loin d'être la mieux surveillée et la mieux comprise. Voilà en enjeu de bien commun qui devrait inspirer plus d'efforts de la part des autorités et gestionnaires en charge de l'eau, au lieu des démantèlements de seuils de moulins centenaires puérilement présentés comme des avancées décisives pour la qualité de l'eau. Rappelons que dans le dernier budget français connu pour le suivi de l'état écologique et chimique des rivières au titre de la DCE 2000, la France a provisionné 3 milliards d'euros pour la restauration morphologique mais… 170 millions d'euros seulement pour la qualité de son réseau de mesure et de suivi des pollutions. Ce n'est donc pas un problème de moyens, mais de cohérence et de clairvoyance dans nos choix publics.
Référence : Stehle S et Schulz R (2015), Agricultural insecticides threaten surface waters at the global scale, PNAS, epub before print, doi: 10.1073/pnas.1500232112
Des études régionales (comme Besketov 2013 en Europe) ont montré que la charge en pesticide peut réduire de plus de 40% la biodiversité de certaines classes (comme les invertébrés d'eaux courantes). En moyenne, quand on atteint le seuil réglementaire toléré, la perte est de 30%. Elle est encore de 12% quand on est à 10% du seuil de tolérance (illustration ci-dessous, cliquer pour agrandir : à gauche, réponse de diversité des familles de macro-invertébrés à la dose de concentration ; à droite, courbes de concentration sur les sites où des pesticides ont été détectés dans l'étude ici commentée).
Près de 90% des surfaces impactées ne font pas l'objet de suivi
Sebastian Stehle et Ralf Schulz (Institut des sciences de l'environnement de l'Université de Coblence-Landau) viennent de publier la première méta-analyse à échelle mondiale sur cette question des pesticides en lien avec les milieux aquatiques. Les chercheurs ont suivi 28 substances parmi les plus répandues. Leur travail a concerné 833 études antérieures (toutes "revues par des pairs", ie scientifiques), concernant plus de 2500 sites répartis dans 73 pays. La bonne nouvelle (à peu près la seule) est que la plupart des mesures (97,4%) ne parviennent pas à détecter un niveau de concentration. Mais le chiffre peut être trompeur : malgré l'ampleur de cette étude, l'information n'est disponible que pour 1,6 millions de km2, c'est-à-dire que 90% des terres servant à la culture ou à l'élevage ne disposent d'aucun mécanisme de surveillance fiable de la charge en pesticide.
Parmi les sites ayant détecté des concentrations de pesticides, 9910 mesures sont faites en eaux vives et 1390 en eaux estuariennes. En leur sein, 8166 concerne l'eau et 3134 les sédiments. Le résultat le plus important de l'étude est que sur 11300 mesures de concentrations détectées, 52,4% montrent des quantités au-delà du seuil de tolérance. Le chiffre atteint 82,5% quand on examine les seules contaminations des sédiments.
"En concert avec les nutriments et la dégradation des habitats, l'utilisation agricole d'insecticide est probablement l'un des moteurs de la perte de biodiversité des écosystèmes aquatiques impactés par l'agriculture", soulignent les chercheurs. Et ils ajoutent : "l'importance des pesticides agricoles peut avoir été sous-estimée du fait d'un manque d'analyse quantitative".
Des substances difficiles à mesurer, des effets encore mal connus
Sebastian Stehle et Ralf Schulz rappellent notamment quelques motifs de penser que l'effet de la charge en pesticide sur la biodiversité aquatique est effectivement sous-estimé :
- les pics de concentration de pesticides sont transitoires (3 à 4 heures par jour, quelques jours par an, correspondant aux épandages) et difficile à identifier en absence de monitorage permanent;
- la toxicité intrinsèque des molécules concernées fait que l'exposition courte à une forte charge se traduit ensuite par des dérèglements durables, même quand les concentrations ne sont plus présentes dans le milieu ambiant;
- la plupart des sites montrent l'exposition à d'autres molécules (jusqu'à 31) et la dynamique synergistique de l'exposition aux substances a un effet biologique assez largement méconnu;
- il n'y a pas vraiment d'effet de seuil connu pour les molécules analysées, de sorte que même les expositions en dessous du seuil de tolérance réglementaire ont des effets biologiques.
Et la France ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le niveau de dépassement (au sein des détections) est assez comparables dans les pays développés à fortes normes environnementales (39,9%) que dans ceux présentant des règlementations moins strictes (42,2%). Mais le travail de Stehle et Schulz ne donne pas de classement par pays.
En importance relative de surface et d'emploi, la France reste l'une des première nations agricoles en Europe et dans le monde, et le premier consommateur européen de pesticide. Le modèle productiviste y a été fortement encouragé à partir des années 1950 (dans le cadre de la "grande accélération" dont nous avons parlé sur ce site). Notre pays dispose certes d'un réseau de contrôle de qualité des eaux vives (cf illustration ci-dessus extraite de Onema 2010) mais il faut compter avec 500.000 km de linéaire d'eaux de surface en métropole, et des mesures ponctuelles plutôt que continues. Il y a en moyenne un point de mesure pour 200 km de linéaire de cours d'eau. Autant dire que le niveau de connaissance des contaminations reste perfectible, sans parler ensuite de l'évaluation complète de leurs effets biologiques sur la chaine trophique.
La dernière synthèse du CGDD, mise à jour 2014, avait montré que 7% seulement des rivières françaises surveillées sont exemptes de détection d'au moins un pesticide, les données manquent encore dans 34 des 222 entités hydrographiques de contrôle pour les eaux de surface (cf illustration ci-dessous). La précédente campagne de 2007-2009 visant à analyser la présence de 950 molécules en rivières avait révélé de chiffres comparables, avec 91% des rivières et 75% des plans d'eau présentant au moins une substance (CGDD 2011). Cette campagne avait aussi révélé la diversité des pollutions par pesticide : 413 molécules différentes retrouvées au moins une fois dans les cours d’eau (soit 80% des 516 molécules recherchées dans le volet pesticide).
En conclusion
Le travail de Stehle et Schulz rappelle que parmi les facteurs connus de dégradation des écosystèmes aquatiques d'eaux douces (réchauffement climatique, pollution, surexploitation, prélèvement quantitatif de la ressource, espèces invasives, dégradation des habitats), la pollution par les molécules issues de la chimie de synthèse et en particulier par les pesticides est loin d'être la mieux surveillée et la mieux comprise. Voilà en enjeu de bien commun qui devrait inspirer plus d'efforts de la part des autorités et gestionnaires en charge de l'eau, au lieu des démantèlements de seuils de moulins centenaires puérilement présentés comme des avancées décisives pour la qualité de l'eau. Rappelons que dans le dernier budget français connu pour le suivi de l'état écologique et chimique des rivières au titre de la DCE 2000, la France a provisionné 3 milliards d'euros pour la restauration morphologique mais… 170 millions d'euros seulement pour la qualité de son réseau de mesure et de suivi des pollutions. Ce n'est donc pas un problème de moyens, mais de cohérence et de clairvoyance dans nos choix publics.
Référence : Stehle S et Schulz R (2015), Agricultural insecticides threaten surface waters at the global scale, PNAS, epub before print, doi: 10.1073/pnas.1500232112
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