La Vaige est un cours d'eau de 54,5 km (bassin versant de 246 km2), affluent de la Sarthe. Aujourd'hui, le cours d'eau est dégradé et n'atteint pas le bon état écologique et chimique DCE. Comme beaucoup d'autres dans la région, il a des étiages très prononcés, avec une chute du débit moyen mensuel jusqu’à 0,173 m3 au mois d’août. Ces rivières où il ne reste qu'un filet d'eau en été voient leur paysage et leur profil transfigurés quand on y supprime les retenues.
Un coût de 1,59 M€ pour la morphologie avec la moitié pour la continuité, surtout des destructions
Dans le dossier proposé en enquête publique pour le programme d'actions 2017-2021, le syndicat envisage l'effacement total de 17 petits ouvrages, et l'aménagement de 5 d'entre eux. Pour les ouvrages dits "complexes", 13 doivent être démantelés ou privés de leurs vannes, 1 verra un arasement partiel, 1 bénéficiera d'une passe à poissons, 5 verront le remplacement du seuil par une rampe en enrochement.Le coût du programme concerné par la DIG est de 1,59 M€ TTC. La seule continuité longitudinale représente 785 k€ TTC, soit la moitié du coût. Une fois de plus, on constate la sur-représentation de ce poste dans l'action syndicale.
Comme la plupart des autres documents de ce genre, le programme proposé en enquête publique est fondé sur un biais de construction. Les rivières aménagées comme la Vaige présentent des populations de poissons, invertébrés et autres espèces qui se sont adaptées dans le temps aux nouveaux habitats. Vouloir poser un "état de référence" théorique, fondé sur d'autres espèces que celles présentes, cela revient immanquablement à :
- nier la dimension socio-historique à l'oeuvre dans la biodiversité actuelle des rivières, ces dernières n'étant nullement des systèmes "sauvages" ou "naturels" exempts d'influence humaine, mais au contraire des systèmes transformés par l'occupation des vallées depuis des millénaires, par les ouvrages hydrauliques depuis des siècles (sur la carte de Jaillot de 1781, on dénombre déjà 17 moulins et 15 étangs sur la Vaige);
- faire le choix des solutions radicales de "renaturation", ne consistant pas seulement à assurer des fonctionnalités ciblées comme la continuité piscicole ou sédimentaire (ce que demande la loi), mais plutôt à détruire les ouvrages et leurs habitats en place (retenues, biefs);
- ignorer la possibilité que donne l'Europe à chaque Etat-membre de classer une masse d'eau comme "fortement modifiée" (ce qui ne pose pas les mêmes références pour la bio-indication écologique), au lieu de cela engager des programmes coûteux de reconstruction complète des lits majeurs et mineurs sur des cours d'eau que l'on prétend de manière contradictoire "naturels" (s'ils le sont, pourquoi faudrait-il tout changer?);
- négliger en conséquence tous les autres éléments de la gestion durable et équilibrée de l'eau (L 211-1 CE), dont nous verrons ci-après qu'ils donnent une image bien plus large et complexe de l'intérêt général.
Des informations incomplètes sur le droit et sur l'état des milieux
Le texte de synthèse proposé au public lors de cette enquête comporte des informations fausses ou incomplètes du point de vue légal et réglementaire. Ainsi par exemple :
Le classement de la Vaige en liste 1 et 2 interdit donc l’installation de tout nouvel ouvrage (s’il constitue un obstacle à la continuité écologique) sur son linéaire ainsi que la mise en conformité des ouvrages existants.Or, on sait que la loi a changé et que les moulins équipés pour produire de l'électricité ne sont désormais plus soumis aux obligations de mise en conformité propres à la liste 2. Cette information est évidemment fondamentale pour que le consentement des maîtres d'ouvrage au choix d'aménagement ne soit pas vicié. Tout porte à croire que la vingtaine de projets soumis à enquête publique ont été construits sur un état antérieur du droit, donc sur une information devenue incorrecte des propriétaires et riverains.
De même, on peut lire (p. 25 du document A) :
On admet communément que pour chaque masse d’eau, le bon état morphologique est atteint lorsqu’un pourcentage de 75% du linéaire en bon ou très bon état est présent sur chaque compartiment du réseau hydrographique.
Il serait nécessaire de préciser qui "admet communément" cette assertion et pourquoi. Est-ce une obligation inscrite dans la directive cadre européenne sur l'eau? Est-ce une interprétation française? Où sont les documents techniques et scientifiques expliquant que ce chiffre de 75% correspond à un seuil critique démontré sur la base de relevés biologiques et d'une modélisation pression-impact? En particulier, au sein de la morphologie du bassin qui comporte de nombreuses dimensions, dans quelles publications de chercheurs (et non mémoire d'étudiants...) est-il scientifiquement montré que les discontinuités longitudinales du lit mineur (vannages, seuils, barrages) sont corrélées à un mauvais état de l'eau et des milieux sur les rivières concernées?
Par ailleurs, nous n'avons trouvé nulle part dans le rapport présenté un état chimique de la masse d'eau, qui fait pourtant partie des obligations françaises de rapportage à l'Europe. Ces données sont-elles manquantes? Tous les systèmes d'épuration et tous les effluents agricoles sont-ils exempts de polluants?
Par ailleurs, nous n'avons trouvé nulle part dans le rapport présenté un état chimique de la masse d'eau, qui fait pourtant partie des obligations françaises de rapportage à l'Europe. Ces données sont-elles manquantes? Tous les systèmes d'épuration et tous les effluents agricoles sont-ils exempts de polluants?
Aucun rappel de ce qu'est réellement la gestion "équilibrée et durable" de l'eau définissant l'intérêt général
Plus généralement, le projet ne comporte aucune présentation ni explication détaillée de l'article L211-1 du code de l'environnement, article qui définit ce qu'est la "gestion équilibrée et durable" de l'eau en France – donc l'intérêt général que les syndicats et les agences de l'eau les finançant sont supposés respecter.
Rappelons les éléments de ce texte, qui a lui aussi connu deux modifications en 2016 (non prises en compte dans le rapport du syndicat):
I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :La continuité écologique n'est qu'un aspect parmi bien d'autres de cet article de loi définissant la gestion équilibrée et durable: il aurait fallu que le syndicat de la Vaige démontre en quoi son programme de casse d'un grand nombre d'ouvrages hydrauliques respectent ces dispositions, notamment sur le stockage, le patrimoine historique et paysager, l'énergie, l'agrément, les droits d'eau, l'auto-épuration de la rivière grâce aux retenues, etc.
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
Un décret en Conseil d'Etat précise les critères retenus pour l'application du 1°.
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
Rappel juridique : dans la hiérarchie des normes, la loi l'emporte sur les arrêtés préfectoraux que sont les SDAGE et les SAGE. De plus, ces derniers textes de programmation ne sont mis à jour que tous les 6 ans et ne suivent donc pas les nouvelles prescriptions du législateur. Ainsi, depuis 2016, quatre modifications législatives ont été apportées directement ou indirectement à la mise en oeuvre de la continuité écologique. Ces lois nouvelles, qui ont modifié le code de l'environnement, doivent être respectées et les porteurs de projet doivent en rappeler les termes, sans se contenter d'une référence au SDAGE. Voir ce courrier aux préfets rappelant ces points.
Selon les Nouvelles de Sablé en 2015, les pêcheurs sont très mécontents de l'abaissement des niveaux d'eau, malgré 240 k€ de travaux à l'époque et une promesse non tenue d'avoir 60 cm d'eau à l'étiage. Où est le respect des différents usages de l'eau?
L'association environnementaliste Mayenne Nature Environnement (déclinaison départementale de FNE) a publié un avis sur l'enquête publique. Son examen est intéressant pour comprendre comment certains jettent de l'huile sur le feu en faisant pression pour des solutions destructrices, mais aussi prennent des libertés avec les données sur l'eau pour donner une fausse image de la supposée "réussite" des restaurations physiques.
Après une longue tirade de généralités copiées-collées des documents de l'Agence de l'eau ou de l'Onema, on lit ainsi :
MNE tient cependant à faire une remarque : La mise en place de passes à poissons doit demeurer une exception réservée aux cas techniquement complexes ou réglementaires, compte-tenu du coût de ces équipements et du maintien d’une zone influencée en amont des ouvrages. Les dispositifs de mise en place de franchissements piscicoles, d’effacement ou remplacement d’ouvrages, du fait de la complexité de ces dispositifs (conception, mise en œuvre, fonctionnement), et du résultat contrasté de ces équipements – trop forte sélectivité bien souvent- sur certaines espèces, Mayenne Nature Environnement souhaite la création, soit d’une commission de suivi qui associe les maîtres d’ouvrages des projets (privés ou collectivités publiques), des spécialistes dans ces domaines (Service technique du Syndicat, Onema, Fédération de Pêche, Autres ...) et un maître d’œuvre pour l’exécution des travaux.Outre une syntaxe défaillante qui rend assez peu compréhensible le propos, on observe que Mayenne Nature Environnement souhaite voir le minimum de passes à poissons. L'objectif décrit, c'est en fait que chaque maître d'ouvrage soit soumis à la pression d'une commission qui va faire l'éloge de la solution la plus ambitieuse, à savoir l'effacement pur et simple.
Ces pratiques ont soulevé une vive contestation sur la plupart des bassins versants, ainsi qu'une nette réprobation parlementaire quand les moulins sont concernés: MNE est parfaitement libre d'en faire la promotion, mais il ne faut pas ensuite s'étonner que l'écologie soit impopulaire car synonyme de solutions extrêmes, de chantages sur les riverains et de destruction des cadres de vie.
Malgré les actions entreprises, la masse d'eau est toujours en état mauvais ou moyen selon les tronçons (source Hydro Concept 2015). Rien n'indique que la suppression des ouvrages anciens produira une amélioration significative. Mais on continue sans réfléchir. Cf détail ci-dessous.
Mais le plus intéressant concerne le bilan des actions entreprises par le syndicat dans son précédent contrat. MNE écrit ainsi à propos du site de Sablé-sur-Sarthe :
Les actions ambitieuses déjà portées par le Syndicat dans le précédent Contrat Restauration Entretien comme l’aménagement de l’espace naturel dans la Commune de Sablé sur Sarthe ou la suppression du plan d’eau de la BAZOUGE de CHEMERE démontrent par les suivis réalisés le bien-fondé de ces opérations :Voilà qui n'est pas très objectif. Car Hydro Concept, le BE chargé du suivi, écrit en réalité dans son dernier bilan disponible en ligne (2015):
Pour SABLE S/ SARTHE : progression de la densité de poissons (87.2 individus pour 100m2 en 2012 : Etat initial puis après travaux : 215 en 2013 et 270 en 2015). La richesse reste stable mais certaines espèces emblématiques font leur apparition comme la Vandoise ou le Barbot Fluviatile) La richesse et les effectifs en taxons polluos- sensibles sont également en progression avec en 2013, 7 taxons et 42 individus, en 2015, 12 taxons pour 93 individus.
En 2015, le peuplement piscicole de la Vaige à Sablé-sur-Sarthe est caractérisé par une valeur moyenne de l'IPR avec une note de 24,022. L'indice se dégrade et perd une classe de qualité, vis-à-vis de la pêche réalisée en 2013. (…)L’inventaire piscicole témoigne:- De la sous-représentation des espèces d'eaux courantes (vairon, loche franche et chabot);- De l'absence du barbeau (espèce présente en 2013), mais du retour d'une autre espèce d'eaux courantes en 2015: la vandoise;- De la présence de 2 sandres, et ceci pour la première fois depuis le début du suivi;- De la surreprésentation d'espèces d'eaux calmes et de la zone intermédiaire (gardon, bouvière et brème);- De la présence de deux anguilles seulement, malgré la proximité de la confluence avec la Sarthe;- De la présence d'espèces envahissantes pouvant créer des déséquilibres biologiques: la perche soleil, le poisson-chat et l'écrevisse américaine; (…)Malgré la mise en place des épis, le colmatage des substrats par les limons et l'argile reste très fort. Tout ceci limite le développement d'espèces lithophiles, comme le barbeau, le vairon ou le chabot, espèces exigeantes vis-à-vis de la qualité des substrats. Néanmoins, la vandoise fait son retour sur le site, après son absence en 2013.Et le bureau d'études de conclure :
L’évolution favorable entrevue, sur le site de Sablé-sur-Sarthe en 2013, ne s’est pas maintenue en 2015. La fragilité du compartiment piscicole observée en 2013, s’est confirmée. Malgré les travaux, la Vaige sur ce secteur présente une dégradation importante du lit, en raison du fort colmatage de celui-ci par les limons. Cette altération est accentuée par une qualité de l’eau non optimale, comme le montre l’IBD.En effet, malgré les travaux ou mesures de gestion déjà engagés, l'état écologique DCE de la Vaige à Sablé est moyen pour l'IBD comme pour l'IPR. Donc les investissements ne portent pas leur fruit à date : modifier le profil d'écoulement quand l'eau et les substrats présentent toujours des problèmes quantitatifs (étiage sévère) et qualitatifs (dégradation physique) n'amène pas miraculeusement une renaissance des espèces cibles. Sans compter le fait que les conditions générales de milieu (changement climatique) évoluent dans un sens de toute façon défavorable aux espèces d'eaux fraîches et courantes pour les décennies à venir.
Continuons sur le second site cité par MNE:
Pour la BAZOUGE de CHEMERE: la pêche électrique de suivi avant travaux et celle exercée cette année après suppression du plan d’eau montre une amélioration notoire de la situation (la note a progressé d’une classe de qualité), même si les travaux ne sont pas encore terminés. En effet les écoulements courants retrouvés ont permis à des espèces comme le vairon ou la loche franche de faire leurs apparitions. Les populations de chevaines et de gougeons ont également augmenté.Le cas de Bazouge-de-Chemeré est plus intéressant, puisque le suivi du syndicat date de 2009. Le dernier bilan 2015 n'est pas bon pour Hydro Concept, contrairement aux données soigneusement isolées par MNE.
Pour les invertébrés :
La Vaige en amont du plan d'eau de la Bazouge-de-Chémeré présente une qualité hydrobiologique moyenne avec un indice de 11/20.Le Groupe Faunistique Indicateur est mauvais (GFI de 4/9: Cyrnus). La richesse et les effectifs en taxons polluo-sensibles (EPT) sont très faibles avec 8 taxons et 43 individus. La richesse totale est moyenne avec 33 taxons.Les indices de diversité sont mauvais, ils témoignent d'un fort déséquilibre de la structure du peuplement. Les chironomes et les oligochètes, taxons polluo-résistants inféodés préférentiellement aux sédiments fins riches en matière organique, représentent 85 % des effectifs.Tous ces indices témoignent d'une altération du milieu et de la qualité de l'eau de la Vaige.Pour les poissons :
Le peuplement piscicole est caractérisé par une mauvaise qualité de l'IPR avec une note de 33,186. (…) L’inventaire piscicole témoigne:- De l'absence de la truite, et de toutes ses espèces d'accompagnement;- De la surreprésentation des espèces de la zone intermédiaire et d'eaux calmes, comme le gardon, la brème ou le poisson-chat;- De la présence de 3 espèces invasives pouvant créer des déséquilibres biologiques: la perche soleil, le poisson chat et l'écrevisse américaine.- De la faible présence de l'anguille avec 2 individus.Au final, l'état écologique de la Vaige à Bazouge-de-Chémeré est mauvais.
Au mépris des données complètes et des conclusions assez sévères du bureau d'études sur l'évolution des deux sites proposés en exemple, Mayenne Nature Environnement conclut en affirmant :
Les résultats de ces indicateurs biologiques montrent bien une amélioration de la situation après travaux même si ces deux exemples représentent qu’une infime partie du territoire du Bassin Versant de la VAIGE. Les travaux prévus sur les 20 ouvrages complexes permettront un gain écologique non négligeable.C'est le contraire qui vient à l'esprit : les suivis montrent pour le moment que les travaux réalisés n'ont pas apporté de gains substantiels à l'écologie telle que mesurée par les diatomées, les invertébrés et les poissons. En particulier, ils ne suffisent nullement à apporter le bon état écologique et chimique DCE, qui est notre réelle obligation vis-à-vis de l'Europe. Avant de prétendre généraliser ce genre de mesures à 20 ouvrages, il paraît surtout urgent d'affiner le bilan, de comprendre pourquoi les milieux restent dégradés, de voir si les changements apportés à la rivière modifient durablement ses peuplements, d'envisager un reclassement comme masse d'eau fortement modifiée s'il est évident que l'atteinte des objectifs DCE impliquerait des nuisances et des coûts disproportionnés à l'enjeu écologique. C'est encore plus vrai au regard de l'hydrologie du bassin, marquée par une longue période de basses eaux et des étiages très faibles, ce qui laisse douter d'une réponse très positive à la suppression des retenues et biefs – dans une période d'évolution climatique où l'on pronostique la hausse de fréquence des phénomènes extrêmes, dont les sécheresses.
Le tronçon ayant un bon indice piscicole (Vaige à Bouessay) a pourtant des ouvrages hydrauliques sur son cours
Enfin, quand on lit le diagnostic fait par le syndicat (cf p. 139 document A), on voit que le seul tronçon ayant un IPR (indice poisson rivière) de bonne qualité est la Vaige à Bouessay.
Or, le ROE de l'Onema montre que secteur possède une douzaine d'obstacles à l'écoulement (seuil), cf ci-dessous.
La Vaige à Bouessay, un bon IPR malgré la présence d'ouvrages (points rouges de la carte).
Tout laisse à penser que l'on est dans un régime assez fantaisiste de la preuve, où des causes supposées de dégradation piscicole agissent dans certains cas, mais pas dans d'autres, où des actions donnent des effets très modestes, mais sont généralisées en absence de la moindre garantie de résultat. La gestion écologique des rivières ne peut pas être fondée sur ces méthodes. Il serait largement préférable de faire des expérimentations réversibles sur certains tronçons et d'observer la réponse des milieux avant de se précipiter sur des mesures à connaissance très incertaine.
Nota : c'est une bonne chose que les syndicats demandent des suivis, au moins il existe des données permettant le débat. Cependant, dans le cas d'un retour d'expérience sur effacement, aménagement ou changement de gestion d'ouvrage, il faut que l'état initial soit correct. Il doit se faire sur plusieurs années, car les populations présentent une forte variabilité interannuelle (événements climatiques, pollutions aiguës, etc.), donc une seule valeur de référence avant travaux n'est pas assez fiable. Il doit se faire aussi sur plusieurs points de mesure (pour un site : amont retenue, retenue, aval barrage), faute de quoi il est impossible d'estimer s'il y a gain / perte de biodiversité sur la station concernée, ni d'invalider l'hypothèse d'une simple variation de répartition (perte de densité / diversité à l'aval de l'obstacle et gain à l'amont, ce qui peut être observé sur ce type de travaux). Enfin, les résultats des restaurations sont très variables dans le temps, et il faut procéder à des tests statistiques rigoureux pour savoir si les variations obtenues de peuplements bio-indicateurs sont ou non significatives. Donc le monitoring doit être continu après le chantier, afin de produire un bon échantillon de données sur un nombre suffisant d'années. Signalons que la bio-indication DCE (IBD, IPR, IBGN) ne décrit pas toute la biodiversité des hydrosystèmes, qui inclut aussi bien les oiseaux, les amphibiens, la végétation riveraine, etc. Les poissons, qui sont souvent mis en avant pour des raisons halieutiques, ne représentent que 2% de la biodiversité aquatique.
Illustrations (photos) : clapet de la Glacière. Il est déjà abaissé et ne représente plus un obstacle, mais il s'agirait de le détruire. On se prive de moyens de réguler l'eau, alors que le diagnostic du syndicat fait apparaître la présence d'espèces invasives, que les étiages du bassin sont sévères, que les changements hydroclimatiques à venir sont incertains, que le bilan chimique de contrôle d'un effet d'épuration amont/aval en fonction de l'ouverture des vannes n'est pas réalisé, etc. Pourquoi s'acharner à détruire les ouvrages sans avoir démontré la réalité de leur impact, ni la réversibilité de cet impact? Pourquoi ne pas tester d'abord différentes hypothèses sur des tronçons limités, comme par exemple la restauration des berges, ripisylves et écotones du lit majeur d'inondation en conservant les ouvrages en travers, pour vérifier préalablement ce qui donne les meilleurs résultats écologiques, au lieu de céder de manière précipitée aux modes du moment?