La destruction du patrimoine hydraulique des moulins, des étangs et des barrages continue de susciter l'indignation ou l'inquiétude des élus des citoyens, qui ne comprennent pas pourquoi l'argent public est dépensé à cette fin. Le sénateur Darnaud s'en alarmait l'été dernier après bien d'autres, face notamment à des rivières à sec qui n'ont plus aucune continuité. La réponse faite par le ministère de l'écologie est hélas à nouveau dilatoire. Nous appelons donc plus que jamais nos parlementaires à clarifier le statut de protection des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux à l'occasion de la prochaine loi Climat et résilience, mais surtout à mobiliser ces ouvrages au service de la transition écologique.
Question écrite n° 17475 de Mathieu Darnaud (Ardèche - Les Républicains), publiée dans le JO Sénat du 30/07/2020 - page 3369 :
"M. Mathieu Darnaud attire l’attention de Mme la ministre de la transition écologique au sujet des inquiétudes exprimées sur la menace planant sur le patrimoine hydraulique de la France.Il rappelle que l’article L. 214-17 du code de l’environnement dispose que l’entretien des ouvrages hydrauliques se fait en concertation avec les propriétaires ou exploitants.Malgré cela on constate aujourd’hui de nombreuses destructions d’ouvrages tels moulins, barrages ou canaux. Ces dernières sont effectuées sans réelle réflexion sur l’importance patrimoniale de ces ouvrages, leur utilité économique et le rôle qu’ils jouent dans le maintien de la biodiversité, leur disparition provoquant dans certains territoires un assèchement des milieux aquatiques et humides.Il demande donc si le Gouvernement entend prendre des mesures comme un moratoire sur la destruction de ces ouvrages, et s’il entend s’engager sur une politique générale de valorisation du patrimoine hydraulique de la France, aujourd’hui menacé."
Voici nos commentaires sur la réponse du ministère
"Face au double défi de l’effondrement de la biodiversité et d’un maintien de la qualité de l’eau, la restauration de la continuité écologique est une politique importante pour l’atteinte du bon état des cours d’eau et pour respecter nos engagements à préserver la biodiversité d’eau douce."
Il n'existe à ce jour aucune démonstration claire d'un lien entre d'une part la présence d'ouvrages sur une rivière, en particulier les ouvrages anciens majoritaires (moulins, forges, etc.), d'autre part le bon état écologique et chimique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau. De nombreuses rivières de têtes de bassin ont des moulins et des étangs, pourtant elles sont aussi classées en bon état ou très bon état au titre de la DCE. De nombreux poissons migrateurs étaient encore présents sur un large linéaire de cours d'eau en 1850, pourtant quasiment tous les ouvrages de moulins et beaucoup d'ouvrages d'étangs en lit mineur étaient déjà là (voir Merg et al 2020). Les causes du déclin du vivant ne sont donc pas là. D'autres rivières ont vu leurs ouvrages disparaître, pourtant elles sont toujours déclassées en état mauvais ou moyen au titre de la DCE, pour d'autres raisons (souvent les pollutions, parfois les altérations hydrologiques). Des travaux de recherche ont par ailleurs montré que des hydrosystèmes artificiels car nés d'ouvrages humains peuvent abriter des espèces menacées d'extinction : le vivant ne se demande pas si une retenue et un bras en eau sont d'origine humaine ou naturelle dès lors qu'il peut s'y installer. La notion de continuité écologique est donc ici avancée comme un principe général de bon état écologique alors que dans la réalité, il convient d'évaluer au cas par cas les fonctionnalités et les biodiversités des cours d'eau et des plans d'eau, mais aussi de se demander quel type de nature nous voulons comme cadre de vie (voir ce dossier complet sur le sujet).
Ce que ne dit pas non plus le ministère : la continuité écologique en long concerne avant tout, depuis 150 ans de législation, quelques espèces de poissons migrateurs. L'intérêt très soutenu pour ces poissons, loin d'être les seules espèces menacées ou les seules espèces d'intérêt pour la société et pour les milieux, s'explique davantage par l'existence d'un public de pêcheurs que par un raisonnement de priorisation écologique. Les demandes sociales sont toutes légitimes, mais le législateur doit comprendre pourquoi on fait beaucoup de choses sur certains sujets et s'interroger sur la proportionnalité de cet engagement. Les budgets de l'écologie ne sont pas extensibles à l'infini, des phénomènes comme la disparition de 80% des zones humides depuis un siècle sont eux aussi très alarmants pour la diversité des milieux et des espèces, ainsi que pour le cycle de l'eau et la recharge locale des nappes. De plus, au sein des poissons migrateurs, certains sont réellement menacés d'extinction et demandent des efforts conséquents de sauvegarde, d'autres sont plus communs et ne devraient pas faire l'objet de mesures disproportionnées (on pense à de nombreux chantiers se justifiant par la truite fario, souvent sans que ce soit autre chose qu'une volonté de maximiser son abondance locale de frayères, en vue de la pêcher in fine, et sans démonstration que la truite a localement reculé du fait des ouvrages que l'on détruit).
"L’importance de cette politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau a été réaffirmée en France par les Assises de l’eau en juin 2019 et le plan biodiversité qui prévoit de restaurer la continuité sur 50 000 km de cours d’eau d’ici à 2030. La stratégie biodiversité 2020 de la Commission européenne en fait également un enjeu majeur, elle inclut un objectif de restauration de 25 000 km de cours d’eau d’ici 2030."
Nous avons ici un cas flagrant de surtransposition française des choix européens: l'Union s'engage à assurer la continuité de 25.000 km en 10 ans sur l'ensemble du territoire européen, la France seule entend le faire sur 50.000 km et sur son seul territoire, en 5 ans (le délai de la loi). C'est un manque de réalisme : l'action publique française est incapable d'avoir les ambitions de ses moyens. Il en résulte la confusion observée, de grandes promesses, de fortes contraintes, mais pas assez de moyens financiers et humains pour les réaliser et les accompagner.
"La mise en œuvre de cette politique sur le terrain est toutefois délicate car elle doit être conciliée avec le déploiement des énergies renouvelables dont fait partie l’hydroélectricité, la préservation du patrimoine culturel et historique, ou encore le maintien d’activités sportives en eaux vives participant au développement de nos territoires."
Le problème de la mise en oeuvre "délicate" de la continuité écologique est très simple : depuis dix ans, la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie a indiqué à son administration (agence de l'eau, DREAL de bassin, DDT-M, office de la biodiversité ex Onema) que la solution privilégiée devait être la destruction des ouvrages. Ce choix, allant très au-delà de ce que dit la loi, vise la "renaturation" (en fait l'idéal de retour de la rivière "sauvage") et il n'est donc pas compatible avec les autres enjeux : hydro-électricité, patrimoine bâti et paysager, maintien de la ressource en eau (effet de retenue et diffusion de l'eau en sol et nappe), maintien des habitats aquatiques et humides d'origine humaine (retenues, biefs) qui forment de nouveaux biotopes depuis longtemps.
Il existe d'autres solutions que la destruction : gestion des vannes, passes à poisson rustiques ou techniques, rivières de contournement. Mais ces solutions, conformes à la loi et conformes aux autres enjeux de l'eau, n'ont pas fait l'objet d'un financement public préférentiel ni d'une instruction administrative favorable. Tant que ce blocage-là persistera, la continuité ne sera pas apaisée. Dès que ce blocage sera levé, dès que l'administration sera donc au service de la préservation des ouvrages dans une logique de modernisation écologique et énergétique, les blocages disparaîtront.
"Par ailleurs, des difficultés persistent, par exemple en terme de financement de certaines solutions techniques d’intervention sur les ouvrages, points sur lesquels le ministère continue de travailler."
Le ministère n'a pas besoin de "travailler" beaucoup : il suffit que ses représentants au sein des agences de bassin, qui sont les primo-rédacteurs des SDAGE, engagent les financements publics à 80-100% dans les solutions douces et non destructrices de continuité. Ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui dans les plus grands bassins (voir cet article), les associations y sont en contentieux contre la "prime à la casse" mise en avant par des fonctionnaires (et quelques lobbies) poursuivant leur propre programme de renaturation non prévue dans la loi.
"Répondant aux objectifs du Gouvernement de simplification administrative, et demandée par les collectivités gestionnaires des cours d’eau et milieux humides, la rubrique 3.3.5.0 relative aux travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques exclusivement soumise à déclaration au titre de la loi sur l’eau, créée par le décret n° 2020-828 du 30 juin 2020, vise principalement à faciliter la réalisation de travaux qui vont dans le sens d’un meilleur fonctionnement des écosystèmes naturels et de l’atteinte des objectifs de la directive cadre sur l’eau. Cette simplification ne met pas en péril le patrimoine et ne remet pas en cause le droit de propriété des riverains (droit à valeur constitutionnelle, qui n’est en rien modifié par les textes précités et demeure préservé par les mêmes dispositions qu’auparavant)."
Le ministère de l'écologie atteint ici un niveau orwellien de manipulation du langage. Le décret scélérat du 30 juin 2020 a pour but explicite de simplifier la destruction du patrimoine hydraulique en en faisant une simple déclaration sans enquête publique ni étude d'impact approfondie. Comment peut-on dire que cela ne "met pas en péril" un patrimoine quand le but affiché est d'accélérer sa disparition?
Des associations dont Hydrauxois ont demandé l'annulation de ce décret au conseil d'Etat, mais aussi de plusieurs autres textes du ministère de l'écologie depuis 2019 qui indiquent tout le contraire de la volonté d'apaisement affichée dans la novlangue ministérielle. Le gouvernement et son administration doivent arrêter de tordre les faits et de travestir les réalités : les citoyens sont désormais bien informés et pointent immédiatement ces manoeuvres.
"Dans la grande majorité des cas, la solution technique trouvée a consisté à aménager l’ouvrage (mise en place d’une passe à poisson, d’une rivière de contournement, abaissement du seuil…), sans qu’il n’y ait suppression du barrage ou du seuil."
En l'état de nos connaissances, cette assertion est mensongère. La seule source publique ayant essayé d'estimer la nature des chantiers de continuité écologique est le rapport d'audit du CGEDD 2016. Dans ce document, les rapporteurs indiquent que les bassins ayant le plus classé de cours d'eau sont aussi ceux où l'on observe le plus grand taux de destruction : 75% en Seine-Normandie, 74% en Artois-Picardie, 58% en Loire-Bretagne, 52% en Rhin-Meuse. Cela ne correspond nullement à la "grande majorité" des chantiers respectant les ouvrages, c'est exactement l'inverse.
Conclusion : les parlementaires sont de nouveaux égarés par la réponse de la ministre de l'écologie préparée par la direction eau et biodiversité. Une administration qui tient de tels discours est une administration dont l'action ne sera pas respectée, ce qui malheureusement n'est pas propre à l'eau en France. Nous appelons les parlementaires à restaurer la rigueur et la sincérité dans l'expression de l'Etat, à jouer pleinement leur rôle de contrôle de l'action publique et à supprimer dans la loi toute ambiguïté sur le désir de préserver le patrimoine hydraulique français. La continuité en long doit désormais être conforme à la diversité des attentes des citoyens et adaptée à tous les besoins de la transition écologique en cours.