Les sénateurs vont examiner à compter de la fin du mois la loi Climat et résilience, qui comporte des dispositions sur l'eau et sur les ouvrages hydrauliques. En particulier, les députés ont décidé de stopper par la loi la destruction des ouvrages de moulin, mais les lobbies et bureaucraties vont essayer d'empêcher cette résistance à leur entreprise de démolition du patrimoine du pays au nom de visions hors-sol sur le retour de la nature sauvage. Lors de l'examen à l'Assemblée nationale, la ministre de l'écologie Barbara Pompili et des rapporteurs ont tenu des propos inexacts à ce sujet. La Coordination nationale eaux et rivières humaines a informé les sénateurs des données réelles du débat: elles sont assez différentes des allégations trompeuses de la bureaucratie eau et biodiversité, qui vit toujours dans le déni de l'échec de la continuité écologique destructrice. Extraits.
Biefs, ruisseaux, déversoirs, étangs se retrouvent à sec après l’application de la continuité écologique destructrice des ouvrages. Il faut éviter ces erreurs dramatiques.
Rappel : conformément à la loi sur l’eau de 2006, les arrêtés préfectoraux de bassin de 2012 et 2013 ont classé en liste 2 (obligation de restaurer une continuité écologique en long) 46 615 km de rivières, soit 10,9% du linéaire total. Ils ont aussi classé en liste 1 (obligation de vigilance sur la continuité écologique) 127 623 km de rivières, soit 29.8% du linéaire total.
La mise en œuvre de la continuité écologique est une politique publique marquée par de nombreux retards, conflits et échecs, comme l’ont reconnu deux rapports d’audit du CGEDD (2011, 2016), mais aussi plusieurs rapports parlementaires (dont, pour le Sénat, le rapport Pointereau 2016). En particulier :
• Classement irréaliste demandant 30 à 50 ans de chantiers au rythme soutenable par l’administration et les propriétaires, alors que le délai légal de mise en conformité est de 5 ans,
• Prime financière (agence de l’eau) et pression réglementaire (DDT-M, OFB) en faveur de la destruction pure et simple des sites ayant engendré des conflits sociaux partout, avec de nombreuses régressions locales de la ressource en eau,
• Diversion de l’argent public sur un sujet périphérique, entraînant des retards importants sur l’atteinte du bon état chimique et écologique des eaux au sens de la DCE (moins de la moitié des masses d’eau en bon état ce jour, risque de pénalités européennes),
• Contradictions avec de nombreuses autres dispositions du droit de l’environnement et du droit de l’énergie, en particulier bien sûr la transition énergétique.
Madame la ministre de l’Ecologie Barbara Pompili et certains rapporteurs ont délivré des informations inexactes et incomplètes lors des débats parlementaires autour de la loi Climat et résilience. Comme les sénateurs sont amenés à en débattre de nouveau, nous nous permettons de les corriger rapidement.
« Il n’y a que 1500 moulins concernés » FAUX.
D’une part, le CGEDD dans son
rapport de 2016 a chiffé à 5811 le nombre de sites dénommés « moulins » en rivière liste 2 (= classées continuité écologique), selon la base ROE de l’administration publique (OFB) ; mais ce chiffre est connu comme
sous-estimé de moitié au moins, car la base ROE comporte de nombreux moulins dénommés par d’autres termes dans ses descripteurs (ne sont pas aujourd’hui comptés comme « moulins » les sites décrits par d’autres noms comme seuils, déversoirs, chutes, foulons, forges, scieries, filatures, etc.). Le chiffre exact de moulins se situe probablement plutôt entre 10 000 et 15 000 pour les rivières classées en liste 2, il faudrait que les services du ministère de la Culture reprennent la base ROE pour préciser la nature patrimoniale de chaque site. D’autre part, le problème ne se limite pas aux moulins : partout en France, des associations, des collectifs et des syndicats défendent aussi des plans d’eau, des étangs, des lacs, des canaux menacés de disparition. Au total, ce sont 20 665 sites ainsi menacés de disparaître en seules rivières de liste 2, sachant de plus que l’administration ne se contente pas d’inciter à détruire seulement sur ces listes 1 ou 2. Le sujet est donc loin d’être anodin, c’est pour cela qu’il soulève une si vaste émotion dans tout le pays.
« On ne détruit pas le bâtiment du moulin, juste l’ouvrage » SOPHISME.
D’une part, un moulin à eau se définit par le fait qu’il a une retenue et un bief en eau, détruire l’ouvrage revient à l’assécher. Ce n’est alors plus un moulin, en particulier il n’a plus de droit d’eau, plus de potentiel énergétique. En outre, le bâti prévu pour être en permanence en eau est fragilisé, voire menacé à terme (rétraction d’argile, pourriture de fondation bois). D’autre part, le problème central n’est justement pas le moulin comme bâtiment, mais bien
l’ouvrage hydraulique qui permet l’existence de milieux (retenues, biefs) et d’usages (entre autres l’énergie, mais aussi des loisirs, des agréments paysagers, du tourisme, etc.). C’est clairement la destruction de l’ouvrage et la disparition locale de l’eau qui sont le point problématique, les échanges ne doivent pas se divertir sur des points accessoires.
« La continuité écologique ne concerne que 11% des rivières » FAUX.
Ce chiffre de 11% des rivières correspond au seul classement en liste 2 au titre de l’article L 214-17 du code de l’environnement. Il cache des réalités très différentes (0,7% des rivières classées en liste 2 en Corse… mais 40,0% en Loire-Bretagne, bassin le plus grand du pays). Ce chiffre omet par ailleurs le classement des rivières en liste 1. Mais surtout et en réalité, la continuité fait partie des dispositions générales du droit de l’environnement (article L 211-1 CE notamment) et les administrations comme les syndicats la mettent désormais en œuvre sur tous les cours d’eau, qu’ils soient classés ou non. De nombreux SAGE et Contrats rivières portent ainsi des programmes de continuité sur des rivières n’étant ni en liste 1 ni en liste 2 de continuité. De nombreux propriétaires envisageant des travaux se voient suggérer automatiquement une mise en œuvre de la continuité. Voilà pourquoi il est indispensable de
spécifier dans le droit la manière dont on entend la restauration de continuité dans le cas des ouvrages hydrauliques. Sans la précision que le destruction du patrimoine, du paysage et des usages ne figure pas dans les options favorisées par les choix publics, nous ne ferons que continuer les conflits déjà observés depuis 10 ans, cela sur 100% et non 11% des rivières. Les acteurs de l’eau ont d’autres urgences à traiter : traitement des pollutions chimiques pour le bon état DCE 2027, traitement des altérations morphologiques du bassin versant (artificialisation, perte de végétation, perte de milieux en eau), équipement bas-carbone des sites pour respecter les engagements climatiques de la France.
« Les ouvrages n’ont que des défauts (réchauffement de l’eau, évaporation, etc.) » CARICATURE.
Quand on veut tuer son chien, on l’accuse évidemment d’avoir la rage… mais encore faut-il un minimum de cohérence et d’honnêteté intellectuelles. Il est étonnant de voir des personnes légitimement inquiètes du changement climatique encourager la destruction et non
l’équipement de sites pouvant produire de l’hydro-électricité (équivalent d’une tranche nucléaire), donc déjà prévenir ce réchauffement avant de devoir s’y adapter. Il est étonnant de voir des personnes qui soutiennent le retour de zones humides (eau stagnante, s’évaporant aussi) ou de méandres (eau plus lente donc plus réchauffée et évaporée en été) affirmer que cela devient soudain un problème grave dans le cas d’un ouvrage humain. Il est étonnant de voir des naturalistes et écologistes se féliciter du retour du castor alors que les
barrages en lit de rivière de cet ingénieur aquatique (très nombreux dès que l’espèce n’est plus chassée) ont les
mêmes effets que les ouvrages modestes des humains (eau plus lente, lit plus large, dépôt de limon, épuration de l’eau, frayères et zones d’habitat diversifié etc.). Inversement, la recherche scientifique a montré que
des plans d’eau ou des canaux peuvent rendre près de 40 services écosystémiques. Ces données sont systématiquement ignorées aujourd’hui au lieu de devenir la base d’une gestion écologique intelligente des ouvrages hydrauliques.
« La continuité écologique est indispensable pour respecter les critères de la directive cadre européenne sur l'eau » FAUX.
La "continuité de la rivière" est mentionnée une seule fois dans une annexe technique (V) de la DCE 2000, ce n'est
en rien un élément décisif du bon état chimique et écologique. La DCE 2000 a prévu que les Etats-membres désignent des masses d'eau fortement modifiées ou artificielles, afin de tenir compte de la réalité des modifications historiques du cycle de l'eau. Toutes les
études scientifiques d'hydro-écologie quantitative parviennent à la conclusion que les premiers prédicteurs d'une dégradation de qualité de l'eau sont d'une part les pollutions, d'autre part les occupations agricoles et urbaines du bassin versant. Rien à voir avec les ouvrages hydrauliques. Les agences de l'eau ont obtenu
des résultats médiocres depuis 2000, avec un peu moins de la moitié des masses d'eau en bon état au sens de la DCE et très peu de progression d'un SDAGE sur l'autre, alors que l'objectif était de 100% en 2027.
« C’est une régression du droit de l’environnement » FAUX.
« C’est un refus de la continuité écologique » FAUX
« Le propriétaire ne pourra plus détruire l’ouvrage s’il le veut », FAUX.
Un propriétaire peut volontairement
abandonner son droit d’eau, qui est alors abrogé par arrêté préfectoral. Il doit en ce cas veiller en concertation avec l’administration à remettre la rivière en état. Il est alors éligible à subvention des agences de l’eau. Cette démarche volontaire est possible partout, avec ou sans classement de continuité écologique, même avec le nouvel amendement 19 C. En revanche, comme de nombreux usages et un nouveau profil de vallée sont apparus avec les ouvrages anciens,
le propriétaire doit veiller au droit des tiers et au respect des milieux s’il détruit son ouvrage. C’est un principe de responsabilité allant avec la liberté. Le propriétaire qui détruit un site est notamment responsable de tous les désagréments pouvant survenir si la ligne d’eau amont est abaissée, le lit incisé, les annexes asséchées, etc. Ces points ne sont justement pas anodins car l’équilibre actuel des vallées et bassins versants tient notamment à leur occupation ancienne.
Extrait de la carte de Cassini (18e siècle), région de Saulieu. Sur cette section représentant une dizaine de kilomètres en largeur, on compte la présence de plus de 20 retenues de moulins et étangs sur des petites rivières de tête de bassin. Beaucoup ont émergé dès le Moyen Âge.
Ces chapelets de plans d’eau fournissaient de l’énergie et de la nourriture (pisciculture), mais ils visaient aussi à prévenir les assecs redoutables pour les humains, leurs cultures et leurs élevages.
L’actuelle diabolisation des ouvrages hydrauliques est ignorante de l’histoire de notre environnement et forme une diversion des enjeux prioritaires.