31/12/2022
24/12/2022
Quelques remarques critiques sur l’accord de Kunming Montréal à la COP 15 de la biodiversité
Un accord international guidant les politiques de biodiversité vient d’être signé au Canada, à l’occasion de la COP 15 de la biodiversité. Quelques analyses critiques sur ces déclarations qui semblent manipuler des concepts détachés des réalités, passer sous le tapis l’autocritique des échecs passés, additionner des directions contradictoires sans méthode ni cohérence.
On appelle COP les «conférences de parties» autour des grands traités environnementaux sur le climat et l’énergie. La COP 15 de la Convention sur la biodiversité biologique vient de s’achever au Canada. Beaucoup ont salué l’accord final de cette COP 15 comme un succès inespéré (téléchargez ici le pdf en français de cet accord dit de Kunming Montréal). D’autres sont davantage sceptiques sur le réalisme de l’accord et sur la capacité à le traduire en actes dans les politiques publiques nationales, d’autant que les objectifs sont seulement indicatifs et non contraignants.
Les objectifs d’Aïchi 2020 n’ont jamais été atteints, sans analyse critique des causes de l’échec
A l’appui des sceptiques, il faut d’abord rappeler que l’accord de Kunming-Montréal signé à la 15e COP en 2022 fait suite à un précédent engagement datant de plus de 10 ans et ayant largement échoué à se réaliser.
La précédente déclaration internationale d’importance pour la biodiversité était les «Objectifs d'Aichi» (au nombre de vingt), qui formait le «Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020», adopté par les parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) en octobre 2010. Or ces objectifs n’ont pas du tout été atteints en 2020.
Quand une politique publique échoue, elle devrait déjà consacrer un exercice sincère et transparent d’analyse des causes de l’échec et de débat sur la capacité ou non à surmonter ces causes. Ce n’est pas vraiment le cas : on voit des déclarations succéder à des déclarations sans explication sur les échecs passés ni les capacités d’assurer les réussites futures. C'est démobilisateur car on entretient un effet «langue de bois» où les mots perdent leur sens et les élites leur crédibilité.
Nous avons déjà vécu le même phénomène avec le climat, sujet traité de manière plus pressante que la biodiversité : les COP se succèdent avec des promesses toujours plus fortes, mais après un quart de siècle de ces COP, l’énergie fossile représente toujours 80% de l’énergie finale consommée par les humains et des records d’émission de CO2 sont toujours battus. Le fossé entre les déclarations et les actes finit par entraîner une radicalisation d'une partie de la population, ainsi que des difficultés pour les gouvernants faisant des promesses qu'ils ne savent pas matériellement tenir.
Les causes identifiées de perturbation de la biodiversité exigeraient une décroissance rapide du volume de l’économie
La déclaration de Kunming-Montréal de 2022 énonce en liminaire : «Les facteurs directs de changement dans la nature ayant le plus d'impact au niveau mondial sont (en commençant par ceux qui ont le plus d'impact) les changements dans l'utilisation des terres et de la mer, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et l'invasion d'espèces exotiques.»
C’est un reflet de ce que dit la littérature scientifique, mais cette énumération concerne en fait l’ensemble des activités humaines d’extraction, production et échange. Ce n'est pas exactement un détail...
Il n’existe pas d’économie en croissance ou en développement sans usage d’énergie, de matières premières, donc de surface maritime ou continentale. C’est bien l’activité économique (plus ou moins couplée à des demandes sociales) qui conduit à utiliser des terres et des mers, à exploiter des ressources naturelles dont des espèces sauvages, à changer le climat par usage d’énergie fossile et déforestation, à émettre des pollutions diverses et, involontairement, à permettre à des espèces exotiques de franchir des barrières naturelles pour s’installer dans de nouveaux milieux. Le cadre de Kunming-Montréal ne remet pas en cause ce développement humain : «Reconnaissant la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement de 1986, le cadre permet un développement socio-économique responsable et durable qui, en même temps, contribue à la conservation et à l'utilisation durable de la biodiversité.»
Or, dans un contexte de hausse démographique attendue jusqu’en 2050 au moins, voire 2100, et alors que les trois-quarts des humains n’ont pas atteint le niveau de vie moyen des pays déjà développés, aucune «recette» n’est donné pour rendre réellement compatible l’économie et l’écologie, la transformation de la nature pour créer des richesses et la protection de la nature pour préserver sa biodiversité. Les propositions qui sont faites (protéger des importantes quantités de surface et y interdire les perturbations, réduire l’usage de pesticides et de nutriments, revenir à une exploitation bien plus raisonnable des espèces sauvages, etc.) sont plutôt dépressives pour l’économie si elles sont appliquées sérieusement du point de vue de l’écologie. Mais sans l’assumer : mauvaise habitude d’additionner des choses contradictoires en fuyant l’affrontement intellectuel avec les contradictions. On peut penser que cet évitement des sujets qui fâchent est à l’origine de l’échec des objectifs d’Aichi et risque de mener à la même issue pour les objectifs de Kunming-Montréal.
Nous rappelons ci-dessous quelques-unes des courbes de l’Anthropocène dans la publication de Steffen 2015 que nous avions recensée. Il faudrait que presque toutes ces courbes connaissent une nette inflexion vers le bas au cours de la présente décennie. Est-ce crédible? Est-ce réaliste?
Des concepts à foison, sujets à interprétations et conflits
Un autre point ambigu concerne les concepts utilisés dans l’accord. Ainsi il est dit que «l'intégrité, la connectivité et la résilience de tous les écosystèmes sont maintenues, améliorées ou restaurées, ce qui accroît considérablement la superficie des écosystèmes naturels d'ici à 2050». Ou bien encore : «La biodiversité est utilisée et gérée de manière durable et les contributions de la nature aux populations, y compris les fonctions et les services des écosystèmes, sont valorisées, maintenues et renforcées, et celles qui sont en déclin sont restaurées, ce qui favorise la réalisation du développement durable, au profit des générations actuelles et futures d’ici à 2050.»
Il est un peu inquiétant qu’un texte juridique, censé être sobre en mots et clair en intentions, se permette une telle profusion de concepts. La notion d’intégrité date plutôt de l’écologie des années 1970-1980, elle est moins usitée aujourd’hui car les écosystèmes sont dynamiques et on doit éviter l’illusion que leurs espèces et populations sont stables dans le temps – en particulier à l’Anthropocène où les forces de changement impulsées par la société industrielle vont continuer à exercer leurs effets à différents échelles de temps et d’espace. Les fonctions et services liés aux écosystèmes peuvent donner lieu à des interprétations diverses, en particulier s’ils s’opposent à l’idée d’une «valeur intrinsèque» de la nature et permettent des exploitations ayant des effets perturbateurs malgré tout.
L’accord admet aussi un pluralisme des visions de «la nature» – ce qui en soi une bonne chose car on ne voit pas pourquoi un concept aussi lourd que «la nature» ferait d’objet d’un discours mono-interprétatif chez les humains, fut-ce un discours scientifique –, mais l’accord ne fixe pas les conditions d’exercice de ce pluralisme : «La nature incarne différents concepts pour différentes personnes, notamment la biodiversité, les écosystèmes, la Terre nourricière et les systèmes de vie. Les contributions de la nature aux personnes incarnent également différents concepts, tels que les biens et services des écosystèmes et les dons de la nature.» Comment s’articulent le débat démocratique et la conservation écologique ? Comment passe-t-on du discours (technique, scientifique) des faits naturels aux échanges (philosophiques, politiques, symboliques, existentiels) sur les interprétations et valeurs attachées aux faits naturels? Comment évite-t-on dans les sociétés occidentales et parfois ailleurs l’actuel «scientisme» ou «technocratisme» où la politique de biodiversité semble se résumer à l’avis d’experts sur la biodiversité au lieu que cet avis ne soit qu’un des éléments du débat ? Même pour les discours d’expertise, comment améliore-t-on le manque énorme de données locales et de modèles du vivant, alors que la biodiversité (contrairement au climat) est toujours le fait de choix contextuels et contingents, concernant des lieux précis dans des dynamiques précises?
30% d'espaces protégés en 2030.... faire presque autant en dix ans qu'on en a fait en demi-siècle?
Dans les ambiguïtés, la mesure phrase de protection de 30% des milieux ne dit pas comment ces milieux doivent être gérés bien que soient mentionnés leur «utilisation durable» et les «droits … des communautés locales» : «Faire en sorte et permettre que, d'ici à 2030, au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, en particulier les zones revêtant une importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient effectivement conservées et gérées par le biais de systèmes d'aires protégées écologiquement représentatifs, bien reliés et gérés de manière équitable, et d'autres mesures efficaces de conservation par zone, en reconnaissant les territoires autochtones et traditionnels, le cas échéant, et intégrés dans des paysages terrestres, marins et océaniques plus vastes, tout en veillant à ce que toute utilisation durable, le cas échéant dans ces zones, soit pleinement compatible avec les résultats de la conservation, en reconnaissant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnels.»
Les expériences en écologie de la conservation (ou de la restauration) montrent de fréquents conflits sociaux entre les aspirations des populations locales et les injonctions propres à la gestion de biodiversité souvent décidées par des expertises éloignées du territoire (voir Blanc 2020). En excès inverse, certains parcs naturels offrent des "protections de papier" que ne protègent pas grand chose (même avec cette légèreté, il a fallu 60 ans pour passer de 2 à 17% des zones officiellement protégées, ce qui rend douteux de passer de 17 à 30% en quelques années).
En outre, la restauration écologique de milieux dégradés reste une discipline expérimentale, qui coûte rapidement de l’argent si un foncier important est concerné, qui n’a pas toujours de bons retours d’expérience, qui manque le plus souvent de données et de modèles pour être sûre de sa compréhension des écosystèmes locaux, qui n’est pas encore mûre pour devenir une pratique banale à résultats garantis sans mauvaises surprises et sur de larges surfaces. Etendre tout cela (conservation et restauration) à 30% des espaces en 10 ans paraît bien trop optimiste. Et la biodiversité ordinaire des 70% d’espaces restant n’a pas vraiment de guide dans ce schéma.
Conclusion
Face au risque élevé d’extinction d’espèces et de perte de services écosystémiques utiles, il est normal que la biodiversité figure dans les politiques publiques – ce qui était déjà le cas (timidement) sous le nom de "protection de la nature" au 20e siècle. Mais le sujet est trop confiné dans des cercles spécialisés, pas assez confronté à diverses contradictions avec notre système de production, pas assez ouvert au débat démocratique sur les natures que désirent en dernier ressort les citoyens.
20/12/2022
L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe
Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.
18/12/2022
Les pesticides sous-évalués dans la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau (Weisner et al 2022)
En échantillonnant des cours d’eau de zones agricoles, des chercheurs montrent que la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau minore largement la pollution des rivières par les pesticides. Ils proposent de changer les méthodologies pour avoir une mesure plus juste du poids des toxiques dans les impacts aquatiques. Leur étude est allemande, mais les mêmes problèmes se posent en France et dans les autres Etats-membres. Alors que toutes les analyses en hydro-écologie quantitative ont montré que les pollutions et les usages des sols du bassin versant sont les deux premiers prédicteurs de mauvaise qualité écologique d’une masse d’eau, trop de gestionnaires publics divertissent l’attention sur des sujets très secondaires.
La directive cadre européenne sur l’eau 2000 a exigé de tous les Etats-membres une analyse par indicateur de la qualité chimique et écologique des cours d’eau, des plans d’eau, des estuaires et des nappes. Mais encore faut-il que les indicateurs soient corrects. Oliver Weisner et huit collègues viennent de montrer que l’analyse de la présence des pesticides dans l’eau est défaillante.
Voici le résumé de leur étude
« La directive-cadre sur l'eau (DCE) exige qu'un bon état soit atteint pour toutes les masses d'eau européennes. Alors que la surveillance gouvernementale dans le cadre de la DCE conclut principalement à un bon état de la pollution par les pesticides, de nombreuses études scientifiques ont démontré des impacts écologiques négatifs généralisés de l'exposition aux pesticides dans les eaux de surface.
Pour identifier les raisons de cet écart, nous avons analysé les concentrations de pesticides mesurées lors d'une campagne de surveillance de 91 cours d'eau agricoles en 2018 et 2019 en utilisant des méthodologies qui dépassent les exigences de la DCE. Cela comprenait une stratégie d'échantillonnage qui prend en compte l'occurrence périodique des pesticides et un spectre d'analytes différent conçu pour refléter l'utilisation actuelle des pesticides. Nous avons constaté que les concentrations acceptables réglementaires (RAC) étaient dépassées pour 39 pesticides différents dans 81 % des sites de surveillance. En comparaison, la surveillance conforme à la DCE des mêmes sites n'aurait détecté que onze pesticides comme dépassant les normes de qualité environnementale (NQE) basées sur la DCE sur 35 % des sites de surveillance.
Nous suggérons trois raisons pour cette sous-estimation du risque lié aux pesticides dans le cadre de la surveillance conforme à la DCE :
(1) L'approche d'échantillonnage - le moment et la sélection du site sont incapables de saisir de manière adéquate l'occurrence périodique des pesticides et d'enquêter sur les eaux de surface particulièrement sensibles aux risques liés aux pesticides ;
(2) la méthode de mesure - un spectre d'analytes trop étroit (6 % des pesticides actuellement autorisés en Allemagne) et des capacités analytiques insuffisantes font oublier des facteurs de risque;
(3) la méthode d'évaluation des concentrations mesurées - la niveau de protection et la disponibilité de seuils réglementaires ne suffisent pas à assurer un bon état écologique.
Nous proposons donc des améliorations pratiques et juridiques pour améliorer la stratégie de surveillance et d'évaluation de la DCE afin d'obtenir une image plus réaliste de la pollution des eaux de surface par les pesticides. Cela permettra une identification plus rapide des facteurs de risque et des mesures de gestion des risques appropriées pour améliorer à terme l'état des eaux de surface européennes. »
Discussion
Le problème pointé ici en Allemagne est répandu dans toute l’Europe (voir nos articles sur les pollutions par pesticides). Les chercheurs admettent qu’il circule bien davantage de substances toxiques que celles «officiellement» et occasionnellement mesurées sur les points de contrôle de la DCE. Le problème ne concerne d’ailleurs pas que les pesticides (par exemple les microplastiques et les médicaments sont mal cernés), ni que l’eau (les sédiments sont aussi contaminés).
Cette sous-estimation pose un problème évident dans la construction des politiques publiques. L’objectif de bonne qualité écologique de l’eau suppose que l’on mesure et pondère correctement ce qui affecte la vie aquatique. Or, si un facteur connu comme nuisible au vivant est ignoré ou minimisé, cela fausse les analyses, les conclusions et les orientations d’action. Aujourd’hui, les études d’hydro-écologie quantitative comparent l'état de nombreuses rivières en fonction des impact connus de leur bassin versant, afin de hiérarchiser ces impacts et de définir les plus délétères. La pollution chimique y est souvent estimée à partir des marqueurs nitrates et phosphates, faute de données suffisantes sur d’autres substances. Même avec cette limitation, ces études concluent déjà que la pollution est (avec l’usage des sols du bassin versant) le premier prédicteur de dégradation écologique. D’autres causes qui sont souvent mises en avant par des gestionnaires publics (comme la morphologie et, en particulier, les ouvrages hydrauliques) n’ont qu’un poids faible sur les différences écologiques entre masses d’eau, au moins telles que les mesure la DCE.
Référence : Weisner O et al (2022), Three reasons why the Water Framework Directive (WFD) fails to identify pesticide risks, Water Research, 208, 117848
16/12/2022
La LPO ne laissera pas assécher l'étang du Pont de Kerlouan au nom de la continuité écologique
Le dogme de la continuité écologique des rivières conduit partout en France à assécher des étangs, des plans d'eau, des canaux et leurs marges humides, au nom du retour à une hypothétique "naturalité". Mais dans les faits, cela concerne des milieux en place depuis des décennies à des siècles, ayant été colonisés par le vivant et présentant parfois de l'intérêt pour la faune et la flore. En Bretagne, la tentative de destruction de l'étang du Pont de Kerlouan vient de rencontrer l'opposition de l'antenne locale de la LPO, qui souligne la présence de 112 espèces d'oiseaux dont 57 patrimoniales et 36 protégées. Le bureau d'études en charge de certifier l'intérêt du projet pour la biodiversité n'avait curieusement rien vu... Mais pour un site étudié par des amoureux des oiseaux, combien d'autres plus modestes ont été négligés et condamnés au terme d'une instruction bâclée et à charge?
Depuis quelques années, un projet d'imposition de la continuité écologique est porté sur le ruisseau du Quillimadec, à hauteur de l'étang du Pont sur la commune de Kerlouan, malgré l'avis négatif de nombreux riverains attachés au site (voir cet article de 2021 et la pétition des citoyens).
Aujourd'hui, les protecteurs de l'étang et de ses marges humides viennent de trouver un allié de poids : la ligue de protection des oiseaux.
Nous publions ci-après un extrait de la lettre de la LPO à la Communauté Lesneven Côtes des Légendes, porteur du projet.
"Datant probablement du 19ème siècle, l'étang du Pont a été créé sur le cours d'eau du Quillimadec. Les ouvrages hydrauliques situés en aval de l'étang, liés à l'histoire du site et l'activité meunière, entravent aujourd'hui la libre circulation des poissons et des sédiments. Identifié comme cours d'eau à intérêt pour les grands migrateurs, l'enjeu actuel imposé par la DCE1 est de rétablir la continuité écologique du Quillimadec. Le bureau d'études SINBIO, missionné sur ce dossier a rendu son rapport et présenté 5 scénarios et ses variantes pour répondre à l'enjeu précité. La majorité des acteurs consultés se sont positionnés en faveur du scénario 1 présenté par le bureau d'études SINBIO, soit l'effacement de l'étang et le reméandrage du cours d'eau ; choix validé par les élus communautaires en octobre 2021 d'après la presse.
Il s'avère en effet que dans de nombreux cas d'étangs sur cours d'eau, ce choix technique est pertinent pour de multiples raisons que la LPO Bretagne partage. Cependant dans le cas de l'étang du Pont, il nous apparaît que les conséquences de ce scénario sur la biodiversité n'ont pas été correctement évaluées. Nous faisons en effet le constat que le dossier ne prend pas suffisamment en compte les implications du projet sur les milieux naturels impactés et sur l'ensemble des espèces présentes. Or, le site concentre de forts enjeux pour l'avifaune nicheuse et migratrice, qui semblent avoir été totalement oubliés.
Les études naturalistes réalisées par Bretagne Vivante ont ainsi démontré que le site de l'Étang du Pont est un « site original et attractif en l'état pour les oiseaux». Sur la période 2019-2020, 112 espèces d'oiseaux ont été recensées sur le site dont 57 patrimoniales ou indicatrices et 36 autres intégralement protégées.
Il est donc absolument nécessaire que le projet intègre à sa réflexion les enjeux liés à l'avifaune nicheuse, laquelle comporte notamment un cortège très spécifique d'oiseaux paludicoles, présentant des enjeux de conservation (espèces inféodées aux étendues de roselières, cariçaies, mégaphorbiaies), mais aussi les enjeux liés à l'avifaune migratrice et hivernante, très riche et originale sur le site, et qui exploite les surfaces de vasière et d'eaux peu profondes.
La restauration du lit naturel du cours d'eau, telle que prévue, bouleverserait les habitats naturels en place, et de fait, les cortèges faunistiques associés. Ce phénomène n'est pas décrit dans le dossier.
Par ailleurs, il est constaté que le projet d'effacement de l'étang s'accompagne de la création de mares, qui vise à recréer des niches écologiques intéressantes. Cependant, cette mesure conduirait à un fractionnement des habitats naturels dont dépendent des espèces à enjeux de conservation aujourd'hui présentes. Certaines de ces espèces à enjeux de conservation ne se reporteront pas sur les espaces humides plus petits et moins homogènes que sont les mares. Par ailleurs la pérennité de ces mares n'est pas garantie, elles seront très vite colonisées par le saule et naturellement comblées en quelques années. La création de mares ne compenserait donc pas les habitats humides en place aujourd'hui, et conduirait à un appauvrissement et à une banalisation du milieu naturel.
On ne peut donc pas résumer le scénario 1 à « un gain de biodiversité », comme cela est présenté actuellement, car il convient de bien considérer la perte des habitats occasionnée pour de nombreuses espèces protégées. La LPO Bretagne craint donc au contraire que ce projet, en l'état, soit facteur d'une baisse notable de biodiversité sur le site.
Il est en outre à noter que lors d'échanges que nous avons partagés avec des riverains, il semble rait que toutes les pistes n'aient pas été explorées à ce jour: la restauration du lit mineur, l'existence d'une échelle à poissons à réhabiliter, la piste d'entretien de l'étang par pompage dans un puits à sédiments avant l'exutoire, etc..
C'est pourquoi, au regard des éléments énoncés en substance, la LPO Bretagne demande à relancer le débat avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une issue technique qui n'oppose surtout pas la faune piscicole et l'équilibre de la rivière à l'avifaune. Elle alerte par ailleurs le porteur de projet et les autorités sur la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées dans l'hypothèse où le scénario 1 serait mis en œuvre et de présenter le cas échéant des mesures d'évitement, de réduction et/ou de compensation."
Commentaire
Le déni de l'intérêt des milieux aquatiques et humides créés par les ouvrages hydrauliques est un véritable scandale public, qui a déjà abouti à la disparition de milliers de sites dans la plus grande indifférence des services officiels de la biodiversité.
Partout en France, on a détruit et asséché des retenues, de plans d'eau, des canaux, parfois vieux de plusieurs siècles, sans aucune étude sérieuse de leur biodiversité aquatique et terrestre. Tout cela au nom de deux dogmes qui dominent trop souvent les instructions : un milieu artificiel ne peut pas être intéressant par principe (position de nombreux agents instructeurs de l'OFB et de techniciens de syndicats de rivière); l'enjeu essentiel est censé être le retour à des rivières lotiques pour des poissons de milieux lotiques (position de diverses fédérations de pêche qui prétendent monopoliser la définition des milieux d'intérêt, en particulier en zone salmonicole).
Nous avons maintes fois alerté les services de l'Etat, diffusé des dossiers montrant que des chercheurs soulignent la nécessité d'étudier la faune et la flore des habitats anthropiques avant d'intervenir. En vain dans la plupart des cas. Notre association est toujours en contentieux concernant la destruction de l'étang de Bussières, en Bourgogne, malgré l'intérêt de ses habitats et la présence d'espèces patrimoniales.
Désormais et fort heureusement, le conseil d'Etat a rétabli la nécessité de l'étude d'impact et de l'enquête publique avec d'imposer des solutions perturbant un site. Nous appelons évidemment tous les citoyens à recenser l'ensemble des services écosystémiques associés aux plans d'eu et canaux, ainsi qu'à inventorier leur faune et leur flore pour répondre au déni des services instructeurs et de certains lobbies.
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