01/03/2022

Sécuriser eau, énergie, ressources face à la crise climatique

Le 6e rapport du GIEC vient de publier son volet consacré aux impacts, vulnérabilités et adaptations en lien au changement climatique. Les scientifiques soulignent avec gravité la montée des risques en raison du changement du cycle de l’eau et de la multiplication des événements extrêmes. Le résumé pour décideurs de ce rapport du GIEC cite expressément l’hydro-électricité à petite échelle en système décentralisé d’énergie comme l’une des solutions à promouvoir. Nous attendons donc des décideurs français que la politique de l’eau et de l’énergie soit redéfinie à la hauteur des vraies priorités pour notre pays. 


Assec et mortalité piscicole sur le bassin Ource, en Bourgogne.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier son rapport sur les impacts, les vulnérabilités et l’adaptation à la crise climatique. Il a été rédigé par 270 scientifiques du monde entier à partir de l’analyse de 34 000 études. Par rapport au précédent travail comparable, qui datait de 2014, le GIEC confirme l’ampleur des adversités et des risques liés au changement climatique. Outre la montée des eaux due à la fonte des pôles et glaciers, ce sont les événements extrêmes qui présentent des risques majeurs : sécheresses, canicules, crues, tempêtes, cyclones, incendies, avec des effets négatifs sur la santé, l’agriculture, l’industrie. Le climat entraîne aussi une modification très rapide de l’ensemble des écosystèmes, avec la disparition probable de certains d’entre eux comme les récifs coraliens. 


Source Le Monde, droits réservés.

Concernant l’eau en particulier, le GIEC écrit :
« Les risques liés à la disponibilité physique de l'eau et les dangers liés à l'eau continueront d'augmenter à moyen et à long terme dans toutes les régions évaluées, avec un risque accru à des niveaux de réchauffement planétaire plus élevés (degré de confiance élevé). Avec un réchauffement climatique d'environ 2 °C, la disponibilité de l'eau de fonte des neiges pour l'irrigation devrait diminuer jusqu'à 20 % dans certains bassins fluviaux dépendants de la fonte des neiges, et la perte de masse glaciaire mondiale de 18 ± 13 % devrait diminuer la disponibilité de l'eau pour l'agriculture, l'hydroélectricité, et les établissements humains à moyen et à long terme, ces changements devant doubler avec un réchauffement climatique de 4°C (degré de confiance moyen). Dans les petites îles, la disponibilité des eaux souterraines est menacée par le changement climatique (degré de confiance élevé). Les changements de l'ampleur, du moment et des extrêmes associés au débit fluvial devraient avoir un impact négatif sur les écosystèmes d'eau douce dans de nombreux bassins versants à moyen et à long terme dans tous les scénarios évalués (degré de confiance moyen). Les augmentations projetées des dommages directs causés par les inondations sont supérieures de 1,4 à 2 fois à 2 °C et de 2,5 à 3,9 fois à 3 °C par rapport à un réchauffement climatique de 1,5 °C sans adaptation (confiance moyenne). Avec un réchauffement climatique de 4 °C, environ 10 % de la superficie terrestre mondiale devrait faire face à des augmentations des débits fluviaux extrêmes (à la fois élevés et faibles) au même endroit, avec des implications pour la planification de tous les secteurs d'utilisation de l'eau (confiance moyenne). Les défis de la gestion de l'eau seront exacerbés à court, moyen et long terme, en fonction de l'ampleur, du rythme et des détails régionaux du changement climatique futur et seront particulièrement difficiles pour les régions dont les ressources en matière de gestion de l'eau sont limitées (degré de confiance élevé). »
On notera que dans le chapitre des transitions nécessaires, le résumé pour décideurs du GIEC confirme l’urgence de développer des systèmes d’énergie bas-carbone, et cite en particulier dans sa synthèse l’hydro-électricité à petite échelle :
« Dans les transitions des systèmes énergétiques, les options d'adaptation les plus réalisables soutiennent la résilience des infrastructures, des systèmes électriques fiables et une utilisation efficace de l'eau pour les systèmes de production d'énergie existants et nouveaux (degré de confiance très élevé). La diversification de la production d'énergie, y compris avec des ressources énergétiques renouvelables et une production pouvant être décentralisée en fonction du contexte (par exemple, éolien, solaire, hydroélectricité à petite échelle) et la gestion de la demande (par exemple, stockage et améliorations de l'efficacité énergétique) peuvent réduire les vulnérabilités au changement climatique, en particulier dans les populations rurales (confiance élevée). Les adaptations pour la production d'énergie hydroélectrique et thermoélectrique sont efficaces dans la plupart des régions jusqu'à 1,5 °C à 2 °C, avec une efficacité décroissante à des niveaux de réchauffement plus élevés (confiance moyenne). Les marchés de l'énergie réactifs au climat, les normes de conception actualisées des actifs énergétiques en fonction du changement climatique actuel et projeté, les technologies de réseau intelligent, les systèmes de transmission robustes et l'amélioration de la capacité à répondre aux déficits d'approvisionnement ont une faisabilité élevée à moyen et long terme, avec des co-bénéfices liées aux mesures d'atténuation - (confiance très élevée). »

Tous les risques du climat seront donc aggravés si nous continuons à laisser les températures monter sans frein, c’est-à-dire si nous continuons émettre des gaz à effet de serre au lieu d’engager une transition rapide pour se passer d’énergie fossile. Même dans cette hypothèse d’une transition rapide, en raison de l'inertie du système climatique océan-atmosphère, des effets négatifs se feront encore sentir pendant des décennies sinon des siècles, de sorte que la gestion des milieux doit désormais intégrer ce paramètre d'adaptation climatique comme une priorité et une constante de long terme. 

Les travaux du GIEC appellent une politique publique dédiée à la sécurisation de l’eau, de l’énergie et des ressources sur tous les territoires. La politique de l’eau en France est malheureusement très éloignée de cet impératif, car elle a hélas! été confiée à des personnes n’ayant pas le climat et l’énergie en tête de leur agenda. Cela doit changer. Vite. Toutes les mesures nuisibles à la rétention d’eau, à la recharge de nappes et aquifères, à la préservation de milieux aquatiques ou humide d'origine naturelle ou anthropique, au développement des énergies bas-carbone doivent désormais être retirées du droit français, et par conséquence des planifications de l’Etat, des collectivités territoriales et des agences de l’eau. Le mouvement des ouvrages hydrauliques a parfaitement conscience de cette urgence, car il voit la rapidité des changements au bord des rivières, des canaux, des plans d'eau : nous devons être à la pointe de cette exigence et de cette prise de conscience des élus, cela dès la prochaine législature en juin prochain. 

A lire : GIEC / IPCC (2022), Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability, Sixth Assessment Report 

28/02/2022

Evolution des poissons de la Meuse depuis 20 ans (Benitez et al 2022)

Une analyse sur l’évolution des poissons de la Meuse au droit d’une passe à poissons et pendant 20 années montre une hausse de trois espèces de salmonidés ou rhéophiles (truite, saumon, spirlin), de trois espèces exotiques au bassin (aspe, gobie, silure) et une baisse de dix espèces communes ou d’eaux calmes  (brème, brème bordelière, gardon, rotengle, carpe, tanche, goujon, perche, ablette, anguille). Ce qui pose question sur les politiques de peuplement piscicole et les objectifs de ces politiques. 


Le site étudié par les chercheurs, extrait de Benitez et al 2022, art cit.

La Meuse draine un bassin versant de 36 000 km2. La partie aval du fleuve en Belgique a un débit annuel moyen de 400 m3/s et est classée comme "zone à brèmes" (eaux calmes d'aval). Des chercheurs ont mené une étude sur l’évolution des espèces de poissons au droit  du premier barrage de la partie belge de la Meuse sis à Lixhe, à 323 km en amont de la mer du Nord. Construit en 1980, ce  barrage mesure 8 m de haut. Il a été édifié pour permettre  la navigation et produire de l'hydroélectricité. Le barrage a été équipé de deux passes à poissons.

Voici un résumé de leur travail. 
« Une rivière est un écosystème où la faune piscicole représente un important élément structurant. Pour rétablir la connectivité, il est impératif de permettre les déplacements entre les habitats fonctionnels. En raison de la complexité hydromorphologique des grands cours d'eau anthropisés et du manque de techniques d'étude utilisables dans de tels milieux, les données pertinentes concernant l'écologie des poissons sont rares. 
Sur la Meuse, en Belgique, à 323 km en amont de la mer du Nord, le barrage hydroélectrique de Lixhe est équipé de deux passes à poissons. Les deux ont été surveillés en continu à l'aide de pièges de capture pendant 20 années consécutives (de 1999 à 2018), ce qui représente 4151 événements de surveillance. Les objectifs de la présente étude étaient de décrire l'abondance globale et les indicateurs de déplacement d'espèces de poissons potamodromes principalement holobiotiques et d'analyser leur évolution temporelle. 
Nous avons capturé 388 631 individus (n = 35 espèces de poissons) au cours des 20 années de surveillance de la passe à poissons ; 22,7 % étaient des adultes (dont > 75 % étaient des cyprinidés) et 83,3 % des juvéniles (> 90 % des cyprinidés). 
De 1999 à 2018, les résultats ont montré une réduction drastique des captures annuelles pour certaines espèces indigènes ainsi que l'émergence apparente d'espèces non indigènes (par exemple, Silurus glanis) et réintroduites (par exemple, Salmo salar). Les périodicités annuelles de capture associées aux facteurs environnementaux étaient clairement définies et étaient principalement liées à la migration de frai printanier du stade adulte. 
Ce suivi à long terme a montré comment les passes à poissons sont utilisées par l'ensemble de la communauté piscicole et a permis de mieux comprendre l'écologie de leurs déplacements dans un grand fleuve anthropisé de plaine. L'apparition d'espèces non indigènes et la baisse drastique de l'abondance de certains poissons européens communs et répandus devraient inciter les gestionnaires de rivières à adopter des mesures de conservation. »

Les graphiques ci-dessous (cliquer pour agrandir) montrent la tendance des individus adultes sur la période 1999-2018, le signe (+) indique une tendance croissante, le signe (-) une tendance décroissante, le signe (*) un caractère statistiquement significatif (*p <0.05, **p <0.01, ***p<0.001).


On observe donc dans ce graphique, et pour les résultats significatifs, une tendance à la hausse de deux salmonidés (truite, saumon), d’un rhéophile (spirlin) et de trois exotiques (aspe, gobie, silure), une tendance à la baisse de neuf espèces communes et/ou limnophiles (brème, brème bordelière, gardon, rotengle, carpe, tanche, goujon, perche, ablette) ainsi que d’un migrateur (anguille).

Discussion
Les analyses faites sur la Meuse sont contemporaines de la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau 2000, un train de réformes visant à améliorer l’état chimique, physique et biologique de l’eau, ainsi que sa connectivité. On ne peut pas dire que les mesures des chercheurs à Lixhe sont encourageantes. Pour quelques espèces endémiques montrant une amélioration – surtout deux salmonidés –, de nombreuses autres sont en régression et les espèces exotiques s’installent sur le cours d’eau. L’arrivée de ces espèces exotiques signalent aussi que la connectivité à l’Anthropocène ne sera pas le retour à un état de référence des rivières du temps passé, mais plus probablement une évolution vers de nouveaux peuplements et de nouveaux assemblages biologiques. Ce qui pose question quand le gestionnaire parle de "restaurer la nature" pour justifier son action. Car restaurer signifie revenir à un état ancien, mais ce n'est pas le cas. 

27/02/2022

En France, les enfants gâtés détruisent les infrastructures hydrauliques du pays

En cette période sombre de retour de la guerre en Europe et de risque majeur sur notre sécurité énergétique, un riverain défenseur des barrages de la Sélune lance un cri du coeur qui parlera sans doute aux anciennes générations. Sur cette rivière normande, l'Etat français détruit des barrages de production électrique bas carbone et des lacs de réserve d'eau bâtis par nos aînés. Partout dans le pays, une administration de l'eau et des lobbies intégristes à la dérive ont commis le crime de détruire le patrimoine hydraulique et le potentiel de production hydro-électrique du pays, cela alors même que notre génération a l'immense défi de se passer de l'énergie fossile et de s'adapter au changement climatique. Nous demanderons à la prochaine législature que de tels actes de destruction soient désormais interdits sur la totalité du territoire et pour l'ensemble des ouvrages hydrauliques. 


Barrage et lac EDF détruits sur la Sélune par l'Etat, pour le retour de quelques saumons à la demande du lobby pêche. Des pratiques qui doivent disparaître de notre droit, de nos administrations, de nos financements publics.

Une auto-mutilation au plus mauvais moment

Nos parents ont souffert de leurs conditions de travail et des guerres. Ils en ont acquis la sagesse d’agir en pensant toujours à l’avenir.

C'est avec ce souci en tête, qu'ils ont construit les barrages de la Sélune, afin d'apporter à leurs enfants un confort de vie qu’ils n’ont pas eu.

En guise de remerciement, leur descendance trop gâtée vient « d'euthanasier » sans aucun respect, le fruit de leur dur labeur.

Au moment de passer à l’acte, la mise en garde de la population a été négligée. Très vite nous allons tous regretter encore plus amèrement l’inconséquence de nos dirigeants qui ont laissé détruire, et même précipiter, sans raison majeure, la destruction de ce patrimoine légué par nos sages anciens.

Ces ouvrages constituaient un véritable rempart de survie à plus d'un titre et encore plus aujourd’hui, face à la grave pénurie d’énergie mondiale qui s’annonce.

Louis Gontier

23/02/2022

Quand riverains et usagers des canaux résistent à la normalisation administrative de la nature (Collard et al 2021)

Les béals sont des canaux gravitaires d'irrigation traditionnelle en Cévennes, avec un seuil qui détourne la rivière vers de multiples parcelles. Une sociologue et deux géographes ont analysé la mise en oeuvre des nouvelles normes administratives en écologie aquatique, issues des lois françaises et de la directive européenne sur l'eau. Les chercheurs relèvent des différences de perception de la nature chez les acteurs, ainsi qu'une difficulté à mettre en adéquation des propos théoriques sur le fonctionnement idéal de cette nature avec la réalité complexe des nouveaux écosystèmes issus des usages humains.


Aquarelles originales : Nicolas De Faver, Source : Livret "Béals et pesquiers dans la vallée du Gijou", ATASEA


Anne-Laure Collard, François Molle et Anne Rivière-Honegger (université Montpellier, CNRS, IRD, ENS Lyon) ont analysé la mise en oeuvre des nouvelles normes sur l'eau (directive européenne 2000, lois de 1992, 2006) dans les canaux d’irrigation gravitaire anciens de la Haute Vallée de la Cèze, en Cévennes gardoises. Ces canaux y sont appelés béals et maillent historiquement le territoire de moyenne montagne.

L'imposition d'une règlementation administrative se fait par des outils de gestion qui comportent des volets d'obligations et de préconisations : classement en Zone de Répartition des Eaux (ZRE), nécessité d'un Plan de Gestion de la Ressource en Eau (PGRE). L'argument est celui de la "modernisation" imposée aux associations d’irrigants (ASA, établissements réunissant des propriétaires privés sous tutelle du préfet) ou à des particuliers. Mais cette évolution ne se passe pas toujours bien.

Une première friction concerne l'effet de découragement lié à des procédures : "Le béal est une affaire locale et familiale. À ce titre, la modernisation n’est pas toujours bien reçue, car interprétée comme une complexification bureaucratique qui mine le «plaisir» pris à s’en occuper. En pratique, des procédures doivent être suivies telles que la rédaction d’un compte-rendu des Assemblées générales, la tenue d’une comptabilité et d’un suivi quantitatif des prélèvements engendrant des frais supplémentaires. Cette administration est aussi vécue comme une négation des dimensions flexibles et négociables des modalités de gestion de l’eau."

En outre, des choix sont contestés. La mise en conformité des béals par les ASA est une des conditionnalités d’accès aux aides publiques, avec obligation d'économie d'eau et de continuité écologique. Mais "la plupart des travaux subventionnés consistent à poser des tuyaux en PVC pour améliorer l’efficience du canal. Le béal est ainsi résumé à ses dimensions techniques de dérivation et de distribution de l’eau. Or, pour les habitants rencontrés, les béals sont un «art de vivre» se référant à des valeurs sensorielles et esthétiques, aux sociabilités villageoises". La pose de tuyaux est certes une solution efficace et pratique pour l’entretien du réseau à des endroits difficiles d’accès ou sujets à des pertes, mais le "tout tuyau" n'est pas pour autant apprécié. Et le béal n'est pas réduit dans l'esprit de son riverain à une fonctionnalité monodimensionnelle d'écoulement optimal.

Sur le terrain, il existe une complexité hydrologique et hydraulique des béals, que les études de débit mesurent mal. Plusieurs travaux, de l’Onema et du syndicat de bassin ABCèze laissent entendre que le débit de la rivière dérivée (Gardonnette) se reconstitue d’une prise d'eau à la suivante, ou que l'ouverture / fermeture des béals (sur le bassin du Luech) ne donna pas un résultat des jaugeages concluant. Or, cette incertitude de terrain ne nourrit pas le doute chez tous les acteurs : "malgré ces incertitudes, les convictions de celles et ceux responsables d’appliquer la réglementation ne sont pas ébranlées. La simplification hydraulique est suffisante dès lors qu’elle corrobore les postures individuelles, comme c’est le cas pour cet interlocuteur qui préfère nier le particularisme des béals et considérer que : «globalement, les canaux ont un impact fort sur la ressource en eau. De toute façon, en tout cas pour l’instant, c’est clair [...]» (Entretien Agence de l’Eau, novembre 2018).

Les auteurs pointent que la "continuité écologique" est l'une des dimensions de la normalisation administrative mal vécue sur le terrain. Pourtant, leurs entretiens très intéressants avec les acteurs (y compris publics) montrent que les faits sont loin d'être établis clairement quant à l'impact délétère des seuils et dérivations sur la rivière. Nous citons longuement ce passage qui intéresse de près notre propre réflexion et celle de nos lecteurs :

"Le raisonnement selon lequel l’impact "réel" des béals n’aurait pas vraiment besoin d’être démontré scientifiquement pour être retenu, car relevant du "bon sens", est conforté par les enjeux de continuité écologique. En effet, le béal est aussi envisagé comme un obstacle potentiel, susceptible de court-circuiter la rivière. Cet argument est régulièrement avancé par les acteurs publics rencontrés lorsque celui des prélèvements est trop mis à mal :

« L’eau est mieux dans le cours d’eau plutôt que de rester dans le canal, surtout en période d’étiage où les poissons en ont besoin ». (Entretien DDTM, mai 2019) « Ce que souhaitent l’AFB et l’Agence [de l’Eau], c’est d’essayer de court-circuiter le moins possible toute cette partie en amont. Entre l’amont et les restitutions, "on" prend une grande partie du débit et c’est sur cette partie-là où il ne faudrait pas que le débit de la rivière soit trop réduit ». (Entretien Chambre Agriculture, avril 2018)

Cette définition négative du béal pour les milieux correspond à une lecture centrée sur son potentiel de dérivation du cours d’eau et le risque d’intermittence encouru. Pourtant, l’impact local des seuils n’est pas quantifié, pas plus qu’il n’est envisagé par les acteurs publics familiers du terrain comme un obstacle à la reproduction piscicole ou au transport sédimentaire :

« Oui, quand il y a une crue, il y a deux ou trois seuils qui sont peut-être limites. Mais oui, elles remontent les truites. Elles remontent et elles descendent ». (Entretien AFB, juin 2018) « Même nous, on ne connait pas trop les impacts [des seuils]. Les seuils, une fois qu’ils sont comblés de sédiments, le transport se fait aussi. La vie piscicole en crue, suivant les seuils, ça peut passer. C’est une thématique où le syndicat ne s’est pas trop lancé ». (Entretien ABCèze, mars 2018)

Un pêcheur ajoute « n'avoir jamais vu l’un des siens se plaindre des béals » (Entretien, mai 2019). Ainsi la qualification du béal comme objet externe à la rivière procède d’une simplification hydraulique, elle est aussi la traduction d’une conception administrative de la rivière que l’injonction d’appliquer le cadre de régulation nourrit dans le sens où les agents responsables de faire respecter les réglementations se doivent d’agir, d’impulser une « mise en mouvement » comme l’un d’eux l’exprime, afin de se rapprocher des objectifs identifiés pour l’amélioration du bon état écologique des masses d’eau."

Au final, notent les chercheurs, "selon cette manière de voir, le décompte des « pertes » est important et les restitutions sont ignorées ; la recherche d’économie d’eau, le respect de la continuité écologique comptent, les relations sociales et les histoires locales moins. Selon cette manière de voir, la rivière est une nature «muette et impersonnelle» (Descola, 2005), une «substance fluide» (Helmreich, 2011) que la présence des béals viendrait perturber, et qu’il vaut donc mieux fermer. Ce travail montre comment les savoirs hydrologiques empiriques issus de l’expérience sensible des « gens d’en haut » viennent interroger ceux produits par l’expertise (c’est là un autre nœud de friction). En effet, ces savoirs mettent en avant la complexité des processus de circulation de l’eau entre le lit de la rivière, le sol et le canal, et soulèvent la question du rôle des canaux sur la biodiversité, renseignée par ailleurs (Aspe et al., 2014). Enfin, ce travail montre que les ontologies sensibles et modernes «agissent» sur les réalités des acteurs en présence (Mol, 1999). Pour certains des gestionnaires de l’eau et des agents de l’administration française, les savoirs experts produits simplifient les béals pour les réduire à un prélèvement quelconque en eau, et maîtrisable. Selon une conception sensible, la perméabilité des canaux vue comme dysfonctionnelle par l’administration française est définie comme véritable lien et liant entre les habitants et la rivière, et les béals font la biodiversité locale, car indissociés de la rivière et des milieux."

Et leur mot de conclusion : "Ce travail montre donc l’intérêt de poursuivre les travaux sur les sociétés d’irrigants en mutation, illustrant les difficultés à prendre en compte les savoirs locaux dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques de l’eau, malgré la volonté affichée de le faire ; mais aussi les contradictions inhérentes à toutes les politiques environnementales qui visent à "rationaliser" les pratiques selon des principes uniformes et des paramètres calculés au niveau local dans un contexte de grande incertitude."

Discussion
Cette recherche montre tout l'intérêt de développer des sciences sociales et humanités de l'eau en appui des politiques publiques des rivières, des canaux, des plans d'eau, des écosystèmes originels ou anthropiques. 

D'une part, ces recherches permettent de comprendre le vécu et la perception de l'eau par ses riverains et usagers, dans leur diversité et complexité. Une administration qui aurait été formée à un discours simplificateur de l'eau comme phénomène biophysique ou comme phénomène économique rencontrera résistances et incompréhensions si elle veut plaquer son approche sur le réel. C'est ce qui arrive assez fréquemment aux administrations de l'eau depuis leur "tournant écologique" consécutif à la loi de 1992 (cf sur ce tournant Morandi 2016). Le problème est éventuellement aggravé en France par l'approche souvent verticale et hiérarchique de la gestion publique, là où d'autres pays laissent davantage de libertés aux acteurs locaux pour faire émerger des projets s'ils ont réellement un sens partagé (voir par exemple les observations en ce sens dans la thèse de Drapier 2019 sur la comparaison France - Etats-Unis et dans celle de Perrin 2018 sur les conditions de gouvernance durable de l'eau).

D'autre part, ces recherches mènent à interroger ce que signifie la "nature" des sciences de la nature. Les politiques publiques de l'écologie ont été menées en Europe et en France sur un mode assez technocratique, avec des batteries d'indicateurs et métriques visant à une normalisation et à une certification de résultat. Mais il y a beaucoup de trous dans la raquette. Des limnologues avaient par exemple montré qu'un demi-million de plans d'eau en France sont devenus invisibles au regard des nomenclatures de la DCE dans son interprétation française, alors même que ces milieux ont une existence singulière au plan de l'hydrologie, des fonctionnalités, de la biodiversité (voir Touchart et Bartout 2020). Ces milieux invisibilisés deviennent des anomalies, car la nomenclature attend uniquement une "masse d'eau rivière" dans l'ignorance des évolutions historiques de ladite masse d'eau, qui est en fait devenue au fil du temps une "rivière avec des retenues et des canaux". Un certain discours de l'écologie de la conservation, en affirmant que seule valait comme référence normative et biophysique une "nature sans humain", a joué un rôle négatif de ce point de vue, en évacuant comme non pertinente l'étude des écosystèmes réels, y compris ceux de milieux anthropisés.

Référence : Collard AL, Molle F et Rivière-Honegger A (2021), Manières de voir, manières de faire : moderniser les canaux gravitaires, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, 21, 2

A lire sur le même thème

22/02/2022

Quels poissons reviennent après suppression d'ouvrages en rivières intermittentes? (Kukuła et Bylak 2022)

Etudiant une rivière à truite de tête de bassin, devenue intermittente au fil du 20e siècle, des chercheurs montrent que la suppression des obstacles n'y a pas permis la recolonisation amont par les espèces originellement présentes. Les sécheresses créent des discontinuités hydriques sur le lit et une qualité de l'eau insuffisante en été pour des espèces sensibles. Si ces chercheurs estiment malgré tout que la restauration de continuité a des avantages pour la circulation des poissons en période de hautes eaux, leur travail montre que les gains de ces chantiers sont modestes et loin d'une "restauration de la nature" telle qu'elle nous est vantée pour justifier de tout casser, y compris des sites d'intérêt patrimonial. Un peu de réserve et de recul serait bienvenu chez les gestionnaires de rivières.


Les sites arasés ou aménagés de l'étude, extrait de Kukuła et Bylak 2022, art cit.

Le ruisseau Hołubla (5,89 km de long, bassin versant de 8,68 km2) est situé dans les contreforts des Carpates polonaise, dans le bassin de la rivière San et de la Vistule. En raison du drainage de la rivière San et de l'abaissement du niveau des eaux souterraines, la plupart des petits affluents comme le Hołubla se sont vidés pendant les saisons sèches. Selon les données historiques, jusqu'aux années 1930, le ruisseau était pérenne. Dans les années 1970, un déversoir en pierre de 3 m de haut et quatre gués en dalles de béton ont été construits sur le lit du ruisseau. Avec le temps, du fait d'une augmentation de l'érosion en aval des gués, des chutes d'eau se sont créées. En 2013, ces barrières ont été supprimées. Deux gués en béton ont été reconstruits en pierre naturelle, avec de larges passages  permettant aux poissons de se déplacer en amont. Les deux autres gués ont été remplacés par des ponceaux à voûte métallique. En aval de ces gués et ponceaux, le fond du chenal a été stabilisé par construction de rapides en pierres à pente douce. 

Les chercheurs ont voulu savoir l'effet de ces travaux de continuité longitudinale. Voici le résumé de leur examen des poissons avant et après l'intervention sur les ouvrages.

"Les effets de barrière observés en présence de seuils sont exacerbés par les faibles niveaux d'eau. Nous avons mené une étude de 10 ans pour évaluer les effets écologiques de la restauration des cours d'eau tout en analysant la possibilité d'un manque saisonnier de continuité hydrologique, avec de multiples mesures avant et après la restauration de la continuité structurelle des cours d'eau. L'hypothèse de recherche suppose que dans les cours d'eau intermittents, il y aurait peu ou pas de changement dans la communauté de poissons en aval de la barrière avant vs. après l'enlèvement de l'obstacle, et un changement significatif en amont de la barrière avant vs. après. 

Nos résultats indiquent qu'en supprimant les petites barrières, leurs effets néfastes sur le passage longitudinal des poissons et des assemblages de poissons peuvent être corrigés. Pendant la saison des pluies, des poissons migrants du cours principal de la rivière sont apparus dans la section aval du cours d'eau. L'intermittence des cours d'eau, cependant, a placé un filtre d'habitat sur l'assemblage. Ainsi, après le retrait de la barrière, seules deux espèces de poissons de petite taille qui tolèrent des carences périodiques en oxygène et la hausse des températures de l'eau se sont progressivement déplacées vers l'amont et ont formé des populations stables. 

Nous soulignons qu'il ne faut pas s'abstenir de restaurer la continuité longitudinale des cours d'eau intermittents, car ils fournissent périodiquement des refuges précieux pour les poissons et peuvent également être une source de nouvelles générations et renforcer les populations de poissons dans le cours principal."

Ce graphique montre les densités de poisson (par 100 m2) observées dans le temps sur le tronçon, avant (grisé)et après la suppression de l'obstacle. On notera les très faibles valeurs absolues à l'amont (1 à 3 individus par 100 m2).


L'infographie ci-dessous montre la tendance longue : la rivière devient intermittente en raison de changement de climat et d'usages humains de l'eau, avec populations fractionnées (a, b) puis l'obstacle supprimé aboutit à un double régime avec la colonisation amont réservée en saison sèche à quelques espèces supportant une eau plus rare et plus chaude (c, d). Aucune espèce ne s'installe complètement à l'amont.


Discussion
Le bassin versant étudié K. Kukuła et A. Bylak est représentatif des programmations publiques de continuité écologique dans d'autres pays d'Europe et notamment en France, où l'insistance a été portée sur les petites rivières de tête de bassin, en large partie à cause de leur population de salmonidés (truites) et de l'usage pêche dans ces rivières.

Ce travail permet de relativiser les discours pour le moins déplacés sur la "restauration de la nature" par suppression d'ouvrages. En réalité, on modifie la dynamique locale de populations de poissons, mais on ne revient pas à l'état antérieur des cours d'eau, qui sont généralement modifiés par d'autres impacts que des obstacles. On conçoit sans peine que si le changement climatique vient à s'intensifier et à imposer des épisodes plus fréquents et plus intenses de sécheresse (ce que prévoient les chercheurs du climat), l'intermittence du ruisseau Hołubla sera aggravée et sa colonisation amont par des espèces d'eau froide, abondante et oxygénée encore plus improbable.

Par ailleurs et comme trop souvent, les chercheurs n'ont regardé ici que la dynamique des poissons, et en particulier ils n'ont pas examiné avant / après l'écosystème nouveau que formait le plan d'eau du principal ouvrage. On aimerait pourtant savoir si des amphibiens, reptiles, invertébrés, oiseaux, mammifères s'étaient adaptés à ces modifications, et ce qu'ils sont devenus quand l'écosystème aménagé a disparu. Ce serait la moindre des choses de systématiser ces observations avant les chantiers, afin que le retour d'expérience sur les gains écologiques et biologiques ne soit pas biaisé

Enfin concernant les truites de la partie amont, il aurait été intéressant de documenter si leur disparition était liée aux seuils ou si elle était associée à la fin du caractère permanent de l'écoulement du chenal. En effet, eu égard aux nombreux témoignages qui attestent de l'abondance de truites en tête de basin jusque dans les années 1960 même quand il y avait de petits ouvrages hydrauliques (voir cet exemple sur la tête de bassin Seine et Ource), on doit s'interroger sur les facteurs qui ont réellement impacté l'hydrologie et la qualité de l'eau au cours des dernières décennies. 

20/02/2022

L'Office français de la biodiversité, meilleur ennemi de la transition énergétique

Consulté dans le cadre de la programmation pluri-annuelle de l'énergie, l'Office français de la biodiversité vient de publier une nouvelle note incendiaire contre l'hydro-électricité, accusant les petits ouvrages comme les grands barrages de tous les maux des rivières. Le raisonnement des auteurs de cette note mène à des aberrations intellectuelles : aucune source d'énergie ni aucune activité humaine alimentée par cette énergie n'existant sans modification des milieux, nous ne devrions rien faire. Reprocher à l'hydro-électricité et aux ouvrages hydrauliques d'avoir changé les régimes des rivières au fil de l'histoire ne mène à aucune réponse constructive face au défi du changement climatique. Cela contribue à aggraver le retard de la France dans la transition bas-carbone, alors que nous avons une génération pour faire disparaître le fossile représentant 70% de nos usages d'énergie. 

Le Conseil supérieur de la pêche (dont le principe fut acté sous Pétain) était devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema, 2006) avant de devenir l'Office français de la biodiversité (OFB, 2019), établissement public de l'Etat. 

Comme nous l'avions montré à de multiples reprises à l'époque de l'Onema, les personnels publics d'expertise sur les milieux aquatiques ont une solide aversion pour les ouvrages hydrauliques (voir les articles en notes ci-dessous).

La nouvelle synthèse de l'OFB sur l'hydro-électricité ne déroge pas à cette règle, elle est consultable en cliquant ce lien.



Nous avions publié avec le CNERH une synthèse de 100 études scientifiques récentes, françaises et européennes seulement (hors études Asie, Amérique, Afrique), concernant soit des analyses d'impacts d'ouvrage soit des analyses de restauration écologique de rivière (télécharger à ce lien). Plusieurs chercheurs ont publié récemment un livre collectif sur l'analyse critique de la gestion écologique des rivières (voir Lévêque et Bravard dir 2020). Vous pouvez procéder à un exercice amusant : vérifiez si l'OFB prend bien soin d'intégrer toutes les études scientifiques parues dans la littérature revue par les pairs. Vous constaterez que bizarrement, un certain nombre références ne sont pas intégrées ni discutées par l'OFB dans sa note... Il faut dire qu'elles amèneraient éventuellement à nuancer et à réfléchir, ce qui n'est pas l'objectif de certaines expertises publiques dont le rôle est davantage de certifier que les directions ministérielles d'Etat ont toujours raison dans leurs choix. 

L'humain modifie la nature... depuis qu'il est humain
Mais bien entendu, nous ne remettons pas en cause les études citées par l'OFB. Ces travaux sont simplement des choses que l'écologie et la biologie de la conservation répètent dans de nombreuses monographies : les rivières des 20e et 21e siècles ont perdu le fonctionnement et le peuplement qu'elles avaient auparavant dans l'histoire. 

Voilà par exemple la conclusion de synthèse de la note:

"Au final, en impactant les variables hydrologiques et morphologiques à l’origine de la création des habitats aquatiques et de leur connectivité, ainsi que les processus biologiques et le déplacement des organismes, les aménagements hydroélectriques et les ouvrages transversaux ont des conséquences plus ou moins importantes non seulement sur la continuité écologique et les communautés biologiques mais également et plus largement sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques"

Or cette conclusion est un truisme. 

Dans sa forme la plus simple, elle peut s'écrire : si l'humain occupe et exploite un environnement, cet environnement est changé. Nul ne le nie ! Une des conclusions les plus intéressantes de la recherche en histoire et archéologie de l'environnement ces 30 dernières années est justement d'avoir montré que les modifications humaines des milieux sont bien plus anciennes et profondes qu'on ne le pensait, en particulier les changements de morphologie des bassins versants amorcés dès la fin du néolithique. 

L'énergie fait partie des usages de l'eau qui ont modifié ce profil des bassins versants. Mais le même phénomène s'observe dans tout usage de milieu en vue d'extraire des ressources. Dans le même registre, l'OFB peut donc aussi décrire comment des fermes éoliennes vont artificialiser les sols et modifier le cycle de vie des oiseaux, chauve-souris ou insectes, comment des fermes solaires feront de même quand elles remplacent un sol végétalisé, comment l'usage de la biomasse est en concurrence avec les milieux de prairies et forêts, comment les sources fossiles ont évidemment des influences majeures à travers leurs effets d'extraction, pollution et réchauffement... et donc ? 

L'obsession des ouvrages hydrauliques, ou quand l'arbre cache la forêt
Par ailleurs dans le cas des milieux aquatiques, l'OFB charge les ouvrages hydrauliques de tous les maux en omettant de signaler aux décideurs publics la réalité globale de ce qui impacte les rivières, donc de mettre en perspective le cas particulier de l'ouvrage hydraulique. 

L'une des références citées par l'OFB pour blâmer l'hydro-électricité (Reid et al 2018) permet de le comprendre. Voilà ce que dit en fait cette référence (chacun peut la lire en accès libre), qui est loin de citer les seuls barrages comme le laisse entendre le rapport de l'OFB:
  • l'hydro-électricité altère les écosystèmes aquatiques
  • le changement climatique altère les écosystèmes aquatiques
  • le commerce des espèces exotiques altère les écosystèmes aquatiques
  • les pathologies infectieuses altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les blooms algaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les pollutions émergentes altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les nanomatériaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les microplastiques altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la pollution sonore et lumineuse altère les écosystèmes aquatiques
  • la salinisation altère les écosystèmes aquatiques
  • la baisse du calcium altère les écosystèmes aquatiques
  • les stress cumulatifs altèrent les écosystèmes aquatiques
Et cette publication signale que ces altérations s'ajoutent en fait à d'autres déjà bien connues depuis la synthèse de Dudgeon at al 2006 :
  • l'exploitation de ressources biologiques altère les écosystèmes aquatiques
  • l'eutrophisation altère les écosystèmes aquatiques
  • l'usage de l'eau et le changement de débit altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la destruction d'habitats par aménagements altère les écosystèmes aquatiques
Sur chacun de ces sujets, on pourrait faire des notes comportant des dizaines, centaines, milliers de références, comme l'OFB vient de le faire sur l'hydro-électricité. Et l'on conclurait toujours la même chose : si l'on veut des écosystèmes aquatiques "non altérés", il faudrait cesser les activités humaines non seulement sur la rivière, mais dans le bassin versant. Pas juste l'hydro-électricité. 

Fin des humains = fin des perturbations humaines : est-ce à ce genre d'impasse intellectuelle qu'il faudrait désormais se convertir? A quoi mène ce mode de raisonnement quand nous devrions être 70 millions de Français et 10 milliard d'humains à la mi-temps de ce siècle?

Poser les priorités, redéfinir une écologie d'intérêt général
Au lieu de refuser toute évolution de la nature sous l'effet de notre espèce et d'imaginer que nous pourrions mettre sous cloche le vivant en le séparant de l'humain, nous devons donc en revenir à des politiques publiques ayant quelque lucidité :
  • si le climat et l'énergie sont des problèmes existentiels pour les sociétés humaines, il faut hiérarchiser les enjeux et poser des priorités par rapport à la biodiversité, car aucune politique écologique durable ne se tiendra dans un contexte de désorganisation et de chaos,
  • les études comparatives d'impact en hydro-écologie (et non les monographies locales sur sites ou tronçons) montrent que l'utilisation humaine des bassins versants est le premier prédicteur de dégradation des milieux aquatiques à travers les excès de pollutions et d'extractions d'eau, ce sont donc ces deux sujets qui sont à traiter en premier, pas l'énergie hydraulique qui a l'avantage d'être bas carbone, qui ne fait pas disparaître l'eau et qui n'altère pas ou peu sa composition chimique,
  • les rivières à très faible présence humaine et forte "naturalité" sont peu nombreuses (8,4% des tronçons en France), c'est éventuellement la protection de certaines qui importe si l'on souhaite conserver des fonctionnements et peuplements d'un certain type,
  • les rivières modifiées par la présence humaine depuis longtemps ne sont plus dans leur état écologique (biologique, morphologique) originel (à supposer que ce mot ait un sens dans l'évolution permanente du vivant), et elles n'y reviendront pas de toute façon ; il est donc peu utile d'imaginer comme standard un état passé de ces rivières, mais plutôt nécessaire de débattre sur des fonctionnalités que l'on juge d'intérêt (comme la connectivité ou la rétention d'eau) tout en conservant et améliorant les usages anthropiques,
  • les experts en écologie ne doivent pas faire des monographies sur les impacts sans apporter de solutions ni de hiérarchie des problèmes, ce qui n'apporte rien à l'intelligence du débat public ni à l'éclairage des décideurs. 
Les politiques publiques ont un urgent besoin de redéfinir le sens de l'écologie comme choix d'intérêt général. Et la transition bas-carbone a un urgent besoin de libérer toutes les énergies en France, sans quoi nous fonçons encore dans le mur de l'échec à force d'entraver les projets dans tout le pays. 

A lire sur ce thème Onema-OFB

A lire pour une autre vision de l'écologie et de la biodiversité

A lire sur la petite hydraulique et sur l'énergie

17/02/2022

Les riverains de Sainte Menehould refusent la destruction d'ouvrages hydrauliques

Comme tant d'autres en France, les riverains de Sainte Menehould (Marne) sont confrontés à un projet destructeur de continuité écologique, dont la mise en oeuvre aboutirait à remettre en cause les usages actuels et potentiels des ouvrages hydrauliques de la cité. Ce que la loi interdit depuis 2021, mais certaines administrations et certains techniciens de l'eau semblent parfois vivre dans un entre soi s'estimant au-dessus des lois... Pourquoi dilapider encore l'argent public précieux dans des combats si éloignés de l'intérêt général, alors qu'il y a tant de choses à faire pour une écologie plus utile et plus consensuelle? Soutenez le combat de ces citoyens en lutte pour préserver leur qualité de vie, signez leur pétition


Vues de Sainte Menehould et de ses divers milieux aquatiques, dont beaucoup sont issus des usages humains de l'eau. Googles Photos, droits réservés 

POUR QUE NOTRE PETITE CITÉ DE CARACTÈRE GARDE SON CARACTÈRE

Un projet démesuré et très coûteux élaboré sans concertation éclairée avec les Ménéhildiens va mettre en péril notre patrimoine historique et touristique par :

● La suppression de vannages existants

● La création de deux barrages en béton (80m3) dans le lit de l’Aisne en plein coeur de ville

● La création d’un nouveau bras de rivière

● Des modifications importantes sur les bras existants (rétrécissements)

Nous estimons que cela aura pour conséquences :

● Des risques inconnus en cas de sécheresse ou d'inondations

● La disparition des activités pédalo et kayak d'aujourd'hui avec l'abandon des événements tels que le mini-raid en canoë (très populaire), le tour de ville et des projets futurs axés sur le tourisme vert

● Un accroissement inéluctable de la délinquance chez les riverains (par franchissement aisé du bras droit de rivière très bas en été et peut-être même en hiver...)

● La perte de l'âme de nos lavoirs dont la restauration est encouragée par la Ville

● Des mauvaises odeurs et des moustiques dans les zones stagnantes...

● Menace sur la vie aquatique et la zone humide en amont des travaux en période de sécheresse

● Etc...

Ce projet nous est imposé par la technocratie qui se sert d'une loi en partie obsolète pour rétablir la continuité écologique en obligeant la destruction des ouvrages hydrauliques (moulins et vannes) afin de permettre l'écoulement des sédiments et la remontée des poissons... alors que tout se passait bien depuis des siècles !

Pour que notre petite cité de caractère garde son caractère, notre collectif de sauvegarde s’oppose à ce projet hallucinant et dévastateur fort d'une nouvelle loi qui souhaite maintenant protéger les ouvrages patrimoniaux. Nous demandons à nos élus usurpés par ces techniciens de dénoncer ce projet en s’orientant éventuellement sur des solutions moins coûteuses et respectueuses de notre patrimoine.

05/02/2022

Analyser la biodiversité des sites de production hydro-électrique

Des producteurs d'énergie ont engagé une première étude de la biodiversité faune-flore autour de 5 sites hydro-électriques. Une excellente initiative, qui permet de faire l'inventaire des gagnants et des perdants en faune et flore, ainsi que de nourrir des réflexions sur l'amélioration de la gestion du site tout en préservant son emploi utile. Une fois admis que l'idéal de la "rivière sauvage sans humain" ne concernera jamais qu'une petite fraction des cours d'eau en raison des évolutions démographiques, économiques et techniques de nos sociétés, il faut engager sur les autres rivières des propositions constructives où l'écologie se concilie avec les ouvrages hydrauliques et leurs usages.


Le syndicat France Hydro Electricité a mené une étude de biodiversité sur 5 sites de ses adhérents producteurs. Cette étude a notamment compilé :
  • des inventaires faunistiques et floristiques, des données hydrauliques, hydrologiques, hydro-morphologiques et sédimentaires, parfois physico chimiques ainsi que de documents iconographiques et cartographiques
  • des compte-rendus de prospection ou observations par tierce personne.
  • une prospection et cartographie au niveau du milieu aquatique et terrestre,
  • une analyse fonctionnelle de chaque site en croisant le descriptif des habitats aquatiques et terrestres avec leur utilisation observée ou présumée par les espèces inventoriées. 
Le travail a été conclu par un débat a été engagé avec deux bureaux d’études spécialisés (Eaucea en hydraulique et Biotec sur la biodiversité) afin de dégager sur chaque site les impacts jugés à priori pénalisants pour la biodiversité, tout autant que la potentialité écologique des masses d'eau et terrains environnants. 

Nous publions ci-dessous un extrait des principales conclusions de l'étude. Elles confirment ce qui est déjà observable dans la littérature spécialisée et dans l'analyse du terrain du patrimoine hydraulique : si les ouvrages modifient la physique, la chimie et la biologie de l'eau, en pénalisant certaines espèces spécialisées (migratrices, lotiques), ce ne sont nullement des déserts de biodiversité. En particulier quand on prend en compte l'ensemble de la faune et de la flore susceptible de profiter des habitats en eau et berge créés par les ouvrages. Au demeurant, les étangs et les moulins les plus anciens sont souvent devenus de nouveaux écosystèmes anthropiques. Il faut donc engager une autre écologie que des approches quelque peu simplistes où une nature sans humain serait la seule naturalité concevable ou désirable. Ce qui mène à des non-sens et des impasses dans le cas de l'eau, puisque les usages sociaux et économiques de l'eau sont permanents et ont, déjà de très longue date, fait évoluer les fonctionnalités et les peuplements des rivières. 

Que retenir de cette étude préliminaire ?

Le fait le plus important est que ces milieux aménagés sont le support d’une biodiversité importante. Les nouveaux milieux créés fournissent les habitats et la nourriture nécessaires à une faune riche et diversifiée qui s’y maintient naturellement.

D’évidence, la morphologie est l’un des paramètres prépondérants pour la biodiversité, directement liée aux habitats disponibles dans et à proximité du cours d’eau (et l’occupation des berges pour les milieux terrestres).

Mais, le tronçon influencé possède un régime hydrologique artificialisé, il ne subit plus les mêmes fréquences et intensités des crues (modification des conditions hydrologiques) que le cours d’eau, et cela en modifie la dynamique naturelle, morphologique et biologique. A cet égard, adapter cette morphologie aux nouvelles conditions hydrologiques du tronçon influencé peut se révéler essentiel en vue de limiter l’impact des usages et favoriser la biodiversité.

Il ressort du débat avec les bureaux d’étude (sans que le présent travail n’ai développé cet aspect faute de temps) que :
• La dynamique d’évolution des milieux, entre deux épisodes de crue que la retenue n’arrive plus à contenir (donc avec surverse au barrage = débit du tronçon influencé plus élevé que le débit réservé), est favorable à l’installation d’une mosaïque d’habitats très diversifiés ; le fait de subir des débits différenciés (des crues) et les remaniements de substrats que ceux-ci entraînent sont moteurs de biodiversité puisque ceux-ci sont à l’origine réagencement des habitats lors de chaque événement vécu.
• A l’inverse, la stabilité hydraulique peut être bénéfique à certaines communautés biologiques (amphibiens, poissons, insectes…), par exemple, la faible variabilité hydrologique peut être bénéfique au recrutement de certaines espèces piscicoles comme le barbeau, le toxostome, le chevaine, l’apron, etc.

La potentialité écologique des terrains environnants : un élément essentiel
Les terrains naturels situés autour des bâtiments, le long des canaux... peuvent être des zones de biodiversité dont les potentialités peuvent ou non s’exprimer en fonction de l’aménagement ou/et la gestion qui en est faite. Le maintien de zones de prairies semi-naturelles, les plantations de variétés locales, l’aménagement des zones humides... sont autant de facteurs favorables à l’expression de la biodiversité.

Les bâtiments et les ouvrages peuvent aussi être des sites d’accueil pour la faune (hirondelles, chauves- souris, rapaces…) et la flore (mousses, fougères, flore rupestre…). En effet, de nombreuses espèces sont capables de profiter de supports particuliers et artificiels pour nicher. Les parois verticales d’une usine ou d’un barrage s’apparentent à des falaises et les espèces savent s’adapter à ces opportunités (tranquillité, refuge, habitat…). Cette biodiversité mérite d’être prise en compte et peut être maintenue voire développée.

Quelques recommandations à l’attention des producteurs qui souhaitent s’engager dans la démarche « biodiversité » et plus généralement disposer d’arguments pour débattre 
Comme le montre notre méthode, pour pouvoir réaliser une analyse de la biodiversité d’un tronçon, il faut comprendre précisément et caractériser chaque cours d’eau et chaque tronçon influencé. Un certain nombre d’informations sont intéressantes à collecter :
• Suivre en continu les débits du cours d’eau (et si possible l’enregistrer) ;
• Mesurer régulièrement la température de l’eau dans le cours d’eau et le tronçon influencé (et si possible l’enregistrer) ;
• Compiler, et si possible positionner sur une carte, toutes les observations : descriptions du
tronçon, localisations d’obstacles, de rejets ou des zones d’activités, etc. …
• Photographier le cours d’eau et le tronçon influencé dans différentes conditions de débits et
à différentes saisons ;
• Compiler et conserver toutes les études disponibles sur le cours d’eau et le tronçon influencé (disposer de différentes dates de suivis est particulièrement utile) ;
• Rechercher en continu et stocker les informations faune et flore auprès des usagers (chasseurs, pêcheurs, cueilleurs, randonneurs, associations diverses qui connaissent ou utilisent le territoire, etc.) ;
• Conserver la trace et les coordonnées de toutes les personnes susceptibles de disposer d’une
expertise faune flore ou autre ;
• Rechercher et stocker les documents historiques concernant le site et le cours d’eau.

Source : La biodiversité dans et autour des tronçons influencés (les TCC) par la présence de centrales hydroélectriques. Synthèse de France Hydro Electricité. D’après le rapport d’ingénieure d’Axelle Euphrasie. 2021

01/02/2022

Les agences de l'eau continuent de promouvoir la casse illégale du patrimoine des rivières

Alors que la loi prohibe depuis 2021 la destruction de l'usage actuel ou potentiel des moulins et autres ouvrages hydrauliques, les agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne continuent de promouvoir cette destruction du patrimoine des rivières au nom de la continuité dite "écologique". Un recours grâcieux a été déposé par notre association, des consoeurs et la FFAM contre une nouvelle décision en ce sens des agences. Il s'ajoute au recours contentieux ouvert pour obtenir la condamnation et annulation du 11e programme d'intervention de ces établissements publics, programme où les fonctionnaires espèrent encore dilapider l'argent des citoyens à la disparition du patrimoine historique, du potentiel énergétique et des usages sociaux des ouvrages hydrauliques. 


La continuité écologique des rivières n'est décidément pas apaisée en France. 

Rappelons le contexte à ceux qui découvriraient le problème. La loi sur l'eau de 2006 a proposé d'améliorer la circulation des poissons et des sédiments sur des rivières classées à cette fin, ce que l'on nomme la continuité écologique. Une telle amélioration peut s'obtenir par des gestions de vannes des ouvrages ou par des dispositifs de franchissement. Mais une faction militante au sein de l'administration de l'eau et de la biodiversité (ministère de l'écologie, agences de l'eau, office de la biodiversité), couplée à des lobbies intégristes du retour à la nature sauvage, a décidé que la solution à financer sur argent public et à prioriser en choix réglementaire des préfectures devait être la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, de leurs milieux, de leurs usages. Ce n'est pourtant pas l'esprit des lois françaises ni de leur interprétation par le conseil d'Etat

Nous parlons ici de moulins, de forges, d'étangs, de petits lacs et plans d'eau, de barrages associés à diverses activités et aménités. Ce sont des milieux nés de l'usage humain de l'eau, ayant leur propre fonctionnement écologique mais aussi de nombreuses dimensions d'intérêt pour les riverains (paysage, rétention d'eau, agrément, énergie, irrigation, pêche, aquaculture, tourisme, etc.).

Des milliers de ces ouvrages ont déjà été détruits, y compris dans barrages à production hydro-électrique que la loi demande pourtant de promouvoir et d'équiper face à l'urgence climatique. Ce scandale a bien évidemment occasionné de nombreuses plaintes en justice, avec forte mobilisation des associations de protection des patrimoines et des collectifs riverains. Les parlementaires, indignés de cette dérive dont ils ont été informés, ont déjà fait évoluer la loi à plusieurs reprises, et sous plusieurs législatures, indiquant clairement que la continuité écologique devait cesser de mener à ces destructions et ces conflits.

Mais voilà, la France est un pays très particulier où l'administration choisit à sa guise la manière dont elle va interpréter ces lois. Alors que la dernière réforme de continuité écologique a mené les parlementaires à prohiber expressément les mesures de destruction d'ouvrage, les agences de l'eau tentent à nouveau de contourner la volonté des représentants des citoyens.



Ainsi, un recours  gracieux a été déposé à l'encontre de la délibération  du conseil  d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie  en date du 16 novembre 2021 en tant qu'elle porte révision des modalités d'attribution des aides du 11ème programme d'intervention couvrant la période 2019-2024.

Il apparaît en effet que les modifications apportées au Code de l'environnement et plus particulièrement à son article L.214-17-1, par la loi dite « Climat et Résilience » du 22 août 2021 n'ont pas été prises en compte par cette délibération qui reproduit les mêmes  illégalités  que lors de l'adoption du 11ème programme en 2018.

La loi précitée n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est venue modifier l'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement.

L'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement est aujourd'hui ainsi rédigé :

« 1.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative  établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :

2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des  moulins  à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »
 
Ainsi, en premier lieu, les interventions sur  les ouvrages  hydrauliques quels qu'ils soient  ne doivent  pas remettre  en cause  leur usage,  actuel ou potentiel.

En second lieu et s'agissant plus particulièrement des moulins à eau, le législateur  va  encore plus loin en rappelant expressément  que la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les  seules  modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives  au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments et en ajoutant qu'aucune autre modalité d'intervention n'est autorisée, notamment celles portant sur la destruction de ces ouvrages.

C'est donc en respectant cette nouvelle rédaction de l'article L.214-17-1 du Code de l'environnement que les interventions sur les ouvrages situés sur les cours d'eau classés en Liste 2 en vue de la prise en compte de l'objectif de restauration de la continuité écologique doivent désormais être prévues.

Or, le programme d'intervention révisé n'est pas à jour de ces nouvelles dispositions législatives.

Au titre des travaux de rétablissement de la continuité écologique longitudinale et latérale (Action El), il est notamment mentionné l'éligibilité de travaux de «suppression des ouvrages».

Cette suppression de ces ouvrages remet bien sûr en cause leur « usage actuel ou potentiel ». Et lorsque ces ouvrages  sont  des moulins  à eau, leur suppression (ce qui  est  synonyme  de  leur  destruction)  est clairement prohibée par la loi.

La «suppression» de ces ouvrages, retenue par le 11ème programme révisé comme pouvant être éligible à des financements de l'agence, contrevient donc directement à l'article L.214-17-1 précité du Code de l'environnement.

Le 11 ème programme d'intervention est un dispositif de financement sur fonds publics et il ne peut à ce titre contrevenir à l'objectif voulu par le législateur  de  préservation  du  patrimoine  hydraulique  que  constituent les ouvrages hydrauliques en général et les moulins à eau en particulier.

Il  est en effet formellement  proscrit de mobiliser  des fonds publics pour des actions prohibées par la loi ou qui ne répondent pas à un objectif d'intérêt général. Le juge administratif exerce à cet égard son contrôle sur la licéité des décisions d'octroi des subventions.

20/01/2022

La Commission européenne, la France et la continuité écologique

La Commission européenne vient de publier un document sur la suppression d’obstacles en rivière au nom de la continuité écologique. D’une part, ce document démontre que la France est dans un délire de surtransposition des règles de l’Union, avec des objectifs pour elle seule près deux fois plus ambitieux que ce que suggère la Commission pour toute l’Europe ! Nous avions raison de pointer une dérive intégriste et irréaliste du ministère français sur ce dossier. D’autre part, ce document souligne à nouveau diverses contradictions des politiques écologiques telles qu’elles sont promues par des fonctionnaires français et européens. Explications. 


Dans sa stratégie de biodiversité, l’Union européenne fixe un objectif de 25 000 km de rivière à «écoulement libre» (free flowing) d’ici 2030. Un document de la direction environnement de la Commission européenne vient d’être produit à ce sujet (télécharger à ce lien). Ce document est une circulaire méthodologique qui n’a pas à date de valeur juridique opposable.

Première leçon : cette ambition européenne de 25 000 km de «rivière libre» signale que la France est allée beaucoup trop loin dans des objectifs irréalistes. Rapporté à la superficie de notre pays, l’objectif européen impliquerait qu’environ 3000 km de rivières françaises ont un objectif d’écoulement libre. Or, le ministère de l’écologie s’est fixé comme but délirant un chiffre de 40 000 km pour notre seul pays, soit davantage que l’objectif de la Commission européenne pour toute l’Union ! En réalité, par les travaux effectués depuis les années 1990, la France a d’ores et déjà fait plus que sa part des objectifs européens. 

Nous demandons donc au premier chef de cesser immédiatement la surtranposition aberrante des règles européennes, au vu des conflits et des désagréments innombrables créés par ce choix français de systématiser la continuité écologique en long. 

La France doit désormais stopper ses chantiers de continuité, pour se consacrer aux domaines où elle est en retard : recréation de zones humides (continuité latérale, stockage d’eau), lutte contre le réchauffement par l’énergie hydro-électrique, lutte contre la pollution.

La politique européenne de l'eau empêtrée dans ses contradictions et ses objectifs irréalistes
Concernant le fond de ce document de la Commission européenne, on observe le biais déjà identifiés par des universitaires (Linton et Krueger 2020) : les fonctionnaires de l’environnement développent une «ontologie naturaliste» selon laquelle la bonne nature serait la nature libérée de tout impact humain, une nature sans l’homme... qui n’existe quasiment nulle part, sinon à titre de construction intellectuelle abstraite. 

Le document de la Commission rappelle ainsi :
« Les éléments de qualité d'appui hydromorphologiques sont expressément définis pour attribuer à une masse d'eau fluviale un statut écologique «très bon» (high) et se réfèrent directement à des conditions totalement - ou presque totalement - non perturbées. En ce qui concerne la continuité des rivières en particulier, la définition de l'état élevé fait explicitement référence à l'absence d'activités anthropiques et à la migration non perturbée des organismes aquatiques et des sédiments. Cette définition correspond grosso modo à ce que l'on pourrait généralement comprendre comme une rivière à écoulement libre. »
En jargon moins bureaucratique, cela signifie : le but le plus élevé de notre vision de l’écologie est de supprimer l’humain du paysage. Pense-t-on sérieusement qu'une telle vision anti-humaine a le moindre avenir?

Le modèle utilisé par les gestionnaires définit comme « impact » négatif tout changement physique, biologique, chimique induit par une action humaine. Il s’ensuit des incompréhensions, des contradictions et des conflits en cascade quand, dans la réalité, les humains utilisent l’eau et les rivières pour l’alimentation, l’irrigation, l’énergie, l’industrie, la navigation, les usages domestiques, les loisirs et les aménités. Les humains ne vivent pas dans une nature « sauvage » où ils ne feraient rien, les humains ne sont pas séparés de la nature qu’ils transforment par leur simple existence. La modification du régime naturel (au sens de "non-humain") de l’eau est consubstantielle à la sédentarisation néolithique de l’humanité et la création de nouveaux écosystèmes aquatiques modifiés par les sociétés humaines  a commencé voici 8000 ans. 

En réalité, les fonctionnaires de l’environnement savent très bien que leur objectif présente assez vite des incompatibilités avec d’autres normes des lois et d’autres valeurs des citoyens. Aussi le diable est dans les détails, et le texte produit par l’Union européenne signale de nombreuses conditions à la restauration de continuité :
  • «Lors de la hiérarchisation des obstacles en vue de leur élimination éventuelle, il sera en effet important d'évaluer le rôle qu'ils pourraient encore jouer (bien que dans ce cas, les avantages possibles d'une telle utilisation future doivent être évalués par rapport aux avantages de l'éliminer pour le bien de la restauration de la nature ), ou l'effet autrement bénéfique que ces barrières peuvent avoir (par exemple pour la biodiversité). Il s'agit de tenir compte de la nécessité de maintenir différentes utilisations importantes telles que la navigation intérieure, la production d'énergie renouvelable ou l'agriculture et l'environnement au sens large.»
  • «Il serait très difficile d'éliminer les barrières sur toute la longueur d'un cours d'eau et, dans de nombreux cas, une telle ambition ne serait pas compatible avec le maintien d'usages importants.»
  • «Lors de la hiérarchisation des obstacles à supprimer, il est également important de prendre en compte les utilisations existantes dans un bassin fluvial, notamment la navigation intérieure, la protection contre les inondations, la production d'énergie ou l'agriculture. Cela contribuera à maximiser les co-bénéfices de telles opérations et à éviter des effets négatifs importants sur des utilisations importantes.»
  • «L'importance écologique de certaines structures artificielles doit être reconnue : dans certains cas, des structures qui ne remplissent plus leur fonction première ont créé des niches écologiques spécifiques. Il convient donc de tenir dûment compte de la présence éventuelle de populations indigènes d'espèces reliques ayant survécu grâce à l'isolement»
  • «Le soutien de la population locale et des parties prenantes est une condition clé de la réussite des opérations. Il s'agit d'un aspect important à prendre en compte dans la priorisation de l'élimination des barrières. Les avantages de l'intervention doivent être évalués par rapport à d'autres services socio-économiques possibles.»
Il est bien dommage que, très loin du terrain, les fonctionnaires de la Commission européenne ne soient pas informés de ce qui se passe au bord des rivières. 

Le cas français leur aurait montré que les politiques de destruction systématique d'un grand nombre de sites hydrauliques ne remplissent justement pas ces diverses conditions. Car les propriétaires, les riverains de site, les populations locales ne souhaitent pas dans la plupart des cas que l'argent public serve à faire disparaître des patrimoines et des profils de rivière appréciés, au profit d'une vitrine de nature sauvage devenue intouchable. Cette vision intégriste a été tentée, elle a échoué, il faut désormais en tirer les conséquences politiques et normatives. 

Ce qu’il faut retenir :
  • La France a d’ores et déjà dépassé les objectifs européens de continuité écologique en long et, au vu des nombreux problèmes posés, cette politique publique doit être freinée désormais, pour se consacrer à d’autres sujets où notre pays est en retard.
  • La définition d’une rivière libre en très bon état écologique implique l’absence quasi totale d’usage humain de la rivière et d’impact humain sur ses eaux, ses berges, son bassin. Un tel statut sera donc réservé à une infime minorité de sites préservés à titre conservatoire de la biodiversité, mais ce ne peut être l’objectif de principe des rivières qui sont depuis des millénaires en co-évolution avec les usages humains. 
  • Les autres objectifs des politiques publiques (relocaliser l’économie, favoriser des circuits-courts, produire l’énergie à partir de sources renouvelables, gérer les effets négatifs des crues et sécheresses, etc.) sont en contradiction directe avec l’idée que les eaux et rivières deviendraient des « musées du vivant sauvage » où les humains n'auraient aucun impact ni aucune action. 
  • Pour le mouvement de protection des patrimoines des rivières, il est indispensable de mener une politique d'information des parlementaires et des fonctionnaires européens, afin que ceux-ci s'orientent vers une définition raisonnable et responsable des politiques écologiques. 
A lire

13/01/2022

Leçons d'une crise énergétique

Les Français et les Européens subissent une inflation brutale et inédite sur les prix de l'électricité, ayant obligé les gouvernements à adopter des mesures sociales d'urgence. Mais cette crise énergétique révèle des questions de fond liées à la transition énergétique et à la pression sur les ressources fossiles. L'énergie étant un bien essentiel, la France doit prendre au sérieux le développement de toute la base de production énergétique renouvelable du pays. En particulier l'hydraulique, qui a été entravée voire combattue par des idéologies absurdes et dangereuses. Pour les propriétaires de moulin, la protection du droit d'eau et l'équipement du site en production énergétique deviennent une assurance pour l'avenir! 


Hausse de divers prix de l'énergie. Source BPI-LAB 

L'Europe est frappée depuis l'automne par une inflation énergétique importante, avec notamment des prix de marché de l'électricité ayant subi une inflation de plus de 300% entre janvier et décembre 2021.

Plusieurs facteurs ont été cités comme cause de cette hausse des prix :
  • la reprise économique mondiale de 2021 a engagé une pression sur les prix des hydrocarbures (après une période de baisse), en particulier du gaz, prix tendu par les problèmes diplomatiques avec la Russie, un des fournisseurs de l'Union;
  • les énergies renouvelables non pilotables obligent à avoir en permanence une réserve de secours (en cas de faible vent ou soleil), donc cela contraint à payer comme prix de marché de l'électricité le coût marginal de la capacité garantie de dernier ressort (des centrales gaz en général);
  • en Allemagne, le marché des certificats carbone a été étendu au chauffage et au transport, ce qui a renchérit le coût de la tonne CO2 faisant partie du prix de l'électricité;
  • en France, plusieurs centrales nucléaires sont en maintenance en période hivernale, ce qui ajoute une pression sur la base électrique du réseau et a même obligé à relancer pour un temps des centrales charbon (comme dans d'autres pays européens).
Les autorités publiques en France et en Europe prennent au sérieux cette alerte d'inflation énergétique car si elle a des causes conjoncturelles (volatilité des hydrocarbures en lien aux effets de la pandémie covid-19 sur l'économie), elle révèle aussi des questions de fond:
  • la mondialisation implique une pression croissante sur des ressources finies (comme le fossile) et cette tendance ne peut que s'accentuer du fait du développement des émergents, avec d'autant plus de pression que le choix de transition énergétique tend à retirer le capitaux des industries d'extraction et donc à limiter l'exploration de nouveaux champs de ressources en pétrole et gaz;
  • la lutte contre le réchauffement climatique implique un prix carbone croissant, ce qui se verra dans les factures des ménages équipés en fioul, gaz, ainsi que des carburants;
  • les énergies renouvelables non pilotables ne permettent pas encore le stockage saisonnier (par exemple l'hydrogène vert), or la saison hivernale peu ensoleillée reste la pointe de la demande;
  • même si le stockage saisonnier se développe, ce qui est en cours, il est probable que le coût de l'énergie finale garantie (produite et stockée pour être disponible selon le besoin) sera plus élevé à l'avenir;
  • plusieurs pays ont décidé de sortir du nucléaire (comme l'Allemagne) ou  de réduire sa part dans le mix énergétique (comme la France), or dans le même temps, l'électricité est appelée à remplacer des carburants et combustibles fossiles (chauffage, transport), ce qui va considérablement renforcer sa demande par rapport à la production actuelle.
Par ailleurs, comme l'énergie est un bien de consommation intermédiaire des entreprises, son inflation se traduit sur celle des biens et services (quand l'entreprise paie plus cher son énergie, elle le répercute sur le prix final) : pour les particuliers, la facture ne se limite donc pas à celle de l'énergie, mais doit impacter aussi l'alimentation, l'équipement, la construction et d'autres offres qui consomment de l'énergie. Cette inflation est pénible à vivre en fin de mois pour les ménages à revenus modestes face aux dépenses contraintes. Elle est aussi potentiellement dangereuse pour les Etats trop endettés, la réponse à l'inflation étant généralement une hausse des taux d'intérêt entraînant une hausse des coûts de gestion de la dette.

On le voit, le climat, l'énergie, l'économie, la société et l'environnement sont des sujets intrinsèquement liés. 

Une conclusion est que la transition énergétique ne peut être faite à moitié et que la rareté énergétique aurait des conséquences délétères sur la stabilité politique, la vie économique et la paix sociale. Par exemple, la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne a annoncé qu'elle donnait désormais la priorité au développement de la puissance bas-carbone (hors nucléaire), y compris en cas de conflit avec des politiques de protection de milieux ou d'espèces. Le bas carbone est désormais considéré comme relevant de 'l''intérêt public majeur", ayant la prime sur d'autres choix publics.

Concernant les propriétaires de moulins et autres ouvrages capables de produire de l'énergie électrique à partir de l'eau, cette crise apporte pour finir des enseignements :
  • préserver son droit d'eau (droit de produire une énergie à partir de l'eau) est une garantie dans un avenir incertain, alors que détruire un ouvrage et son potentiel énergétique supprime des options,
  • exploiter son droit d'eau et produire de l'énergie devient de plus en plus rentable, en particulier si ce choix remplace le chauffage fossile des bâtiments.
La politique publique française de destruction des ouvrages hydrauliques au nom d'une vision intégriste de la rivière sauvage est plus que jamais l'ennemie de l'intérêt général et l'ennemie du climat : elle doit être dénoncée sans relâche comme une erreur historique majeure et remplacée par une politique d'encouragement à l'équipement bas-carbone de tous les ouvrages hydrauliques.